Chantal Cazaux
Rossini Mode d'emploi

Editions Premières Loges
240 pages (relié)

Date de parution : 10/2020

ISBN : 978–2‑84385–497‑2

28,00 €

Ouvrage paru le 14 octobre 2020

Dans l’excellente collection « Mode d’Emploi » des éditions Premières Loges qui sur des sujets aussi divers que la Comédie musicale ou les opéras de Janáček propose des ouvrages monographiques rigoureux, mais néanmoins accessibles à un large public, Chantal Cazaux, après Verdi et Puccini, propose cette fois avec Rossini mode d’emploi, une monographie aussi détaillée et amoureuse que possible de l’oeuvre de Rossini, qui n’est pas toujours aussi connu en France qu’on pourrait le croire, bien qu’il ait vécu à Paris de nombreuses années jusqu’à sa mort.

Dans sa bibliographie Chantal Cazaux signale les ouvrages essentiels en français et l’on remarque les expressions « concis » ou « succinct », soulignant ainsi le manque d’une somme de référence, l’unique ouvrage « scientifique » (issu d’une thèse) est celui de Paul-André Demierre sur les opéras napolitains de Rossini : quelles que soient les qualités des livres parus sur Rossini en France, il reste à écrire LE livre en français sur Rossini. En Italie, le Dizionario Rossiniano de Rescigno est introuvable, et la bibliographie rossinienne n’est donc pas comparable à la bibliographie verdienne, où l’on trouve des ouvrages considérables.
La parution de cet ouvrage est donc bienvenue, parce qu’il comble un vide singulier et un peu surprenant.
C’est paradoxal : Rossini fut considéré de son vivant comme un Dieu, une référence, une révérence ; pendant la première moitié du XIXe, ses opéras remplissaient les grands théâtres en Europe, en Italie bien sûr, mais aussi à Paris, Londres ou Vienne, et longtemps après qu’il eut arrêté de produire. Par ailleurs, en dehors de Donizetti qui fut l’un de ses plus fidèles « disciples » voire imitateurs, notamment dans sa jeunesse, Auber lui doit beaucoup, ou bien sûr Meyerbeer qui avant de produire les « Grands Opéras » qu’on connaît, a fait une grande carrière italienne où l’influence de Rossini est aussi essentielle. Mais le jeune Verdi s'est bien souvenu de Rossini lui-aussi…
Pourtant, encore dans les années 1970, seuls quelques opéras bouffes (la trilogie Barbiere di Siviglia, La Cenerentola et l’italiana in Algeri) avaient survécu sur les scènes, et il faut attendre Aix (Elisabetta Regina d’inghilterra et Semiramide), voire Paris (Moïse) sous Massimo Bogianckino et surtout Pesaro pour que peu à peu se révèle la variété de la production rossinienne, véritable pont entre la tradition de l’opéra baroque et l’opéra romantique. Sans doute aussi cette production si diverse et si peu connue explique-t-elle la littérature réduite autour de Rossini que trop de mélomanes encore considèrent comme « peu sérieux ».

Et même si Pesaro a révélé au monde l’intégralité de cette production et permis de découvrir des joyaux comme Il Viaggio a Reims, peu de théâtres lyriques osent le Rossini serio. Munich qui est tout de même l’une des plus grandes maisons du monde a osé il y a quelques années Semiramide, l’Opéra de Paris a continué à ne rien oser de ce côté, sinon se limiter au Rossini bouffe sans oser aller plus loin : une seule production de Guillaume Tell depuis 1973, jouée une seule saison (2002–2003) et jamais reprise.

Et de tous les opéras redécouverts par Pesaro, bien peu ont passé les frontières de l’Italie, voire des Marches ((La région de Pesaro)).
Alors ce livre est un excellent moyen non seulement de faire le point, mais aussi simplement de rentrer dans cet univers que Chantal Cazaux connaît parfaitement et qu’elle défend avec ardeur. C’est pour l’instant le livre le plus complet qu’on ait pour découvrir l’œuvre de Rossini, jamais pédant, toujours savant, qui permet d’avoir un état des lieux du paysage rossinien.
Le « voyage en Rossine » se parcourt en cinq étapes d’inégale longueur accompagnées d’une riche iconographie, la première est une double série d’articles introductifs présentant les facettes multiples du compositeur, dans sa vie, dans le regard qu’on porte sur lui, dans son temps et dans l’histoire mais aussi, dans un second moment, les caractères de sa musique : un regard qui tient compte des divers points de vue nécessaires à considérer Rossini glorifié de son vivant par Stendhal, rappelons-le.
La deuxième partie, qui occupe à peu près la moitié de l’ouvrage présente 18 titres sur les quarante que Rossini a composés, dans un ordre chronologique. Le choix personnel tient évidemment compte des productions plus ou moins récentes, des chances de les voir représentés, et de leur valeur intrinsèque. Évidemment on peut regretter qu’on n’ait pu (sans doute pour des raisons éditoriales) proposer les quarante titres composés par Rossini, mais faisons contre mauvaise fortune bon cœur. En effet, en compensation, chaque titre est présenté de manière exhaustive, genèse, résumé, guide d’écoute, les personnages, les enjeux avec une iconographie faisant la part des traces historiques et des productions récentes, et des extraits musicaux de chaque œuvre qu’on peut entendre grâce à l’application « L’avant-scène Opéra ». On ne peut donc souhaiter mieux pour éclairer le lecteur. On peut discuter quelques illustrations : choisir d’illustrer Il Barbiere di Siviglia à Paris entre autres par la production sans intérêt de Coline Serreau au lieu de celle plus originale de Michieletto n'est pas à notre avis pertinent, mais ce sont des minuscules détails…
Il reste que certaines œuvres seront pour beaucoup de lecteurs des découvertes, comme Tancredi, ou comme Armida, encore moins représentée voire Le Siège de Corinthe, vu à l’Opéra de Paris une seule fois (encore grâce à Bogianckino), pendant la saison 1985–1986.
Les trois trépieds de l’opèrea, chant, direction, mise en scène, sont ensuite appliqués à Rossini dans la partie IV, écouter et voir. Pour chaque domaine, une brève histoire de l’interprétation, succincte mais précise qui éclaire à la fois les enjeux de l’opéra rossinien, mais aussi les évolutions, le tout suivi d’un petit index chronologique des voix et des chefs. Bien sûr dans ce domaine, on aimerait voir apparaître ou voir développer certains noms : il est clair par exemple que pour Rossini le rôle d’Abbado est plus déterminant que d’autres, et du côté du chant, on aurait aussi aimé voir cité Paolo Montarsolo, l’une des grandes basses bouffe rossiniennes qui n’a pas été vraiment remplacé dans Don Magnifico de Cenerentola, qu’on a pourtant vu à Paris.
En ce qui concerne la mise en scène, Chantal Cazaux opte en revanche pour une focalisation autour de quelques noms et une dizaine de « grandes » productions, et sans index. Sans doute la diversité de l’offre (et aussi osons le dire, sa médiocrité) justifie-t-elle ce choix, qui isole avec justice Jean-Pierre Ponnelle, dont la trilogie bouffe Barbiere, Cenerentola, Italiana a marqué l’interprétation rossinienne en se concentrant sur Cenerentola, même si les trois productions n’ont jamais quitté le répertoire de la Scala de Milan (ni de Munich d’ailleurs pour Cenerentola). Aux côtés de Ponnelle, Luca Ronconi dont Chantal Cazaux cite à juste titre le légendaire Viaggio a Reims et Moïse vu à Paris en 1983 et repris à Milan en 2003 ; elle pouvait signaler en plus que Ronconi  a aussi monté Guglielmo Tell (version italienne) à la Scala avec Muti en 1988 et La Donna del lago à Pesaro avec Gatti en 2001. Actuellement, Damiano Michieletto devient l’un des plus demandés : son Barbiere a même voyagé jusqu’à Paris et il a monté Guillaume Tell à Londres. Les choix opérés peuvent être discutés mais Chantal Cazaux donne une palette géographique et stylistique complète, même si il me semble qu’un place plus grande pouvait être donnée à Pier Luigi Pizzi , il vient de réaliser à Pesaro il y a deux saisons un Barbiere notable. 

La dernière partie est plus « pratique » avec discographie et vidéographie plutôt riches notamment grâce à la politique du Festival de Pesaro puisque beaucoup de titres rarissimes ont bénéficié de reprises vidéo (ZelmiraTorvaldo e Dorliska). De ce point de vue, Rossini est l’un des compositeurs les mieux servis. Enfin la bibliographie et la  sitographie complètent le panorama avec clarté mais aussi précision.

Au total, nous nous trouvons devant l’ouvrage sans doute le plus complet qui soit sur Rossini en France, qui enrichit et couronne la bibliographie de base. Une vision aussi exhaustive manquait singulièrement et Chantal Cazaux, avec clarté et efficacité offre au mélomane un outil vraiment indispensable. Toutefois, j’aimerais néanmoins mettre en discussion un tout minuscule détail :  les choix de traductions des titres, j’avoue avoir du mal avec La Dame du Lac plutôt que La Donna del LagoLe Voyage à Reims plutôt que Il Viaggio a Reims. Il me semble qu’à part Il barbiere di Siviglia, pour sa gloire universelle on pourrait garder les titres originaux, français ou italiens. mais je conviens que c’est du pinaillage de vieux maniaque. Un vieux maniaque qui tire son chapeau à Chantal Cazaux pour ce bel ouvrage.

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

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