Entre articles d’approfondissement et regard sur 40 ans de productions, ce numéro assez complet est divisé en quatre parties, Portrait d’un Festival singulier, Pesaro et la Rossini Renaissance, Quarante ans de redécouvertes, et Écouter voir et lire, qui offre à la fois des entretiens avec les protagonistes ou les artistes (Michele Mariotti et Daniele Barcellona), la traditionnelle Disco-Vidéographie et une bibliographie.
La première partie est une présentation détaillée du Festival, de son histoire et des problématiques qui s’y attachent, les dirigeants actuels et les protagonistes historiques se partagent ces pages assez passionnantes.
Olivier Descotes, directeur général du Festival, ouvre le numéro en parcourant l’histoire du festival, ses pierres miliaires et ses figures tutélaires, puis en répondant aux questions de Chantal Cazaux. Ce français, ex diplomate qui a travaillé dans les services français en Italie, d’une belle culture musicale et marqué par un grand amour de l’Italie a pris récemment ce postes stratégique.
Alfred Caron évoque les lieux rossiniens de Pesaro, du conservatoire qui abrite l’auditorium Pedrotti (aujourd’hui en réfection) où vit le jour Il viaggio a Reims dans la production de Luca Ronconi en 1984 et sous la direction de Claudio Abbado, à la Casa Rossini et au Musée National Rossini ouvert l’an dernier : entre tous ces lieux se distribuent les documents et souvenirs relatifs au compositeur. Il y évoque aussi les théâtres, le Teatro Rossini, magnifique écrin de 860 places pour les productions de format moyen, le Palafestival (aujourd’hui en reconstruction) et l’actuelle Vitrifrigo-Arena où sont proposées les productions les plus lourdes. La question des lieux de représentation se pose d’ailleurs, la Vitrifrigo-Arena est un lieu relativement malcommode et éloigné du centre. Sans doute le Palafestival, idéalement placé, quand il aura été restauré et restructuré, constituera le lieu qui manque au festival.
Cette partie générale se conclut par une sorte de postface, signée Daniele Vimini, président du Rossini Opera Festival et vice-sindaco (Maire adjoint) chargé de la culture de la ville de Pesaro.
La deuxième partie aborde les questions interprétatives et plus musicologiques
Deux figures historiques, Gianfranco Mariotti fondateur du Festival et Luigi Ferrari qui en fut le directeur artistique entre 1992 et 2000 retracent les étapes de la Rossini Renaissance, et de l’histoire de l’interprétation rossinienne. Contemporaine de ce qu’on appelle la HIP (Historically informed performance) dans le domaine du baroque, la Rossini Renaissance remonte à la fin des années 60, quand Claudio Abbado dirigea à Salzbourg Il Barbiere di Siviglia (Mise en scène de Jean-Pierre Ponnelle) dans l’édition critique d’Alberto Zedda, qui fit l’effet d’une bombe d’où naquit l’intérêt pour l’œuvre de Rossini, sous l’impulsion de la Fondazione Rossini, et de quelques musicologues essentiels comme Alberto Zedda, déjà cité, Philip Gossett. et Bruno Cagli, tous disparus aujourd’hui.
Un excellent article de Luigi Ferrari retrace l’évolution de l’interprétation en soulignant qu’à la fondation du Festival, peu de chanteurs connaissaient ou affrontaient ce répertoire, défendu par beaucoup de non italiens (Marilyn Horne, Samuel Ramey, Rockwell Blake, Chris Merritt…). Il souligne encore une fois le rôle déterminant d’Abbado par la création presque ex-nihilo du Viaggio a Reims en 1984, une cantate de circonstance composée pour le Sacre de Charles X, disparue depuis et dont beaucoup de matériel fut réutilisé pour Le Comte Ory en 1828. Il montre parfaitement comment s’est constituée peu à peu une tradition dans l’interprétation rossinienne, dont la marque est l’arrivée d’une nouvelle génération de chanteurs, en plus grand nombre aujourd'hui qu'hier.
Il restait à évoquer la figure tutélaire d’Alberto Zedda (décédé en 2017), celui par qui tout est arrivé, musicologue, chef d’orchestre, directeur artistique, président de l’académie rossinienne. C’est Jean Cabourg qui retrace l’aventure, en rassemblant anecdotes et déclarations de celui dont l’Accademia Rossiniana, fondée en 1989 porte désormais le nom et qui a permis de faire émerger nombre de voix rossiniennes d’aujourd’hui.
Christophe Rizoud retrace cette aventure, en montrant comment on est arrivé à l’idée d’une académie destinée à repérer les futures voix rossiniennes, qui aujourd’hui fleurissent, et d’où sont sortis Paolo Bordogna, Nicola Alaimo, Olga Peretyatko et d’autres ;, et plus récemment Davide Luciano, le Figaro de toutes les scènes rossiniennes actuelles, ou la plus récente découverte, Xaber Anduaga, le ténor belcantiste des prochaines années.
Enfin, l’actuel surintendant et directeur artistique, Ernesto Palacio, qui fut un bon ténor rossinien, puis un agent artistique de référence, évoque son travail actuel à la tête de l’Accademia Rossiniana-Alberto Zedda.
La troisième partie est un récit année par année des productions de Pesaro depuis les origines, c’est peut-être la partie la plus banale de ce numéro : certes, il est précieux de retrouver année par année toutes les productions et toutes les distributions, avec comme il se doit, une belle iconographie, mais le texte d’accompagnement n’est pas toujours passionnant, pas toujours bien traduit : le très connu Chamber Orchestra of Europe qui accompagna Abbado en 1984 et en 1992 (pour Viaggio a Reims) et toute l’édition 1985 devient « Orchestre européen du Festival » dans la page consacrée à l’édition 1985. Plus généralement, ce parcours est rédigé à la manière d’un dépliant presque touristique, très descriptif et sans accents particuliers, peut-être une autre présentation eût elle été plus efficace.
Plus vivante et diversifiée la dernière partie, faites d’interviews d’artistes aujourd’hui très liés au Festival, d’abord Daniela Barcellona, mezzosoprano bien connu, qui analyse le rôle de Pesaro dans sa carrière, sa longue fréquentation des rôles travestis et leur fonction, et qui montre comment à Pesaro on « respire Rossini » et Michele Mariotti, figlio d’arte, puisque né à Pesaro et fils de Gianfranco Mariotti. Il montre comme étudier et diriger Rossini exige non seulement une attention particulière, mais prépare aussi à travailler sur d’autres compositeurs, jusqu’au vérisme. Regard passionnant parce qu’il évoque aussi l’évolution de ses propres lectures, notamment liées aux mises en scène, et la manière dont Rossini a déterminé son approche de toutes les partitions.
Enfin, plus traditionnellement, le numéro se clôt par une Disco-vidéographie complète (et dieu sait si elle est abondante pour Pesaro) par Alfred Caron, et une courte bibliographie d’Oliva Pfender, essentiellement formée d’articles pour la bibliographie française, le Festival n’étant pas encore le sujet d’un livre en français, mais plus fournie évidemment en anglais et surtout en italien. Traducteurs à vos stylos.
Ainsi ce numéro cardinal fait-il le point sur l’un des plus anciens des festivals italiens « monographiques » (le Puccini Festival de Torre del Lago remonte à 1930), celui qu’on appelait à sa création le « Bayreuth italien ». il a fortement contribué à semer en Italie l’idée de lier des éditions critiques à leur représentation, Bergame avec le Festival Donizetti et Parme-Busseto avec le Festival Verdi vont suivre son exemple avec des bonheurs divers, sans la continuité, le développement et l’inscription durable dans le paysage de Pesaro.
Il manque peut-être à ce numéro quelques éléments plus problématiques, comme la question des salles : on aurait aimé connaître le projet de nouveau Palafestival par exemple ou celle du répertoire rossinien dans le monde ; malgré son prestige, le Festival n’essaime pas beaucoup, les théâtres (notamment non italiens) hésitent à programmer du Rossini serio, et certaines œuvres n’ont encore été représentées qu’à Pesaro. Osez, messieurs les managers, Rossini a toujours été une garantie, et grâce à Pesaro, vous avez les chefs et les chanteurs idoines…