L’histoire d’Oberon est ce qu’on appelle en jargon littéraire une réécriture du XVIIIème siècle par le poète allemand Wieland, qui écrit Oberon,une épopée en quatre chants en 1780, à partir du Songe d’une nuit d’été et de la Tempête de Shakespeare, qui a inspiré tant d’œuvres lyriques, chorégraphiques et musicales, mais aussi à partir d’une chanson de geste médiévale, Huon de Bordeaux. On y trouve même des éléments qui serviront à Die Zauberflöte de Mozart.
Weber travaille donc sur un "hit" pour sa première londonienne en 1826, mais, insatisfait du livret anglais, revient pour la version allemande à Wieland. Bref, c’est un Melting Pot qui aboutit à une histoire merveilleuse, celle du chevalier Huon de Bordeaux, qui réussit à séduire la fille du Calife de Bagdad, qui se convertit, ce qui ne gâte rien. Tous deux prennent le bateau pour Rome, en faisant le serment de ne pas succomber à la tentation.
Las, ils succombent. Alors une tempête épouvantable les jette sur une île déserte et les sépare, mais après des aventures évidemment terribles où ils sont faits prisonniers des pirates et frôlent la mort, tout finira bien.
Une histoire de magie, avec transformations et merveilles, confiée au metteur en scène autrichien Nikolaus Habjan, un spécialiste du Puppentheater, théâtre de marionnettes. L’idée était séduisante. Mais a rapidement fait naufrage.
En effet, Habjan dans la bonne tradition du Regietheater mal compris, s’emploie à transposer l’histoire dans un laboratoire où Oberon et Titania choisissent deux individus et leur font subir des expériences scientifiques pour en quelque sorte, mesurer leur capacité à s’aimer : il en résulte une histoire surchargée qui ne réussit pas à réveiller l'intérêt. En bref, pour aimer, il faut prendre des médicaments.
Pour un opéra romantique, il y a mieux, du moins peut-on l’espérer.
Quant à l’histoire racontée par le livret, elle est portée par les marionnettes, magnifiquement gérées d’ailleurs par les acteurs Manuela Linshalm, Daniel Frantisek et Sebastian Mock. L’idée du metteur en scène me rappelle celle de Neuenfels pour Cosi fan tutte, qui en faisait (Salzbourg 2000) une expérience d’entomologiste pour vérifier la fidélité des couples, mais c’était autrement mené . L’histoire d’Oberon en elle-même est assez complexe et le propos de Habjan charge inutilement la barque : c’est lourd et peu convaincant. Il eût mieux valu de très loin rester au premier degré et y mettre les marionnettes de manière plus fonctionnelle. Ici elles se surajoutent artificiellement et ne servent pas à grand-chose, dans un décor double pas très réussi ( de Jakob Brossmann) de laboratoire et d’ombre de cité orientale un peu caricatural et peu fonctionnel dans des costumes quelconques de Denise Heschl. D’autant qu’on n’arrive pas, au bout de plus de trois heures, à vraiment saisir le propos, à essayer de comprendre quel sens la mise en scène veut donner à ce livret, qui paraît si long et si lourd. S'il s'agit de répondre à la question "qu'est-ce qu'aimer?' comme le suggère le programme de salle, on est mal parti. Les responsables de la production ont à mon avis tapé à côté, croyant lancer une interrogation sur l’amour qui est en fait un remède contre l’amour. Une occasion ratée.
Une occasion ratée aussi la distribution qui ne réussit pas vraiment à convaincre. Julian Prégardien dans Oberon est bien pâle, ne démontre pas grande personnalité scénique et la partie n’est pas vocalement de celles qui mettent un chanteur en valeur. Il reste dans l’ombre. Annette Dasch, qui est une belle actrice douée d’une magnifique présence en scène, une vraie Diva, ne trouve pas sa voix, et n’arrive pas à dominer des aigus métalliques et désagréables. Cette belle artiste semble avoir depuis quelque temps des difficultés, même si le chant chez Weber n’est jamais chose facile : il est ardu de trouver sur le marché un lirico-spinto-colorature qui ait les aigus, les agilités, l’héroïsme, bref tout à la fois. Le Huon de Bordeaux de Brenden Gunnell est un chevalier un peu caricatural, plutôt un anti-héros, dans une mise en scène qui ne sait pas trop où elle va. La voix est bien contrôlée, il y a des moments assez jolis mais avec des limites en hauteur et dans les parties plus héroïques : il faudrait un Florestan, qu’il n’est pas, même si c’est lui qui a le rôle le plus acrobatique. Enfin le couple Huon-Rezia ne fonctionne pas bien scéniquement : Annette Dasch est beaucoup plus engagée que son partenaire et cela ne fonctionne pas.
Alyona Abramowa en Titania ne laisse pas de souvenir marquant. C’est des rôles de complément que viennent les bonnes surprises : belle voix de baryton de Johannes Kammler dans Scherasmin, l’ami de Huon, et magnifique Rachael Wilson, la seule du plateau à réussir à être émouvante, sensible, modulée dans Fatime. Elle remporte le plus grand succès, et c’est mérité.
Musicalement, il en va autrement, comme toujours Ivor Bolton dirige avec vivacité, avec une direction cristalline avec un volume que d’aucuns ont trouvé trop fort, mais dans la grisaille générale, c’est bien l’orchestre qui sauve la mise, avec sa précision, avec ses couleurs : ce soir, Weber n'était que dans la fosse.
Oberon est-il aujourd’hui impossible à monter ? Rien n’est impossible à monter avec un peu d’idées et des voix adaptées. Dommage.