Wolfgang Amadeus Mozart (1756–1791)
Die Zauberflöte (1791)
Singspiel en deux actes
Livret d’Emanuel Schikaneder
Créé le 30 septembre 1791 au Theater auf der Wieden à Vienne

Direction musicale : Frank Beermann
Conception, mise en scène, chorégraphie : Pierre Rigal
Dialogues et écriture additionnelle, dramaturgie : Dorian Astor
Lumières : Christophe Bergon
Musiques et sons additionnels : Joan Cambon
Danse : Mélanie Chartreux
Dramaturgie, mise en scène, scénographie, costumes : Roy Genty
Scénographie, costumes : Adélaïde Le Gras
Graphisme : Rocio Ortiz
Scénographie, coordination technique : Frédéric Stoll
Dramaturgie, mise en scène : Agathe Vidal

May Hilaire (Mozart)
Ferdinand Régent-Chappey (Schikaneder)
Valentin Thill (Tamino)
Marie Perbost (Pamina)
Christian Zaremba (Sarastro)
Marlène Assayag (La Reine de la Nuit)
Kamil Ben Hsaïn Lachiri (Papageno)
Céline Laborie (Papagena)
Paco Garcia (Monostatos)
Stephan Loges (L'Orateur)
Andreea Soare (Première Dame)
Irina Sherazadishvili (Deuxième Dame)
Marie-Andrée Bouchard-Lesieur (Troisième Dame)
Pierre-Emmanuel Roubet (Premier Prêtre / Premier Homme d'Armes)
Nicolas Brooymans (Deuxième Prêtre / Deuxième Homme d'Armes)

Solistes de la Maîtrise du Capitole
Marie Chartier, Lana Goulpie, Leslie Matynia (Trois Garçons)
Danseuses et danseurs : Mélanie Chartreux, Xavier-Gabriel Gocel, David Mazon Fiero, Léa Perat, Camilo Sarasa Molina

Chœur du Capitole
Chef des chœurs : Patrick Marie Aubert
Chef de la Maîtrise : Gabriel Bourgoin 
Orchestre national du Capitole

 

Toulouse, Théâtre National du Capitole, jeudi 23 décembre, 20h

Toulouse et Nancy ont eu l'idée de programmer La Flûte enchantée de Mozart pour célébrer les fêtes de fin d'année. Si ces initiatives sont une aubaine pour la billetterie, la réalisation peine à s'élever au-delà d'un niveau très moyen. Coproduite par l'Opéra de Rouen-Normandie, cette Flûte toulousaine navigue sur le fil étroit du conte initiatique et de la comédie populaire, sans clairement se déterminer. Les instruments scénographiques du chorégraphe et metteur en scène Pierre Rigal offrent au regard un vaste album d'images où prime la lisibilité de l'action, quitte à réduire la portée symbolique de certains symboles. Le plateau vocal fait entendre un cast jeune et pour la plupart inédit, solidement soutenu par la direction de Frank Beerman à la tête de l'excellent Orchestre National du Capitole. 

Valentin Thill (Tamino), Kamil Ben Hsaïn Lachiri (Papageno)

Une semaine après le manège enchanté d'Anna Bernreitner, le Théâtre du Capitole propose un parcours guidé au pays de Sarastro, jalonné de poteaux indicateurs et de commentaires – parcours imaginé par le danseur et chorégraphe Pierre Rigal qui signe ici une première mise en scène. S'il n'est pas dénué d'ambitions, le projet peine cependant à dégager une réelle cohérence, multipliant options et pistes de lecture… Comme toujours dans la Flûte, l'essentiel se concentre, non pas sur la finalité des épreuves que traversent Tamino et Pamina (on se doute bien qu'ils vont réussir), mais sur l'idée même de parcours initiatique. Pierre Rigal le mentionne justement dans le programme de salle : "On a ainsi la sensation nette que ce qui importe n’est pas tant l’aboutissement de cette aventure que le cheminement que les personnages y ont fait. Le trajet prévaut sur la destination." Hélas, la lecture qu'il nous donne de ce parcours se borne à un alignement d'images et d'idées qui fractionnent le livret de Schikaneder au lieu d'en souligner les échos et les lignes.

Maîtres d'œuvre de cette entreprise de déconstruction, ces deux narrateurs en gilet et culotte de soie qui font leur apparition dès l'ouverture tels des doubles du compositeur et son librettiste. Ils accompagnent l'action en mimant tantôt des querelles, tantôt des admirations communes et surtout en lisant au micro (et en français…) une large part des récitatifs que les chanteurs articulent en version muette. Cette option se double d'ajouts visuels et sonores qui modernisent prudemment le livret, sans parler des commentaires qui s'affichent sur deux panneaux au-dessus de la scène pour donner de l'action une version décalée dont la visée didactique se double d'interventions assez encombrantes et inutiles d'un petit groupe de danseurs-figurants. Tout cet appareillage de distanciation sert de fil rouge à la représentation mais sans proliférer vers un champ de références qui aurait pu enrichir la lecture au lieu de la plomber en la maintenant sous l'angle unique du commentaire de Mozart et Schikaneder en train d'organiser à vue la construction de leur chef d'œuvre.

Pierre Rigal ne dissimule pas une volonté de guider le spectateur au plus près d'une grille de lecture éclairante. En témoignent ces interventions (décors, personnages, symboles) qui tombent verticalement des cintres comme des toiles peintes, à commencer par ce serpent de planche anatomique que scindent en trois morceaux les flèches des trois Dames ou bien Papageno débarquant sur scène en deltaplane avec tout son cortège ornithologique avec, en fond de scène, une immense photographie du Mont Cervin. Les trois Dames arborent d'étranges hennins orientalisants, d'une hauteur assez considérable. Les trois couleurs (cyan, jaune et magenta) rappellent les couleurs primaires dont la superposition produit le blanc – une façon de souligner leur allégeance à la Reine de la nuit toute de blanc vêtue ? Lors de sa première intervention, le Cervin se fissure en deux en découpant un énigmatique profil féminin (Pamina ?), tandis qu'elle s'avance accompagnée d'une figurante avec une immense perruque blanche en forme de flocon de neige.

Kamil Ben Hsaïn Lachiri (Papageno)

Un Tamino adolescent et peroxydé ira à la rencontre d'une Pamina en perruque mauve, non sans avoir fait le plein de sa voiture à la station-service "Totalité", avec ses trois pompes Nature, Sagesse et Raison. Les Anciens y verront les trois vertus de Sarastro, les Modernes se concentreront sur les images et le générique du jeu vidéo Grand Theft Auto 4… De 9 à 99 ans, il y en a ici pour tous les goûts, jusqu'à cette équipée de Monostatos et ses sbires roulant à vélo en tenue de livreurs de pizza – allusion à un esclavage économique qui pourrait bien nous faire douter finalement des intentions de ce placide Sarastro au crâne glabre et surdimensionné… Ici comme ailleurs, les pistes de lecture abondent sans toujours aboutir et finissant par se neutraliser dans un second acte scéniquement plus sobre, avec un rideau fait de longues bandes sombres entre lesquelles on découvre les espaces où se déroulent les épreuves – espaces qui laissent voir à nus les murs de l'arrière-scène, avec le chœur et les personnages qui se croisent au moment de la mise en place. Pas de surprise de dernière minute dans la conclusion, mis à part le retour du deltaplane emportant le couple Papageno-Papagena après que la Reine de la Nuit ait été engloutie dans les entrailles de la Terre.

Le Théâtre du Capitole aura prévu pour l'ensemble des représentations un très judicieux double cast présentant l'avantage de répondre au pied levé aux aléas de la crise sanitaire mais également de faire entendre de jeunes voix avec lesquelles on fait connaissance pour la première fois. Le Cast B est à l'honneur ce soir-là, avec la prestation de Marie Perbost qui domine les débats avec une Pamina très affirmée et très volontaire. Peu d'évanescence et de tourments dans un Ach, ich fühl’s où l'option vise la pétulance aux confins de l'optimisme… Le contraste joue ici en défaveur d'une Reine de la Nuit particulièrement neutre et sans pulpe de Marlène Assayag, audiblement concentrée sur ses contre-fa dans Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen mais savonnant le registre intermédiaire. Le Papageno de Kamil Ben Hsaïn Lachiri ose dans Der Vogelfänger bin ich ja une lecture qui se joue des syllabes, rivalisant d'insolence et de brio là où le Tamino de Valentin Thill peine un peu à affirmer son personnage au-delà d'une incarnation très scolaire (Dies Bildnis ist bezaubernd schön). Peu à retenir en revanche du Sarastro de Christian Zaremba dont la ligne rétrécie dans O Isis und Osiris s'embourbe carrément dans In diesen hei’gen Hallen. Céline Laborie se tire avec brio du rôle très court de Papagena tandis que le Monostatos de Paco Garcia tire de son personnage une matière bouffe avec juste ce qu'il faut d'irrévérence pour ne pas verser dans histrionisme. On réunira à l'Orateur sensible et soigné de Stephan Loges, la prestation de

Pierre-Emmanuel Roubet et Nicolas Brooymans (Prêtres et Hommes d'Armes). Andreea Soare enfin, dynamise le groupe des Trois Dames dont la ligne générale manque parfois de cohérence et d'allant, en écho aux trois timides et diaphanes Garçons étrangement grimés en maharajas d'opérette mais sans commune mesure avec l'excellence du Chœur du Capitole dont on mesure sans peine l'excellence de la préparation de Patrick Marie Aubert.

Invité au Capitole par Christophe Ghristi pour y diriger Parsifal (2020) et Elektra (2021), le chef allemand Frank Beermann livre un Mozart peu contrasté où les effets s'effacent volontiers au bénéfice d'une lecture qui joue ses options cartes sur table. L'Orchestre National du Capitole offre un écrin superlatif, avec une petite harmonie et des cordes très nuancées. La ligne expressive un peu droite et solennelle limite à des tempi réguliers un certain nombre d'ensembles dans l'acte II, préférant la sécurité des entrées au risque et à l'inventivité qui auraient pu mettre en avant la multiplicité des styles et des langages.

Valentin Thill (Tamino), Marie Perbost (Pamina)
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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.
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