Richard Wagner (1813–1883)
Parsifal
Ein Bühnenweihfestspiel in drei Akten
Dichtung von Richard Wagner

Orchestre et choeurs du Festival de Bayreuth

Direction musicale Semyon Bychkov
Mise en scène Uwe Eric Laufenberg
Décors Gisbert Jäkel
Costumes Jessica Karge
Lumières Reinhard Traub
Vidéo Gérard Naziri
Dramaturgie Richard Lorber
Chef des chours Eberhard Friedrich
Amfortas Thomas J. Mayer
Titurel Tobias Kehrer
Gurnemanz Günther Groissböck
Parsifal Andreas Schager
Klingsor Derek Welton
Kundry Elena Pankratova
1. Gralsritter Tansel Akzeybek
2. Gralsritter Timo Riihonen
1. Knappe Alexandra Steiner
2. Knappe Mareike Morr
3. Knappe Paul Kaufmann
4. Knappe Stefan Heibach
Klingsors Zaubermädchen Ji Yoon
Klingsors Zaubermädchen Katharina Persicke
Klingsors Zaubermädchen Mareike Morr
Klingsors Zaubermädchen Alexandra Steiner
Klingsors Zaubermädchen Bele Kumberger
Klingsors Zaubermädchen Sophie Rennert
Altsolo Wiebke Lehmkuhl
Bayreuther Festspiele, 26 juillet 2018

La même année où Martin Kušej montrait assez sottement dans son Enlèvement au sérail aixois des décapitations d'occidentaux par des djihadistes, Uwe Eric Laufenberg a provoqué une vague sécuritaire sur la Colline verte avec un Parsifal parachuté au beau milieu de la guerre en Syrie, avec femmes voilées et uniformes de GI's… Un malheur d'arrivant jamais seul, Laufenberg poussa la maladresse jusqu'à associer le Graal et de ses serviteurs à une communauté chrétienne prise sous le feu des factions armées mais réussissant in extremis à instaurer la paix grâce à un œcuménisme livré à domicile. Récit d'une expédition en béatitudes.

Décor de Paul Joukowski pour la création de Parsifal : la cérémonie du Graal

Uwe Eric Laufenberg a bien compris comment capter l'attention d'un certain public ayant lu dans le célèbre Guide d'Albert Lavignac qu'on pouvait se rendre à Bayreuth "à pied, à cheval, en voiture, à bicyclette, en chemin de fer, et le vrai pèlerin devrait y aller à genoux". Avec la conviction chevillée au corps que ce Festival scénique sacré (Bühnenweihfestspiel) ne pouvait être représenté autrement que dans un contexte liturgique ou religieux, ce public est donc en attente d'autre chose qu'un simple "opéra". Il faut voir grand et viser haut, condition essentielle pour atteindre au sublime et toucher au divin. C'est peu de le dire mais le résultat nous tombe des yeux. Ce Parsifal fait le grand écart entre une modernité perçue simplement par une inscription dans l'actualité géopolitique, et une tradition constituée d'une série de postures tout droit sorties d'une collection de vignettes Liebig.

Cérémonie du Graal Acte I (2018)

On sourit à l'idée du scandale qu'aurait provoqué Jonathan Meese, postulant écarté prudemment par l'administration du Festival… En faisant le choix de Uwe Eric Laufenberg, directeur du Hessisches Staatstheater de Wiesbaden, Bayreuth a joué la carte de la sécurité et du sécuritaire (à constater le nombre de policiers en armes filtrant les spectateurs à l'entrée de la salle). Cette conséquence fortuite est le résultat d'options intellectuellement aussi douteuses que grossières, qui conduisirent à des épisodes aussi piquants qu'un contrôle d'identité de Klaus Florian Vogt, au moment d'entrer sur scène au III avec fusil d'assaut et cagoule noire sur le visage. De toute évidence, on peine ici à atteindre le niveau et l'ambition de la production Boulez-Schlingensief ou la fabuleuse fresque socio-historique imaginée par Stephan Herheim, un peu dans la veine du film de Hans-Jürgen Syberberg.

Thomas Johannes Mayer (Amfortas), à droite, Elena Pankratova (Kundry)

Le rideau se lève sur l'intérieur d'une église visiblement détériorée par des bombardements et qui sert d'abri à des réfugiés allongés sur des lits Picot. Une réminiscence de publicité Panzani fait tomber de la voûte un rayon de lune qui signale au spectateur somnolent la présence divine en ce lieu. Un figurant lève la main vers ce signe de la Providence pour signifier qu'il a compris le message. Bienheureux le peuple des élus du Seigneur, il sera convié au moment de la musique de transformation à un voyage en zoom arrière-avant façon Google Earth, à la rencontre de l'infini puis à une redescente expresse du théâtre d'opération du Moyen-Orient. On notera au passage que la présence de Dieu, si énigmatique les années précédentes, est ici affirmée par un mannequin non plus assis mais debout, avec un bâton de berger en forme de crosse et observant la scène depuis le sommet de la voûte…
On comprend qu'il reste plongé dans sa méditation en contemplant le spectacle qui se déroule en dessous : l'irruption des populations locales, chassées par des miliciens, le drame du petit Aylan, mis en parallèle avec la mort du cygne et cette cérémonie du Graal façon Grand-Guignol, avec le corps supplicié d'Amfortas transformé en buvette sanguinolente… Heureusement, le ballet des filles-fleurs laisse comprendre qu'il y a une vie sous la burqa et que toutes les femmes opprimées au Moyen-Orient rêvent secrètement de devenir danseuses du ventre.

Derek Walton (Klingsor)

Ce diable de Klingsor collectionne les crucifix comme autant d'âmes de chevaliers prisonniers de la luxure. Il affectionne tout particulièrement un modèle phallique qui ne semble malheureusement n'avoir plus de pouvoir sur cette rebelle de Kundry empruntant la sensualité carnassière à la Saraghina de Otto e mezzo de Fellini … Particulièrement mal choisi, l'uniforme américain du soldat Parsifal rappelle que la cavalerie sonne la charge au bon moment. Il n'aura d'ailleurs qu'à saisir la lance et la briser en deux pour former une croix, le fétichiste fou voit toute sa collection tomber à terre et il en meurt sur le coup.

Acte III : Elena Pankratova (Kundry), Andreas Schager (Parsifal) Günther Groissböck (Gurnemanz)

Il ne reste plus que les yeux pour pleurer à cette Kundry devenue impotente et parkinsonienne (https://wanderer.legalsphere.ch/2017/07/kundry-nettoie-frigo/) qu'à nettoyer son frigo des restes de repas en décomposition, tandis que Gurnemanz promène sa dégaine d'Abbé Pierre, le visage grêlé de lèpre. L'enchantement du Vendredi-Saint se déroule sur fond de jeunes gens de toutes origines ethniques et culturelles prenant leur douche au milieu de plantes grasses géantes, comme aux riches heures de la publicité des années 80 pour des produits de beauté. Œcuménisme et bien-pensance encore avec le retour de la lance-croix, occasion d'une longue et lénifiante cérémonie qui se conclura par un défilé de juifs, musulmans, orthodoxes jetant dans le tombeau de Titurel tous leurs objets de culte, préférant la paix à la guerre.

Par bonheur, le plateau rattrape en partie les approximations de la mise en scène. Andreas Schager succède à Klaus-Florian Vogt dans un rôle-titre qu'il chante aux antipodes de son aîné. Là où Vogt parvient à faire de son chant un récit, Schager impose une puissance et une autorité héroïque. La ligne n'est pas toujours particulièrement soignée, à en croire les nombreux passages où les changements de registres sont tendus et le vibrato forcé. La Kundry d'Elena Pankratova chante tout droit une Kundry invariablement forte et volumétrique. Plus Elektra que jamais, elle sacrifie les concessions au jeu d'acteur qui aurait pu donner plus de vie et de vérité à son personnage. Günther Groissböck fait ses premiers pas dans la production sous les traits de Gurnemanz. Énergique et enjoué, il fait écho aux bonnes impressions de sa prestation parisienne, moins à son aise toutefois que Georg Zeppenfeld qui avait soulevé l'enthousiasme les deux premières années.

Thomas Johannes Mayer (Amfortas)

Le Amfortas élimé de Thomas Johannes Mayer peine à convaincre, tandis que le Klingsor banal de Derek Welton ne peut faire oublier la prestation magistrale de Wolfgang Koch à Munich, quelques semaines auparavant. La bonne prestation des chevaliers du Graal rejoint celle des filles-fleurs, dominées par la voix légère de Ji Yoon tandis que Wiebke Lehmkuhl réussit sa courte intervention en Altsolo. Surprise de taille : les chœurs n'ont pas la densité et la précision qu'on leur connaît. La faute en partie à la mauvaise idée d'ouvrir complètement le décor et les faire chanter vers l'arrière de la scène dans le final…

Après la défection de dernière minute d'Andris Nelsons, Hartmut Haenchen avait fait mieux que sauver la production. L'arrivée de Semyon Bychkov laissait espérer une direction de grande qualité et sur ce point, nous n'avons pas été déçus. Sa prestation est supérieure et plus cohérente que les concerts viennois entendus il y a quelques mois. On est ici dans un Parsifal classique, avec des tempi volontiers ralentis pour en souligner la pompe et la hauteur d'esprit, même si la récente performance de Kirill Petrenko prouve qu'on peut parvenir à des hauteurs supérieures en dimensionnant la fosse à une lecture chambriste et souveraine.

Scène finale

 

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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.
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2 Commentaires

  1. Si je comprends bien, il y a cette année à Bayreuth, 2 mises en scène complètement ratées (Parsifal et Lohengrin) et 2 très discutables ( Le Vaisseau et Tristan). Et pour 2019 se profile , malgré Gergiev, un très inquiétant Tannhäuser de Tobias Kratzer, qui a monté l'œuvre à Brême de façon très pornographique.
    Depuis 10 ans qu'elle est là, K.Wagner a presque tout raté. Un seul espoir : que la Fondation ne lui renouvéle pas son mandat à la tête du Festival.

    • Je ne porterai pas de jugement sur le mandat de Katarina Wagner mais,s’il y a eu des ratés,il y a eu des très belles mises en scène (Meistersinger et le génial Ring de Castorf).Je ne serai pas aussi sévère que Monsieur Verdier sur le Parsifal de Laufenberg.Seul ratage,directement imputable à Katarina Wagner,le Tristan,mais il me semble que Wanderer avait bien aimé.

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