Rapprocher le passé lointain d’un passé beaucoup plus récent peut donner des résultats esthétiquement très réussis. On connaît l’exemple de la Centrale Montemartini qui, à partir de 1997, présentait des œuvres appartenant aux musées du Capitole sur fond d’énormes machines industrielles, dans le cadre d’une ancienne usine centrale électrique romaine. Pour la troisième édition du salon parisien OPUS Ancient Arts, le contraste n’est peut-être pas aussi fort, mais on peut quand même savourer la présence de pièces issues des civilisations de l’Antiquité dans un ancien entrepôt construit au début du XXe siècle à l’emplacement des jardins du couvent des Filles du Calvaire : sous une charpente métallique percée d’une grande verrière, entre quatre murs repeints de blanc, avec une mezzanine surplombant le rez-de-chaussée, neuf galeries spécialisées présentent un aperçu de ce qu’elles ont de mieux à offrir aux collectionneurs.
C’est la première fois que le salon OPUS se tient dans ce lieu original, les deux premières éditions ayant été accueillies par une autre verrière industrielle, celle de la Galerie Joseph, rue de Turenne. La formule a été resserrée par rapport aux années précédentes, avec neuf galeries au lieu de quinze, mais en maintenant la même exigence de qualité et une certaine diversité, tant dans l’origine géographique des exposants – Paris est majoritaire, avec cinq galeries sur neuf, mais les autres viennent de Londres, Bâle, Zurich et Fribourg-en-Brisgau – que dans la provenance des œuvres mêmes.

On remarque néanmoins une ouverture qui élargit le propos en tirant davantage du côté de l’ethnographie que de l’archéologie, puisque l’une des deux exposants nouveau-venus, la Galerie Meyer (17 rue des Beaux-Arts, 75006) est spécialisée dans les arts océaniques et arctiques. Sont ainsi présentées des pièces d’une ancienneté bien plus relative, les plus récentes ayant à peine plus d’un siècle. C’est aussi une raison d’inclure des objets que l’on n’attendrait pas forcément ici, issus de la vie quotidienne comme cette paire de kamik pour homme (bottes en peau de phoque). Par l’élégance de sa stylisation, l’art Inuit rejoint néanmoins certaines œuvres issues d’horizons bien différents, comme celles de la Galerie Kevorkian, également présente pour la première fois. Spécialisée dans les arts islamiques, du Proche-Orient et de l’Inde, cette galerie du quai Malaquais propose ainsi d’étonnante figures stéatopyges en terre cuite, typiques de la culture Amlash (Iran, début du Ier millénaire av.J.-C.). A signaler également, car elle nous renvoie bien plus loin dans le temps que les « antiquités » proprement dites, un superbe bloc de labradorite polie provenant de Madagascar et datant du Précambrien, c’est-à-dire d’il y a cinq cents millions d’années.
Les autres œuvres sont plus conformes à ce que l’on peut attendre d’un salon d’archéologie, puisqu’elles se partagent entre trois aires géographiques : l’Egypte, la Grèce et Rome. Les différentes galeries participantes réservent pourtant des surprises au visiteur. Signalons d’abord que toutes les pièces présentées ne sont pas sous vitrine, mais que beaucoup d’entre eux sont exposés « nus » sans que rien s’interpose entre le regard admiratif et l’objet admiré ; certains les montrent dans des armoires anciennes aux innombrables niches, pour les plus miniatures, ou sur des socles magnifiquement éclairés, ce qui ajoute encore au plaisir de la découverte.

Ensuite, tous ces objets ne sont pas forcément des « œuvres d’art » au sens moderne du terme. Certes, il y a de grands vases grecs à figures rouges ou noires, et des sculptures de marbre ou de calcaire, en bas-relief ou en ronde bosse, visages sans corps ou corps sans visages, masculins ou féminins, respectant les canons de la beauté classique, et de qualité muséale, sans aucun doute. Mais ce n’est pas tout, et l’on rencontre aussi toutes sortes d’éléments qu’on pourrait qualifier d’utilitaires. D’Egypte proviennent par exemple ces castagnettes d’ivoire en forme de mains et d’avant-bras, ces appuies-tête, ces papyrus, ces bijoux en pâte de verre, et bien sûr tout le matériel retrouvé dans les tombeaux, ouchebtis, vases canopes et fragments de sarcophages. De Grèce vient ce buste de griffon en bronze qui ornait vraisemblablement un grand chaudron (VIIe-VIe siècle avant notre ère, Galerie Tarantino. De Rome sont issus ces guides de rênes surmontés d’un buste de Mercure, qui décoraient un char (Ier-IIe siècle de notre ère, Galerie Cybèle). Sur la mezzanine, la Maison Auclert, spécialisée dans la joaillerie, expose une sélection de bijoux anciens.

Dans un des quatre coins de la salle principale, une exposition rend hommage aux « Dilettanti et collectionneurs d’antan », ces passionnés qui, au fil des derniers siècles, ont eu à cœur de rapporter de leurs voyages plus ou moins exotiques des pièces qu’ils s’efforçaient d’identifier et de cataloguer au mieux (dans une vitrine, une « pyxide antique » a conservé son étiquette manuscrite datant des années 1930). Une petite salle adjacente est réservée à l’Atelier Bresson, qui se consacre à la restauration d’objets archéologiques, pour une clientèle composée d’institutions comme de particuliers. Autre « Invité spécial » de cette édition, la librairie Antinoë, de Brest, présentée comme « l'une des dernières librairies physiques d'archéologie en France », propose nouveautés et occasions spécialisées.
Gage de sérieux de cette manifestation : son « comité de vetting » composé de huit experts garantit l’authenticité des pièces et vérifie qu’elles ne figurent pas dans l’Art Loss Register, base de données recensant les œuvres volées.
L’accès au salon OPUS Ancient Arts est gratuit, mais il ne dure que quelques jours, puisqu’elle fermera ses portes dès ce dimanche.