La question lancinante des lieux de représentation à Pesaro
Depuis quelques années on annonçait la réouverture de l’ancien Palafestival rebaptisé « Auditorium Scavolini », c’est désormais chose faite depuis l’inauguration du Festival 2024 le 7 août dernier avec Bianca e Falliero, dont nous avons vu la deuxième représentation.
L’Auditorium Scavolini se trouve à la lisière du centre historique de Pesaro et de sa zone estivale, plage, hôtels et villas, dont la frontière est Viale della Vittoria, en réalité la route nationale 16 qui traverse la ville et longe l’Adriatique vers le Sud.
Implanté dans une zone peu commerciale, peu de cafés et restaurants, mais adossé au centre-ville et à un parking (complet), il offre peu de possibilités pour stationner si vous venez de l’extérieur, au contraire de l’Arena Vitrifrigo, l’autre lieu du festival, situé à 5km du Centre en plein zone industrielle et commerciale, hideuse mais abondamment pourvue de parkings. Mieux vaut donc prendre ses précautions et arriver bien à l’avance pour prendre le temps de chercher.
On pénètre dans le nouvel Auditorium, et on arrive dans la salle, aménagée en espace théâtral provisoire, avec des chaises en platea (fauteuils d’orchestre) comparables à celles de l’Arena Vitrifrigo, et des places de « gradinate » (gradins), accessibles par des escaliers raides, sans protection aucune, avec pour résultat d’abord que gagner sa place quand les gens sont déjà assis suppose qu’on marche sur un petit espace entre les jambes des gens assis de votre rang et les dos de ceux assis devant, et s’il n’y a aucun spectateur sur le rang devant, il n’y a aucune protection. Étant donné la pente assez raide, c’est périlleux si les spectateurs ne sont pas habitués, ou s’ils ont passé l’âge des escalades, comme souvent le public d’opéra.
À cela s’ajoute des gradins non en arc de cercle (comme un idéogramme mensonger le ferait croire), mais en angle droit. Si vous êtes de face, pas de problème, si vous êtes sur le côté, vous êtes sur un angle de 90° par rapport à la scène, et votre siège étant en béton recouvert d’un coussin et dossier temporaires, il est difficile de faire comme dans une loge de théâtre à l’italienne et tourner sa chaise…
Au-dessus des Gradinate, cours d’escalade pour troisième âge, ou moyen indirect de rajeunir le public, les Gallerie, de face accessibles par escalier principal du hall ou par ascenseur.
En réalité, l’auditorium Scavolini n’a d’auditorium que le nom (même si l’acoustique est acceptable), selon les termes même de la ville de Pesaro qui le qualifie d’ouvrage stratégique pour la vie culturelle de la ville, qui aura une capacité de 2 000 personnes et accueillera des événements musicaux, des conférences et des manifestations sportives tout au long de l'année.
Une stratégie gagnante vu le très relatif confort de la salle, qui n’est que la salle de sport que nous connaissions remise aux normes et à peine réaménagée (et dont la restauration a duré une petite vingtaine d’années, tout ça pour ça), plus sportive que musicale.
Détail assez croustillant, les architectes n’ont pas dû penser aux besoins naturels des spectateurs du festival (plus pressants quand on avance en âge) puisque vu l’équipement adjacent à la Platea et aux Gradinate (500 à 600 personnes), une seule dame et un seul monsieur peuvent faire pipi (ou autre) à la fois dans les deux seuls WC d’une personne prévus… Les opéras de Rossini durent trois à quatre heures, les entractes durent une demi-heure, et donc le choix (cruel) est ou bien la queue aux toilettes, forcément longue pour la raison évoquée plus haut, ou la montée au bar (escalier raide ou ascenseur discret, si discret que des flèches en indiquent une direction erronée). Bref, un non-lieu, un signe inquiétant dans un pays qui a produit des gestes architecturaux extraordinaires, et aussi, si l’on veut, un véritable intermède comique.
On se plaignait de l’Arena Vitrifrigo, éloignée, dans un quartier hideux, mais c’est d’un confort infiniment supérieur… et pipi friendly !
Au-delà de l’anecdote, on pointe là un des problèmes récurrents du festival de Pesaro et ses 45 ans d’existence, qui est celui de trouver une salle adéquate pour les représentations, un théâtre digne de ce nom.

Le problème ne s’est pas posé pendant les premières années, avec un public encore limité, et le Festival se partageait entre le théâtre local, le Teatro Rossini, joli théâtre à l’italienne né au XVIIe mais complètement refait au début du XIXe et inauguré alors avec l’opéra La Gazza Ladra dirigé par Rossini lui-même. Sa capacité est de 860 places. L’autre lieu initial était l’Auditorium (un vrai) Pedrotti élégant et en plein centre-ville, d’une capacité moindre, de 500 places, actuellement fermé depuis des années pour remise aux normes et dont la réouverture est d’année en année retardée. C’est à l’Auditorium Pedrotti qu’a été créée en 1984 la production du Viaggio a Reims de Ronconi-Abbado…

Aujourd’hui le parc est donc composé du Teatro Rossini, de la Vitrifrigo Arena au diable vauvert, de l’Auditorium Scavolini, ce non-lieu scandaleux. Ajoutons le Teatro Sperimentale, salle moderne d’un peu moins de 500 places, qui sert essentiellement à des récitals et à la représentation annuelle de Viaggio a Reims avec les lauréats de l’Accademia rossiniana. À part de légitimes raisons clochemerlesques, je n’ai jamais compris pourquoi par exemple on n’a jamais associé (sinon en utilisant son chœur) le ravissant Teatro della Fortuna (600 places) de Fano, à 12 km, dans plus une jolie ville que Pesaro, qui pourrait permettre au festivalier une agréable escapade.
La réalité est que la ville de Pesaro n’est pas très active pour soutenir et encourager le premier des Festivals italiens, sans doute parce que les coûts induits surpassent les retombées, il est vrai aussi que Pesaro n’est pas la plus attirante des villes de la région qui en revanche est l’une des plus belles d’Italie
Festival, cela veut dire fête, moments agréables autour des spectacles, après spectacles (dîners ou pots). Après les spectacles, tout est à peu près fermé, sauf quand on est au Teatro Rossini, qui a autour un certain nombre de restaurants et cafés. Pour le reste, il y a à Pesaro une seule Pizzeria ouverte tard, et la vie de festivalier à Pesaro n’a rien à voir avec celle d’autres villes comparables, que ce soit Aix, et même Bayreuth pourtant assez provinciale.
Pesaro c’est la plage et la mer en journée, quelques établissements nocturnes pour jeunes en folie, et sinon pas grand-chose… Qu’aucune réflexion n’ait été menée alors que Pesaro était capitale italienne de la culture en 2024 laisse rêveur…
Si la réouverture de l’Auditorium Scavolini suscite ce long ex-cursus sur la curieuse organisation, non pas du Festival, mais du Festival dans la ville, c’est que Pesaro (à gauche) en l’occurrence n’est pas vraiment un modèle. Elle est aussi l’indice de la place de la culture dans un pays qui paradoxalement est l’un des patrimoines les plus riches en Europe et dans le monde.
À titre d’information, la région des Marches[1] qui a de nombreuses villes petites et moyennes pourvues de petits théâtres ravissants a une centaine de salles, dont cinquante actives, et la province de Pesaro-Urbino en a à elle seule plus d’une vingtaine… Voir à ce propos l’article Wikipedia Teatri delle Marche ou la page de Comuni italiani. Au mépris d’une tradition théâtrale qui plonge dans l’histoire depuis des siècles, et dans un pays qui a fondé l’opéra, on reste étonné d’une situation qui, avec des politiques volontaristes et engagées, pourraient faire de l’Italie le premier pays européen pour le théâtre et l’opéra, ce qui n’est pas le cas. La situation du théâtre est d’ailleurs bien pire que celle de l’opéra.
Mais on me répondra avec raison qu’il est facile d’en appeler à la construction d’un théâtre de 1200 places environ, qui pourrait accueillir à côté du Teatro Rossini les représentations du Festival. Mais le Festival n’occupe que trois semaines en été et quelques manifestations sporadiques locales en hiver. Pesaro est une petite ville d’une centaine de milliers d’habitants qui n’a pas le public pour une saison théâtrale (et de spectacles divers) avec trois salles (si on compte le Sperimentale) : l’investissement dans une salle qui ne serait qu’une salle de théâtre ne se justifie pas.

On comprend donc l’idée de réaménager le Palafestival en centre multifonctions (par exemple pour des congrès, ce qui dans une ville balnéaire se justifie). Mais alors, au lieu de ce ravalement du lieu dont on a gardé toute la structure sans rien modifier, il aurait mieux valu le détruire et reconstruire un vrai centre de congrès de capacité moyenne. Depuis la fermeture en 2005, il aurait été sans doute possible de trouver l’argent. Et oser inaugurer cette photocopie mal repensée de l’ancien après vingt ans de travaux, comme on dit en italien, fa ridere i polli.
Bianca e Falliero
Première nouvelle production de l’édition 2024, la mise en scène de Bianca e Falliero a été confiée à Jean-Louis Grinda, équilibrant ainsi par ce choix celui de Johannes Erath pour Ermione. Il semble qu’on s’oriente vers une programmation comprenant une production confiée à un moderne, une autre à un traditionnel et une reprise, c’est une manière de contenter tout le monde. L’édition 2025 en effet affichera Zelmira (Dir. : Giacomo Sagripanti/Ms en scène : Calixto Bieito), L’Italiana in Algeri (Dir. : Dmitry Korchak/Ms en scène : Rosella Cucchi) et une reprise de la production 2015 de Turco in Italia (Dir. : Diego Ceretta/Ms en scène : Davide Livermore). Calixto Bieito fait son entrée à Pesaro et sera en face de Rosella Cucchi de triste mémoire. Autre nom intéressant : le jeune chef Diego Ceretta, sans discussion l’une des futures grandes baguettes italiennes.
Ainsi donc par rapport à Erath/Mariotti pour Ermione, la « creative team » de Bianca e Falliero Jean-Louis Grinda/Roberto Abbado était plutôt « ancienne génération », pour respecter les équilibres, mais qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse.
Bianca e Falliero n’avait pas été présenté à Pesaro depuis 2005. Mais il avait été proposé dans les premières années du Festival, en 1986, à l’Auditorium Pedrotti, dans une mise en scène de Pier Luigi Pizzi, une direction de Donato Renzetti avec entre autres, Chris Merritt, Marilyn Horne et Katia Ricciarelli, la production fut reprise en 1989, toujours à l’auditorium Pedrotti, sous la direction du tout jeune Daniele Gatti, avec le trio Chris Merritt, Martine Dupuy, Lella Cuberli.
Enfin une nouvelle production fut proposée en 2005 au Teatro Rossini, dans une mise en scène de Jean-Louis Martinoty et une direction de Renato Palumbo avec Francesco Meli, Daniela Barcellona et Maria Bayo. Elle n’a pas été l’objet d’une reprise, si bien que cette nouvelle production est la troisième depuis que le Festival existe, et la quatrième programmation du titre.
Ajoutons que l’idée de mettre en regard Ermione, composée pour le San Carlo de Naples et Bianca e Falliero, écrit pour la Scala la même année, permet de mettre en regard deux manières différentes de faire de l’opéra et deux traditions différentes auxquelles Rossini s’est plié. Et Bianca e Falliero, dont à la création le succès public a été assez important, plus en tous cas que le succès critique est un titre emblématique de l’aventure des opéras rossiniens. En dehors de Pesaro et de quelques festivals spécialisés comme Bad Wildbad, qui le programme aujourd’hui ?
Le public d’opéra est complètement façonné pour la musique du XIXe par les grands standards, tellement on a peur de perdre le public, mais surtout, il y a dans les programmations un étrange manque de considération pour le génie rossinien, qui reste la base essentielle de tout l’opéra italien du XIXe jusqu’à Verdi, mais qui ruisselle aussi sur l’opéra allemand jusqu’à Wagner. Rossini bouffe limité à deux ou trois titres, un ou deux rares titres du Rossini sérieux, et puis Guillaume Tell… Au lieu d’éduquer le public d’opéra, relativement captif, on le dessèche.
Or Bianca e Falliero mérite d’être connu et reconnu.
Quelle en est la trame ? C’est une déclinaison de l’éternelle opposition des pères au choix affectifs des enfants. On est donc dans la structure traditionnelle de la comédie moyenne, structure de base chez Molière, dans Tartuffe, Le Malade imaginaire, Le Bourgeois gentilhomme etc…, dont Rossini a déjà largement usé pour ses opéras antérieurs à commencer par L’Equivoco Stravagante, joué à Pesaro en cette édition 2024.
Le schéma est simple. Une jeune fille aime un jeune homme, mais son père lui destine un autre homme qu’elle n’aime pas. La différence ? Ce n’est pas une comédie, mais un opera seria, un melodramma in due atti.
Qu’est ce qui rend sérieuse cette histoire plutôt fréquente dans les comédies ?
D’abord, le livret de Felice Romani s’appuie sur une tragédie de Antoine-Vincent Arnault Blanche et Montcassin, ou Les Vénitiens, créée à Paris en 1798 au Théâtre de la République (Comédie Française). La tragédie d’Arnault finit très mal par la mort du héros et le suicide de l’héroïne. Même si l’opéra en revanche finit bien, cela implique une certaine couleur.
Ensuite le père, Contareno, est un personnage plutôt sombre et obstiné, qui veut marier sa fille à Cappellio en signe de réconciliation des deux familles, ensuite Cappellio est au contraire du père un personnage plutôt noble, qui sera la clef du happy-end.

Nous sommes à Venise au XVIIe, dans des circonstances historiques précises qui tiennent à la répression qui suit la conjuration de Bedmar, ambassadeur d’Espagne à Venise. Venise depuis le XVIe perd du terrain parce que la géopolitique commerciale s’est réorientée vers le nouveau monde, où l’Espagne domine en rivalité avec le Portugal. Venise reste si riche (elle le restera jusqu’à la fin du XVIIIe, malgré une perte régulière de ses comptoirs, compensée par une « retour aux terres », dont les nombreuses villas de Vénétie sont un symbole) et garde encore malgré les coups de boutoirs de l’Empire Ottoman la maîtrise commerciale de l’Adriatique, que l’Espagne voudrait bien conquérir. Il s’ensuit une pression forte des Espagnols (avec une neutralité plus ou moins bienveillante de France et d’Angleterre) et des projets de conquête de la République de Venise. C’est l’objet de la conjuration de Bedmar, éventrée en 1618, et suivie par une forte répression tant Bedmar avait tissé un réseau serré d’espions à l’intérieur de la République. Ladite conjuration a donné lieu dès le XVIIe à un récit de Saint-Réal (celui-là même qui est à la base du Don Karlos de Schiller) La Conjuration des Espagnols contre la République de Venise en l’année 1618 qui inspiré l’anglais Thomas Otway, Venice preserv’d, (1682), base de la tragédie en cinq actes d’Hugo von Hofmannsthal, Die gerettete Venedig (1905), et même d’une tragédie inachevée de la philosophe Simone Weil, Venise sauvée (commencée en 1940). C’est dans cette tradition que se situe la tragédie d’Arnault…
Ainsi la Tragédie naît du fait que le sénat de Venise a décrété la peine de mort contre tout noble vénitien qui mettrait le pied dans l'hôtel d'un ambassadeur étranger. C’est le prérequis de la trame.
Bianca est amoureuse de Falliero, qu’on croit mort à la guerre contre l’Espagne et Contareno, père de Bianca, en profite pour la marier à Cappellio, en signe de réconciliation des deux familles, depuis longtemps ennemies pour une affaire d’héritage.
Mais d’une part Falliero fait irruption au beau milieu du mariage et de l’autre, Bianca refuse de signer le contrat.
Falliero est poursuivi, se réfugie à l’ambassade d’Espagne (auprès du Bedmar de la conjuration…), mais est fait prisonnier et jugé pour haute trahison à cause du décret du Sénat (voir plus haut) par le « conseil des trois » dont deux sont directement impliqués dans l’affaire, Contareno et Cappellio. Après un vibrant plaidoyer de Bianca, Cappellio est touché et finalement le père doit céder. Tout est bien qui finit bien ; les deux sont réunis et les familles réconciliées.
La dernière partie de l’œuvre est occupée essentiellement par le procès, ce qui est rare à l’opéra, et est l’occasion de beaux morceaux de bravoure dont le quatuor final (Cielo, il mio labbro ispira etc…) et l’air conclusif de Bianca (Teco resto).
L’opéra est particulièrement difficile à chanter pour les trois voix protagonistes, Bianca (Soprano) Falliero (Contralto) et Contareno (Ténor). De manière surprenante, le père, habituellement confié à une basse ou un baryton-basse, est ici confié à un ténor dont les airs, entre agilités et notes aiguës, sont particulièrement périlleux tandis que la voix de basse est Cappellio.
L’œuvre fut jouée 39 fois à Milan (un succès exceptionnel) et a été ensuite jouée jusqu’à 1830 environ en Italie, et tomba peu à peu dans l’oubli jusqu’à la renaissance de 1986, où le trio idéal Merritt, Ricciarelli, Horne montra quel chemin interprétatif emprunter…

Un des points dramaturgiques les plus intéressants est le mécanisme qui pousse Falliero à se présenter à l’ambassade d’Espagne. Il a vaincu les espagnols et il est donc a priori un héros. Mais, rejeté par le père de sa bien-aimée, parce que n’apportant rien de concret (en argent ou en puissance) et désespéré, il prend la décision non de trahir, mais de se suicider.
Le suicide pourrait être un suicide individuel, et à ce moment-là, point de tragédie, mais simple drame bourgeois.
Les deux bouts du spectre sont en effet le drame bourgeois et la tragédie. Nous avions les ingrédients de la comédie, et par incidence nous avons les ingrédients du drame bourgeois, qui n’est qu’une version noire de la comédie, genre bourgeois par excellence. Contareno en faisant épouser sa fille à Cappellio résout une affaire d’héritage, c’est-à-dire de gros sous, sa fille étant le prix à payer pour la paix entre les deux familles (version noble) mais surtout pour que cesse le litige financier (version moins noble). Contareno est en quelque sorte un maquignon et sa violence et son obstination sont motivées par l’affaire qui sans ce mariage arrangé ne se ferait pas.
Cappellio a des sentiments plus nobles, il est celui qui renonce, qui pardonne, il a quelque chose du caractère noble de la tragédie. Mais cette affaire est strictement privée, plus que politique si elle reste entre les murs d’un palais vénitien. Drame bourgeois.
La tragédie est au contraire toujours une affaire de princes, de rois ou d’aristocrates, c’est-à-dire de valeurs qui s’opposent. Celui qui ne possède pas les valeurs exigées est le méchant (ici Contareno)
En décidant de faire de son suicide un acte public, sachant le décret du sénat, et de s’accuser publiquement pour attirer sur lui la condamnation à mort, Falliero projette l’affaire de famille sur la place publique, introduit incidemment le politique, et se construit aussi une stature, lui qui aux yeux de Contareno n’est rien. On accède donc à la tragédie confirmée par sa « Grande scène » de l’acte II, un des sommets de l’opéra. Qu’ensuite il affiche sa passivité lors de son procès et son refus de répondre aux accusations renforce encore l’héroïsme et l’énergie du désespoir du personnage.

De plus, rendant son acte public par son procès et le retentissement induit, il provoque la preuve d’amour de Bianca qui vient le défendre tout aussi publiquement (on pense dans un autre ordre d’idées à l’intervention finale de Pauline dans Polyeucte de Corneille), révélant à tous à la fois leur amour, la motivation secrète de Falliero, et surtout l’obstination du père, cause du désastre. Il y a donc une double mise en danger, dans un contexte politique tendu, ce qui fait automatiquement de Bianca et Falliero des héros, qui n’hésitent pas à braver les châtiments pour affirmer aux yeux de tous leur amour absolu.
La question dramaturgique pourrait donc être : Suicide héroïque et spectaculaire de Falliero, pour mourir publiquement ou plan pour susciter la réaction de Bianca et ainsi exposer sur la place publique des causes très privées de la « trahison »… cela pouvait faire un vrai tissu tragique et quelques pistes psychologiques à explorer.
Une autre piste était d’exploiter peut-être ce qui fut une cause de la fin heureuse à Milan, pour éviter les affres de la censure autrichienne : la fin tragique de la tragédie d’Arnault (Montcassin est étranglé) montre un pouvoir tyrannique aveugle qui sacrifie un innocent. Ce n’était peut-être pas une bonne idée de pointer les tyrannies, au moment où commençaient à peine à émerger les revendications nationales italiennes, comme le montre le bouquet que tresse Bianca, comme par hasard tricolore (vert, blanc, rouge).

Dalla rosa il bel vermiglio
L’Amor mio li pingerà
Il candor di questo giglio
La mia fé gli mostrerà
Qua l’emlblema di costanza…
Là il color della speranza…
Qua un pensiero… Un altro qua…
De la rose le beau vermillon
Mon amour les peindra
La candeur de ce lys
Ma foi leur montrera
Ici l'emblème de la constance…
Ici la couleur de l'espérance…
Ici une pensée… Ici une autre…
Le bouquet est présent sous forme de vasque dans la mise en scène, mais seulement comme « illustration ». Hélas en effet, Jean-Louis Grinda a choisi la pâle illustration, sans explorer aucune piste qui donnât quelque relief à son travail.
La « mise en scène »
Il est difficile en effet d’appeler mise en scène ce qui a été présenté à Pesaro ; Jean-Louis Grinda propose une mise ne place qui accompagne la musique, qui fasse voir la « mécanique rossinienne » (sic), une sorte d’écrin, laissant la musique s’exprimer au premier chef. Manière de dire que la mise en scène ne sera pas (trop) visible. Il se contente de postures traditionnelles, d’un décor (de Rudy Sabounghi) traversé de praticables qui bougent pour poser les différents lieux essentiellement la place Saint Marc, le palais de Contareno, et la salle du Conseil de Trois ; gestes convenus, mouvements minimaux, manque d’idées et quelques étrangetés, comme ce moment où Falliero doit fuir secrètement sur les conseils de la nourrice Costanza, si secrètement que le chœur entre en même temps, où petite négligence, dans les premiers moments où l’on explique que Venise est en guerre contre l’Espagne, une carte projetée en vidéo montre l’avancée espagnole, et étrangement, la carte est… en français. On aurait pu au moins, trouver une carte en Italien…

C’est un détail, mais c’est une négligence qu’on ne devrait pas trouver dans un Festival.
Pour habiller l’ensemble, des vidéos de populations victimes de la guerre sont projetées, comme si l’opéra traitait de guerre, ce qui n’est pas le cas, et les vidéos sont essentiellement décoratives, tout comme ces vues de Venise au soleil couchant, toujours efficaces pour les amateurs d’instagram. Les costumes sont vaguement XXe années 1940 ou 1950, c’est plus moderne, mais pas tous car comme on sait au théâtre, la question du temps ne se pose pas et le mélange des styles est « signe » de modernisme, mais chez Grinda, l’Empire (des signes) est plutôt une île d’Elbe… .

La fin aussi, que Grinda voit comme un rêve de Bianca où elle monte comme à la tribune rejointe par Falliero est assez mal réalisée, si bien qu’on voit difficilement cet aspect qu’on supposerait rêvé où le quatuor (le climax de l’œuvre) qui précède serait alors le « vrai » final, et enfin cette vieille dame aveugle qui semble être une sorte de statue du commandeur un peu absente qui accompagne Bianca à son entrée et qui est là, présente pour ses raisons aussi impérieuses (encore un signe…) qu’obscures. Les rares idées manquent de clarté et au total rien n’est bien intéressant. Jean-Louis Grinda n'est ici ni Regie, ni Theater, et si les adeptes de la non-mise en scène à l’opéra, seront sans doute satisfaits de se reposer les yeux ou les méninges, il n’empêche qu’on a connu ailleurs Jean-Louis Grinda plus concerné.
Le destin musical de l’œuvre
L’œuvre ne manque pas d’intérêt musical, bien au contraire et on peut s’interroger sur l’étrange destin d’un opéra qui a connu un succès exceptionnel à sa création, et qui a disparu des programmes en une vingtaine d’années.
D’abord Rossini qui à la Scala, se savait en terrain moins connu qu’à Naples, a travaillé à l’orchestration, très raffinée, particulièrement attentive. Peut-être Stendhal est-il ) l’orgine de la désaffection, lui qui a faussement diffusé l’idée d’une partition faite d’emprunts « quant à la partition de Rossini, tout était reminiscence »[2] alors que c’est à peu près le contraire : à part le rondo final de La Donna del Lago, une œuvre très récente, proposée trois mois auparavant à Naples (Septembre 1819), toute la musique est originale : ce sont des œuvres postérieures (Moïse, Maometto II et Siège de Corinthe) qui emprunteront à Bianca e Falliero. Enfin, Rossini, échaudé par l’échec d’Ermione à Naples, voulait à Milan être plus « conformiste ».
Et puis je voudrais revenir sur la question des emprunts dont on fait toujours grand cas pour Rossini, comme si c’était la preuve de son dilettantisme et de sa paresse. D’abord, c’est une tradition fortement établie à l’opéra depuis le XVIIIe de réutiliser des airs ou des ensembles d’opéras déjà écrits dans d’autres titres, voire de les utiliser même pour des opéras d’auteurs différents. Nous sommes aujourd’hui à une époque où l’œuvre est sacralisée dans une sorte de monument à protéger, ce qui n’était pas le cas aux temps de Rossini.
Ensuite la réutilisation n’est pas forcément un copier-coller. Le livret change, les paroles changent, et donc la musique n'est pas utilisée dans le même contexte : le même thé n’a pas la même saveur dans une tasse de la compagnie des Indes ou dans un Mug quelconque.
Et Rossini n’orchestre pas toujours de la même manière, il n’introduit pas de la même manière, la couleur est radicalement différente comme entre Il Viaggio a Reims et Le Comte Ory où presque toute la musique de l’un est reprise dans l’autre. Je vois ces jeux de passage d’une œuvre à l’autre comme un génial jonglage musical, une sorte d’expérience de l’écoute qui change sans cesse selon l’écrin, l’histoire, et où la même musique ne sonne pas forcément de manière identique. Et Rossini joue, et s’en amuse, et travaille même de manière expérimentale, alliant des musiques déjà écrites à du neuf, les insérant dans des contextes divers, pour faire exploser l’écoute, pour créer d’impossibles rencontres, des réminiscences qui deviennent trouvailles, comme dans Eduardo e Cristina, que je trouve abyssal à ce niveau. En réalité Rossini invente par anticipation un concept de la sémiotique : la réception du message dépend de son contexte. Un seul exemple pris à la peinture, un tableau religieux dans un musée ne fonctionne pas comme il fonctionne dans l’église pour lequel il avait été conçu, le système de signes est différent au sens où les deux œuvres ne sont pas considérées de la même manière. Il en va de même chez Rossini.
Plus j’entends Rossini, et plus je suis convaincu qu’il est le plus grand génie de l’opéra italien, par l’imagination et par l’audace, par sa connaissance approfondie du répertoire qui le précède, par le jeu sur les musiques où il tresse « neuf » et « occasion », par les variations d’orchestration, par leur extrême raffinement et leur extrême virtuosité (les vents et les bois…). Pas de hasard s’il est la source à laquelle boivent Meyerbeer, Donizetti, Auber, Bellini, Verdi et d’autres, mais aussi un certain Wagner qui le connaissait bien, et un certain Offenbach qui ne cesse d’en emprunter les formes et les retourner.
Mais le revers de la médaille, c’est l’exigence d’excellence. Et c’est là où souvent le bât blesse. Une musique qui allie raffinement, dynamique, sens dramatique et profondeur a besoin pour être exaltée de chefs et d’ensemble vocaux d’exception. Or, elle n’en bénéficie pas toujours, loin de là, on peut même dire que Rossini est souvent aujourd’hui très mal servi, par des chefs souvent passe-partout, le plus souvent dans le répertoire giocoso (certains l’appellent « bouffe » de manière fautive) et aussi dans le répertoire plus sérieux, mais comme il est plus rare, on fait un peu plus attention.
Si la médiocrité règne en fosse ou si le plateau manque d’homogénéité, immédiatement se dégonfle la machine, s’atténuent les effets : par exemple, si vous n’avez pas dans Bianca e Falliero un contralto irréfutable, c’est la moitié de l’opéra qui passe à la trappe. On peut à ce titre dire que si L’Accademia Rossiniana-Alberto Zedda n’existait pas, sans doute n’aurait-on plus de chanteurs aptes à affronter ce répertoire. Le Rossini Opera Festival Pesaro est d’abord un conservatoire vivant du chant rossinien qui se renouvelle sans cesse, et c’est un bien précieux à conserver, même si fatalement n’en sortent pas chaque année des voix d’exception.
La direction musicale
C’est bien pourquoi je salue le choix de Roberto Abbado pour diriger Bianca e Falliero, parce qu’il cherche toujours au-delà des effets faciles, à soigner l’homogénéité, à travailler d’abord sur l’élégance sonore, sur l’enchainement des formes dans une sorte de classicisme (au point de passer pour un chef qui évite l’audace) et qu’il est surtout un chef qui protège et soutient les chanteurs, sans cesse attentif à ne pas les mettre en difficulté. Il met en relief les détails de l’instrumentation, grâce à l’excellence des musiciens de l’Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI qui montre (les bois et notamment la flûte) combien la clarté du son met en valeur la qualité de l’orchestration et la virtuosité requise. Comme Roberto Abbado n’est jamais inutilement démonstratif, il reste au plus près de la trame et de la partition sans effets inutiles, peut-être, au goût de certains, insuffisamment dramatique par moments. Je ne partage pas cette opinion : la qualité de l’approche se lit aussi par l’importance des petits détails de couleur de certains moments, un substrat plus sombre mis en relief ici, un silence appuyé là, une accélération du tempo ailleurs, fugace série de petits détails qui construisent une ambiance, mais sans jamais renoncer aux grands moments, comme les concertati (on pense au final de l’acte I, conduit avec un grand sens dramatique et une vraie puissance). Enfin, notons les récitatifs accompagnés au pianoforte (Andrea Severi) mais aussi au violoncelle (Jacopo Muratori ) et à la contrebasse (Matteo Magigrana) , qui donnent une grande fluidité à la musique, mais aussi contribuent à la couleur d’ensemble comme au tout début du second acte, en accentuent les aspects dramatiques et psychologiques que la mise en scène ignore superbement.
Le chœur du Teatro Ventidio Basso d’Ascoli Piceno dirigé par Giovanni Farina, assure les représentations de Bianca e Falliero, d’Ermione, et de Barbiere di Siviglia.
Dans Bianca e Falliero, sa présence est importante, mais plus décorative de dramaturgiquement décisive. La qualité d’ensemble est correcte sans correspondre à celle de leurs collègues musiciens d’orchestre à la qualité internationale. On peut comprendre le souci de valoriser les ensembles régionaux, mais – comme on le remarque chaque année – les masses chorales ne répondent pas toujours aux attentes (ici les voix féminines sont un peu en retrait…) même si on a pu apprécier mieux certains moments comme l’entrée spectrale de la grande scène du procès Ah ! qual notte di squallore.
Les voix
Le plateau vocal honorable manque de ces voix exceptionnelles requises dont il était question plus haut. Il n’y a pas de scandale, mais il y a peu de sujets d’enthousiasme. Comme souvent à Pesaro les rôles de complément s’en tirent avec tous les honneurs, que ce soit Dangelo Diaz (Cancelliere) et Claudio Zazzaro (Ufficiale/Usciere) pour les interventions mineures et Nicolò Donini en Doge Priuli et surtout Carmen Buendía en Costanza présente et assez intense.

Mais dans cette œuvre, tout repose sur le quatuor Contareno, Cappellio, Bianca, Falliero.
La basse géorgienne Giorgi Manoshvili est l’un des deux méchants, le promis Cappellio mais sa voix au timbre chaud convient bien à ce personnage qui va changer de face, et plaider pour les deux amants face à l’obsessionnel Contareno. Avec une belle projection une voix doté d’un certain corps et du style, il donne de l’assise à un personnage qui reste secondaire dans l’action.

C’est Dmitry Korchak qui interprétait le rôle de Contareno, le père indigne. Depuis qu’il chante à Pesaro (il y dirige aussi et y dirigera l’an prochain L’Italiana in Algeri), la voix a pris du corps, et s’est élargie, ce qui convient à Contareno, mais sans rien céder à la conduite des aigus, à l’agilité magnifiquement dominée et surtout à un phrasé impeccable. Le texte est parfaitement compréhensible, dans une scansion parfaite de chaque mot tant dans les récitatifs que les airs. Son interprétation vigoureuse et ses accents dessinent parfaitement le personnage, presque jusqu’à la caricature, un modèle de style et de chant incarné. Sans nul doute de tous les protagonistes le plus convaincant.

Jessica Pratt en Bianca fait comme d’habitude la preuve qu’elle a peu de rivales dans le maniement de l’aigu et des agilités. Dans le suraigu elle émet tout de même quelques sons un peu métalliques et stridents et donc désagréables (quelques fissures et quelques aigus bien vilains), et elle n’a pas pour mon goût de vraie ligne rossinienne, elle reste trop démonstrative et insuffisamment intérieure. Nous n’y sommes pas si le chant se limite à la performance et aux acrobaties. Certes, elle n’est pas aidée par la mise en scène, mais nous nous trouvons devant un chant qui ne diffuse rien, sinon l’étonnement devant la performance, et en tous cas aucune émotion. Si le belcanto ne transmet rien, ce n’est pas du belcanto. Le style belcantiste consistant à faire que la performance technique soit au service de l’émotion et puisse ainsi bouleverser l’auditeur. Ce chant est maîtrisé, mais en même temps extérieur et donc ne réussit pas à vraiment toucher. Il y a la technique, et quelle technique sur tout le spectre, mais l’âme est aux abonnés absents, sauf bizarrement dans les duos avec Falliero (Aya Wakizono) comme le très beau duo qui conclut la scène II de l’acte II (Questo istante, mia speranza) et aussi dans le sommet de l’œuvre qu’est le quatuor final (Cielo, il mio labbro ispira etc…).
Mais il faut reconnaître que le public lui a fait une immense ovation, et donc tout est bien qui finit bien.

Aya Wakizono en Rosina de Barbiere di Siviglia en 2018 avait plutôt séduit, j’avais écrit « elle compose une Rosine juvénile, vive, alerte, qui remplit la scène. Une vraie promesse. ». Sans nul doute est-elle la plus engagée dans le personnage, lui donnant une vraie vigueur et diffusant dans son jeu une véritable émotion. Mais vocalement Rosina n’est pas Falliero. Ce n’est pas forcément un problème d’aigu ou d’agilités, mais plutôt de corps ; la voix manque d’assise et de largeur, de densité et de chair, le timbre manque de séduction, et du même coup le personnage manque de consistance : face à la Bianca de Jessica Pratt, elle apparaît un Falliero adolescent en crise plus qu’un héros romantique suicidaire.
C’est l’une des vraies difficultés de ce type de rôle : c’est l’un des derniers rôles de mezzo travesti dans la tradition du XVIIIe, après quoi les travestis auront d’autres profils, quand on pense au Grand-Opéra (Urbain des Huguenots, Jemmy de Guillaume Tell ou Ascagne de Benvenuto Cellini par exemple) ou Siebel du Faust de Gounod et Oscar de Ballo in maschera. Il faut une voix plus charnue, l’homogénéité plus grande et aussi des accents plus marqués : le chant manque de couleur et de variété et la voix est relativement petite. Pourtant, comme écrit plus haut, elle ne manque pas d’intensité, ni d’engagement et dans sa grande scène du second acte elle sait par l’attitude scénique, mais aussi par le chant diffuser l’émotion. Plus expressive que sa partenaire Jessica Pratt, avec moins de moyens, elle offre une prestation qui n’atteint pas les sommets de légende mais qui ne mérite en aucun cas une trop grande sévérité.
Si l’on laisse de côté la grande médiocrité de la mise en scène, c’est une soirée dont le premier attrait est de nous faire entendre Bianca e Falliero certes dans une salle hideuse, mais dans des conditions globalement acceptables. Où entendre cette œuvre sinon ?
La réalisation musicale est respectable et élégante, et la distribution sans être idéale, ne nuit jamais à l’œuvre. On peut rêver mieux, mais il n’y a rien de scandaleux. On se prend simplement à rêver à Horne, Ricciarelli, Cuberli, Dupuy, Barcellona en se disant qu’on est en deçà de ce niveau. Seul ce soir Korchak était exactement là où on l’attendait, au sommet. Mais on est quand même sacrément content d’avoir entendu ce Rossini-là, qui est loin de mériter d’être si peu connu.
[1] Regarder pour information la page Wikipedia Lista dei Teatri d’Italia, le dernier porte le numéro 1589…
[2] Stendhal, Vie de Rossini, ch.XXXVIII, Bianca e Faliero (sic), p.418, Folio Classiqu
L’âge d’or de Pesaro est malheureusement derrière lui.. mais avoir été la révélation puis la consécration de voix sublimes qui ont pu s’y exprimer avec tellement de talent et de bonheur et cela sur en gros une décennie est un petit miracle..