La mise en scène de Anna Bernreitner joue sur des ressorts dramatiques qui réduisent la Flûte enchantée à un conte pour enfants, n'hésitant pas à recourir à des décors à tournette qui rappelleront de bons souvenirs aux téléspectateurs d'une célèbre émission des années 1970((Le Manège enchanté)). Pas de Zébulon ni de Pollux ici, mais un royaume de Sarastro en carton-pâte avec des donjons façon Neuschwanstein et un paysage montagneux avec rochers peints. Les protagonistes évoluent dans un univers rose bonbon et bleu pastel, avec perruques violettes et abondants jabots – univers où l'innocence et la pétulence queer est imagée et imaginée par Hannah Oellinger et Manfred Rainer. Papageno a troqué ses plumes et sa flûte contre une improbable nuisette verte et brodequins, avec une boîte-carillon magique. Le chœur évolue en toges à rayures pastels, la tête recouverte d'un heaume en plastique blanc qui donne à l'ensemble une furieuse allure de défilé Courrèges éclairé par les spots psychédéliques de Olaf Freese.
Des animations bien laborieuses rappellent vaguement la production Barrie Kosky, sans en égaler toutefois le rythme effréné ni le génie conceptuel. Limitées à des éléments isolés, elles se bornent à l'inévitable serpent et des détails comme l'oiseau vert de Papageno, des mâchoires grimaçantes qui interdisent l'accès des portes dans l'acte II ou bien ce décor qui passe de la lumière à l'obscurité pendant l'air de Sarastro (O Isis und Osiris), colorant involontairement l'écoute d'une impression de gluant et de poisseux. Pas vraiment de flûte pour Tamino, mais un sceptre assez indéfinissable qui parfois se met à vibrer en menaçant de faire perdre l'équilibre à son propriétaire – gag doublé d'animations montrant la Reine de la Nuit et Pamina luttant l'une contre l'autre à coups d'éclairs façon Dragonball. La mise en scène rabote aisément toute complexité dans la relation Sarastro – Reine de la Nuit, montrant les deux personnages qui se réconcilient à la conclusion, le premier en combo perruque rose Marie-Antoinette et barbe à papillotes, la seconde avec un croissant de lune sur la tête et robe sombre à corbeille.
La direction d'acteur, souvent au ras des pâquerettes, ne permet pas vraiment de donner à l'ensemble un rythme et une énergie qui pourrait faire oublier l'esthétique bancale de la scénographie. Il faut donc se rabattre sur un plateau, somme toute assez moyen, pour tenter de déceler des individualités qui pourraient animer la soirée. Le Papageno de Michael Nagl domine les débats et ce, dès son entrée avec un Der Vogelfänger bin ich ja à la fois sanguin et endurant qui fait oublier la mise ridicule qui l'oblige à ouvrir et fermer les pans de son costume dégenré. Le numéro d'acteur s'épuise un peu au contact du Tamino de Jack Swanson, appliqué à domestiquer son vibrato dans Dies Bildnis ist bezaubernd schön avant de trouver progressivement ses appuis dans le second acte. Christina Gansch campe une Pamina pas toujours irréprochable dans la projection et les changements de registres, mais capable dans Ach, ich fühl’s de suspendre le temps et faire passer une émotion palpable. La Reine de la Nuit de Christina Poulitsi n'est pas pleinement à son aise, suspendue aux cintres pour ses deux airs, visant parfois trop bas dans O zittre nicht, mein lieber Sohn, elle joue la sécurité dans Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen pour décrocher ses contre-fa, au prix d'une relative neutralité dans l'incarnation et la surface vocale. Belle sobriété également pour le Sarastro de David Leigh, dont l'accoutrement fantasque dénote avec l'émission globalement très sobre et presque grisonnante quand survient le In diesen hei’gen Hallen. Anita Rosati assure un service minimum avec une Papagena privée d'abattage, tandis que la palme bouffe revient, sans vraiment briller, au Monostatos de Mark Omvlee. Les Trois Dames de Susanna Hurrell, Ramya Roy et Gala El Hadidi sont souvent tentées par le volume et les décibels, au détriment de l'homogénéité – un défaut que s'appliquent à contourner les trois solistes du Chœur chargées de remplacer les trois Enfants laissés à l'isolement pour cause de covid… L'Orateur de Christian Immler complète de belle manière une distribution que la direction de Bas Wiegers peine à dynamiser vraiment. Le chef néerlandais tire de l'Orchestre de l’Opéra national de Lorraine un discours peu contrasté, tant dans la variété des valeurs rythmiques que dans la palette des timbres. L'abattage un peu court de l'introduction s'enlise fréquemment dans un jeu de faux-semblants où les accélérations subites valent comme effets de surprise, éventés par une tendance à un Mozart aux angles émoussés mais paradoxalement motorique dans l'impression générale.