Programme

Anna Larsson, alto
Magnus Svensson, piano

Richard Wagner (1813–1883)
Wesendonck Lieder (1858)
Der Engel
Stehe Still
Im Treibhaus
Schmerzen
Traüme

Albumblatt en Do Majeur « In Das Album der Fürstin Metternich » (1861)

Ture Rangström (1884–1947)
Notturno, tre sånger (1917)
Havet susar
En värld av skräck
En dyning suckar lågnt ifrån

Pause

Gustav Mahler (1860–1911)
Kindertotenlieder (1904).
Nun will die Sonn’ so hell aufgeh’n
Nun seh’ ich wohl warum so dunkle Flammen
Wenn dein Mütterlein
Oft denk’ ich, sie sind nur ausgegangen !
In diesen Wetter, in diesem Braus

Clara Schumann (1819–1896)
Romance en si mineur (1856)

 

Richard Strauss (1864–1949)

Traum durch die Dämmerung, tiré de Drei Lieder op. 29/1 (1895)
Die Georgine
, tiré de Acht Lieder aus Leter Blätter op. 10 (1885)
Für funfzehn Pfenninge
tiré de Vier Lieder op. 36 (1898)
Cäcilie, tiré de Vier Lieder op 27 (1894)

Rappel :
Ture Rangström (1884–1947)
Bön till natten (1924)

 

 

Stockholm, Konserthuset, Grünewaldsalen, mardi 17 novembre 2020.

La récréation est finie. Alors que la Suède résistait encore à la doctrine généralisée du confinement et ne proposait que des recommandations, le gouvernement a choisi le 16 novembre sinon de durcir le ton du moins de restreindre le champ des possibles. Une interdiction de vente d’alcool après 22h et la fin de l’exception qui permettait aux restaurants d’organiser des événements culturels, voilà qui mine les stratégies obliques de certaines salles de concert (jazz notamment, on pense à la salle mythique de Fasching) qui proposaient des dîners/concerts, avec service à table. Surtout, la restriction de cinquante personnes pour les rassemblements tombe à 8 et ce pour au moins quatre semaines. Si Berwaldhallen après une courte ouverture, a décidé depuis le mois de novembre de refermer ses portes au public, Konserthuset persévérait jusqu’alors dans sa production de concerts pour « cinquante heureuses personnes » suivant la formule désormais consacrée. Qu’en sera-t-il maintenant avec une jauge de huit ? Cela ressemble fort à une mesure de fermeture déguisée…
Pour l’heure, les nouvelles recommandations ne prenant effet que le 22 novembre, les deux derniers concerts à cinquante sont maintenus : un récital « Romances » Anna Larsson/Magnus Svensson ce mardi, l’au revoir du public à l’orchestre aura lieu jeudi avec Alan Gilbert sur un programme Schumann, Brahms, Haydn. Tout semble suspendu voire annulé (Welser-Möst notamment..), seul Igor Levit est encore annoncé en décembre pour le concert Nobel (le 8 décembre) et pour conclure son intégrale avec les trois dernières sonates de Beethoven (le lendemain), cette fois-ci sans public, pour la gloire du streaming.
Mais quittons les tristes nouvelles pour revenir à la soirée de ce mardi, où Anna Larsson et Magnus Svensson nous ont donné un fort beau programme, copieux, sensible et plein d’émotions.

Magnus Svensson et Anna Larsson

Comme à l’habitude, on s’attardera sur la chance d’assister à ce genre de récital devant un public réduit, ce qui ressuscite des impressions de lecture. C’est une matinée Guermantes, nous sommes le petit noyau Verdurin, Anna est Rachel, Magnus Charlie Morel… La réalité est plus prosaïque : le petit noyau est composé principalement des abonnés ayant choisi la série annuelle Romances, quant à moi, Jupien plutôt que Swann, j’ai arraché sur le fil une place à la billetterie, une place annulée dans l’après-midi.

Magnus Svensson, adolescent, travaillait déjà avec Iréne Theorin et Malin Byström et a, bien sûr, construit son répertoire avec toutes les grandes voix nordiques et notamment suédoises de ces dernières années (citons entre autres, Karnéus, Rombo, Dalayman, Weinius, Lundgren…). On lui connait également une activité de rédacteur pour L’Académie Musicale Royale et son investissement dans la vie artistique suédoise est bouillonnant.

Il sera le monsieur Loyal de la soirée, rappelant un peu les prestations du violoncelliste du quatuor Arod, showman cultivé. Il nous annonce que le programme de ce soir a été conçu selon leurs bons soins comme un dîner varié, avec des douceurs mais pas seulement et qu’il faudra s’attendre à des choses plus piquantes. On ne présente plus Anna Larsson, dont on rappelle la présence en 2003 dans la Deuxième symphonie "Résurrection",  de Mahler avec Abbado et le Lucerne Festival Orchestra, un concert resté mythique. Pour notre part, on l’a vue la dernière fois dans la grande salle de Konserthuset pour la même œuvre, il y a un an, à quelques jours près (lire le compte-rendu plus bas).

On rentre presque à froid dans le vif du sujet avec les Wesendonck Lieder. Der Engel est très retenu, comme le seront d’ailleurs tous les lieder de Wagner et de Strauss.. Un élan comprimé, une voix fragile qui se cherche dans l’intériorité, c’est un recueillement.

Stehe Still est plus nerveux et la voix d’Anna Larsson se  drape désormais de sons plus veloutés, tombe dans des silences qui forcent notre attention et suspendent notre souffle.

Avec Im Treibhaus, Anna atteint son rythme de croisière et nous entraîne dans des tourbillons vertigineux ascendants et descendants. C’est aussi à ce moment qu’on remarque que Magnus Svensson, grand blond qui chantonne au piano, tout dans la joie d’accompagner et de jouer, porte une chaussette blanche et l’autre rouge vif. Joueur donc, et facétieux comme Pierre Richard.

Sur Schmerzen la voix de Larsson se développe totalement et se permet des aigus héroïques qui déchainent des applaudissement intempestifs au premier rang, tout à fait mérités et disons même, tout à fait bienvenus !

Traüme nous abîme dans la puissance hypnotique  des harmonies Tristaniennes, avec une Larsson qui nous coule en elle et un Svensson, souple et profond.

Allvergessen, Eingedenken((Oubiant tout, se souvenant d’un(e)))

Magnus Svensson prend le micro pour introduire une pièce pour piano de Wagner, Albumblatt en Do Majeur « In Das Album der Fürstin Metternich », en apostrophant le public pour lui demander s’il connaît les œuvres de Wagner hors opéra. Quelques mains se lèvent. Quel public cultivé, s’exclame Svensson.

L’idée du programme est de nous faire découvrir le côté méconnu de Wagner avec un morceau qui, précise-t-il, ressemble à un aria. On retrouve tout le sel de ce pétillant interprète avide de faire partager, de transmettre, de surprendre. Son interprétation est souple et vive. C’est une bonne surprise et le premier cadeau de ce programme hors sentiers.

Anna Larsson revient, avec partitions, pour Notturno, tre sånger (1917)((Nocturne, trois chansons)) du compositeur suédois Ture Rangström (1884–1947). On lui connait 300 lieder pour voix et piano (avec des textes tirés notamment de Des Knaben Wunderhorn et d’autres d’un certain… Walther von der Vogelweide !), des pièces de piano d’après des poèmes d’August Strindberg, différentes musiques de scène (dont un opéra d’après Strindberg, Kronbruden).

La prestation est nettement plus spectaculaire. Havet susar((la mer chuchote)) est propice aux déferlements. Sur En värld av skräck((un monde d’horreur)) la voix est plus maîtrisée et la puissance submerge.

Dans En dyning suckar lågnt ifrån((la houle soupire de loin)), Anna Larsson nous enveloppe totalement dans ses graves soyeux.

La  musique de Ture Rangström est propice aux éclats, plus rêche, plus tonitruante, plus pathétique aussi. On sent que c’est une musique plus facile mais étonnante dans ses montagne russes d’ambiance. Anna Larsson y est chez elle, dans des textes issus des cette époque culminante de l’art suédois dans tous les domaines ((Anders Zorn et Peter Larsson en peinture, Strindberg au théâtre)).

Une pause sous le plafond bombé du foyer nous permet de constater que le premier ministre Stefan Löfven n’a peut-être pas tout à fait tort de froncer les sourcils : une (petite) partie du public (à risque) papote en groupes peu respectueux des distances, alors que Konserhuset a, une fois de plus, prévu toute une série de mesures visant à éviter les contacts (abondance de tables individuelles, mise à disposition de verres d’eau, temps de pause longs pour entrer et sortir etc..). Le plaisir est certes grand de se fondre à nouveau dans la communauté du public mais…

Deuxième plat de résistance, et une fois de plus, à froid (disons tiède), Kindertotenlieder (1904).

Nun will die Sonn’ so hell aufgeh’n nous laisse suspendus, presque haletants dans ce soin choisi, cette diction si poétique d’Anna Larsson. On pense à Kathleen Ferrier, à la production Warlikowski de Salomé… Svensson ouvre un monde clos, un monde de réflexion, d’espaces laissés vides.

Avec Nun seh’ ich wohl warum so dunkle Flammen, là encore le moment est tendu, concentré mais Anna Larsson laisse surgir quelques explosions de douleurs enflammées, plus profondes de tristesse que pyrotechniques. La puissance est toujours contenue plutôt que retenue.
Sur Wenn dein Mütterlein, Anna Larsson retrouve une liaison de registre incroyable, toute de pâte lissée.
Les deux derniers lieder Oft denk’ ich, sie sind nur ausgegangen ! et In diesen Wetter, in diesem Braus nous embarquent dans un train d’émotions. Ce ne sont plus les zigzags de Rangström mais un long voyage noir et résigné dans les enfers du deuil. Dans le dernier lied, les aigus de Larsson comme le piano claquent (on pense à l’Orage dans le Rigoletto de Verdi) et contrastent avec les instants suspendus du choral consolateur. Respirons-nous encore ? Peut-être.

C’était, en tout cas, autant un voyage dans l’âme endeuillée qu’une leçon de maîtrise, de profonde finesse d’une chanteuse de lied, capable d’émouvoir, de toucher sans recourir à l’armada d’une puissance vocale, ou aux effets. Svensson accompagnait au cordeau, loin de tout travers démonstratif, tout au service de l’expression.

Prenant une fois de plus le micro, il nous invite à considérer les Kindertotenlieder comme des chants sur la perte d’enfants (ceux de Rückert puis, hélas, de Mahler) bien sûr mais qui nous invitent à méditer aussi sur notre époque particulièrement endeuillée. Il annonce la Romance en si mineur (1856) de Clara Schumann dans cette partie du récital évoquant la mort. Ici celle de son mari, la tristesse de la compositrice et le devoir, seule désormais, de subvenir aux besoins de la famille amputée. La composition date de la période de Noël suivant le décès. C’est une œuvre triste mais aussi pleine d’amour que Svensson nous invite à écouter.

On  retrouve tous les accents Schumanniens dans une composition de facture très classique mais, effectivement, pleine de mélancolie et de chaleur. La tristesse est subtilement contenue dans le corset d’une forme définie mais propre aussi à transmettre l’intime. Svensson ne surjoue pas, laisse venir les sentiments. C’est très touchant.
Vient enfin le temps des desserts, avec Strauss, souligne Svensson.
Traum durch die Dämmerung, tiré de Drei Lieder op. 29/1, est plastique et agile, plongeant dans les graves pour gravir à nouveau tout le spectre.
Die Georgine (tiré de Acht Lieder aus Leter Blätter op. 10) est superbement gracieux quant à Für funfzehn Pfenninge (Vier Lieder op. 36), texte issu de Des Knaben Wunderhorn, Anna Larsson nous l’interprète de manière très ironique, théâtrale même, serpentant texte et corps.
Encore plus étonnant, Cäcilie (Vier Lieder op 27) dans lequel Nina Stemme explosait littéralement lors de son rappel dix jours auparavant (lire le compte-rendu plus bas). Il tire ici, au contraire, sa puissance de son intériorité, nous tirant vers la chaleur de l’introspection, de la douceur tranquille. Et c’est un tout autre lied, une autre façon d’aimer.
C’est une Anna Larsson très émue qui remonte sur scène pour le rappel, évoquant son éloignement du public depuis février dernier à Londres. Elle nous confie alors sa nervosité, calmée et accompagnée par Magnus Svensson, chaleureux cornaqueur en répétition et sur scène. C’est une grande dame sensible et fragilisée par une situation mortifère qui se livre là dans une communion retrouvée avec le public. Ce qui achève de nous bouleverser.
Elle introduit Bön till Natten((Prière à la nuit)) une dernière pièce de Ture Rangtröm, compositeur cher à son cœur, dramatique et pathétique certes mais aussi, comme ici, très intime. Et on fond.
Le concert est visible gratuitement et sans enregistrement quelconque sur la plateforme Play de Konserthuset :
https://www.konserthuset.se/play/romanser-med-anna-larsson/

Pendant la pause, Anna Larsson est interviewée par Tony Lundman (malheureusement sans sous-titres). Elle revient notamment sur ses débuts internationaux avec Claudio Abbado ou encore sur le plaisir (c’était aussi le cas avec Karina Cannelakis) de pouvoir se retrouver chez soi sur une longue période. Anna Larsson raconte également ses projets mis entre parenthèses, comme chanteuse mais aussi comme productrice, notamment d’un opéra de chambre, Im Treibhaus, musique Staffan Storm, libretto de Ebba Witt-Brattström, sur Mathilde Wesendonck et Richard Wagner. La création repoussée l’été dernier, aura lieu, on l’espère, fin juillet 2021 dans Konsertladan, charmante scène construite  en 2011 par les époux Larrson/Eliasson, à Vattnäs, Dalécarlie.
Les billets peuvent d’ores et déjà se réserver ici :
http://konsertladan.com/im-treibhaus

Salut final : Magnus Svensson et Anna Larsson

 

 

 

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Guillaume Delcourt
Il collabore, en amateur revendiqué, depuis les années 2000 à divers médias, de la radio associative à la programmation et l’organisation de concerts, festivals et happenings (Rouen, Paris, Stockholm) dans les champs très variés de la musique dite alternative : de la pop à la musique électro-acoustique en passant par la noise et la musique improvisée. Fanziniste et dessinateur de concerts, ses illustrations ont été publiées dans les revues Minimum Rock n’ Roll et la collection Equilibre Fragile (revue et ouvrages) pour laquelle il tient régulièrement une chronique sur la Suède. Il contribue, depuis son installation sous le cercle polaire, en 2009, à POPnews.com, l’un des plus anciens sites français consacrés à la musique indépendante. Ces seules passions durables sont À La Recherche du Temps Perdu de Marcel Proust, les épinards au miso et la musique de Morton Feldman. Sans oublier celle de Richard Wagner, natürlich.
Crédits photo : © Konserthuset (vidéo) Romanser med Anna Larsson
© WandererSite (DR) (Salut)

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