Hector Berlioz (1803–1869)
Les Troyens (1863)

Grand opéra en 5 actes et 2 parties : La Prise de Troie et Les Troyens à Carthage
Livret du compositeur, d’après L’Énéide de Virgile
Création en allemand à Karlsruhe au Hoftheater le 6 et 7 décembre 1890 En langue française, première partie créée le 4 novembre 1863 à Paris, au Théâtre Lyrique, seconde partie créée le 28 janvier 1891 à Nice, au Théâtre municipal

Marie-Nicole Lemieux (Cassandre)
Stéphane Degout (Chorèbe)
Michael Spyres (Enée)
Marianne Crebassa (Ascagne)
Philippe Sly (Panthée)
Stanislas de Barbeyrac (Hélenus, Hylas)
Bertrand Grunenwald (Priam)
Agnieszka Sławińska (Hécube)
Jean Teitgen (Ombre d’Hector, Mercure)
Joyce Di Donato (Didon)
Hanna Hipp (Anna)
Cyrille Dubois (Iopas)
Nicolas Courjal (Narbal)
Jérôme Varnier (Sentinelle I)
Frédéric Caton (Sentinelle II)
Richard Rittelmann (Un soldat (acte I), un capitaine grec (acte II)

Chœur de l’Opéra national du Rhin
Direction du chœur
Sandrine Abello

Badischer Staatsopernchor
Chef du chœur
Ulrich Wagner

Chœur philharmonique de Strasbourg
Chef du chœur
Catherine Bolzinger

Orchestre Philharmonique de Strasbourg
Direction musicale
John Nelson
Auditorium de Strasbourg : 15, 17 et 18 avril 2017 Durée : 59'25/71'50/53'11/50'3

Berlioz mourut sans avoir pu assister à la création de ses Troyens dont il ne put entendre que le second volet, Les Troyens à Carthage, donné en novembre 1863 au Théâtre Lyrique. La Prise de Troie fut jouée en concert en 1879 avant que l'œuvre ne tombe dans l'oubli. Il fallut attendre 1957 pour que l'ouvrage soit enfin reconsidéré grâce à la première reprise historique moderne due à Rafael Kubelik, à Londres, avant que Colin Davis ne signe chez Philips la première intégrale discographique et ne transforme un échec en un somptueux succès. Soixante ans après cette résurrection, John Nelson propose chez Erato une flamboyante interprétation, captée sur le vif en avril dernier, sans doute la plus complète et la plus équilibrée de toutes les versions qui l'ont précédée.

L'annonce de ces Troyens donnés en concert à l'Auditorium de Strasbourg les 15 et 17 avril dernier, en prévision d'un enregistrement discographique pour Erato, était de très loin l'un des projets les plus attendus de la saison passée. Cet événement musical défendu par une prestigieuse distribution et dirigée par l'un des plus fidèles serviteurs de Berlioz, John Nelson, largement commenté dans la presse, nous arrive donc aujourd’hui en 4 cds, auxquels s'ajoute un copieux dvd.

Longtemps amputée, saccagée, remaniée, fantasmée, puisque son auteur n'eut pas le temps de mettre un terme à ce grand opéra en actes, la partition est désormais donnée dans son intégralité et s'approche enfin de ce dont avait rêvé Berlioz. Grâce à d'incessantes recherches, à la ténacité de chefs, de directeurs de salle et d'inconditionnels du compositeur, ce qui demeurait un inaccessible chef‑d’œuvre en est devenu un, authentique.

Depuis Kubelik en 1957 à Covent Garden avec le jeune Vickers déjà, Colin Davis, Georges Prêtre, James Levine, Charles Dutoit, John-Eliot Gardiner, Valery Gergiev et John Nelson ont contribué à faire de cette épopée lyrique un monument de l'Histoire de la musique.
Berliozien de la première heure, John Nelson signe avec ces Troyens son témoignage le plus abouti. Sage, démiurge, prophète, le chef américain impressionne par la fulgurance de sa pensée et la traduction musicale qui en découle. Porté par une narration haletante, une constante inventivité harmonique, des rythmes pour le moins excentriques et de fabuleuses couleurs orchestrales, le destin des Troyens fuyant leur ville avant d'échouer à Carthage et de partir vers l'Italie, défile en un flot de musique ininterrompu, enflammé, grandiose, insolent où s'entrecroisent tout ensemble l'angoisse, l'espoir, la plénitude ou la plus pure détresse. Aprement dominé, malgré l'imposant effectif qui réunit l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg, le Chœur de l'Opéra National du Rhin, le Badischer Staatsopernchor et le Chœur Philharmonique de Strasbourg, tous collectivement ou individuellement exceptionnels, le discours musical soumis aux tempi très personnels du maestro, vibre, surprend, émeut par ces nombreux contrastes, ces soudains changements d'atmosphère, ce suspense renforcé par la fréquente irruption de fantômes, censés montrer la voie au fondateur de Rome. Réglées au cordeau les scènes de foule, les combats, les ensembles, comme le splendide Ottetto du 1er acte, d'une audace musicale étonnante, ou le titanesque orage du 4ème acte, transportent l'auditeur, tandis que la sensualité du duo d'amour « Nuit d'ivresse » ou la poésie d' « Adieu fière cité » le laissent sans voix, émerveillé par tant de beauté. Que John Nelson soit heureux et fier : il a atteint son Himalaya.

Inspiré par ce héros virgilien sublime et tempétueux, le ténor américain Michael Spyrès élégant, racé, éloquent, est le plus électrisant des Enée. Non pas qu'il fasse oublier Vickers, Gedda ou Kunde, mais la rareté de son timbre, la sérénité de sa ligne de chant, son impeccable diction, l'infaillible projection de ses aigus et son éminente culture belcantiste lui permettent d'assumer le rôle dans ses moindres détails (son « Inutiles regrets » est anthologique) et sans la moindre hésitation. Vigoureux et fragile, amoureux et lâche, viril et féminin, il possède toutes les facettes de ce personnage au destin héroïque, dont il propose une synthèse éblouissante. Marie-Nicole Lemieux trouve en Cassandre une héroïne à sa mesure, les visions de la prophétesse écrites dans ses meilleures notes arrachant à son contralto une juste exaltation jusque dans la mort, sobre et retenue, sans égaler toutefois le magnétisme d'Anna Caterina Antonacci, devenue « la » référence. Sous les traits de Stéphane Degout, son fervent fiancé Chorèbe allie noblesse et intensité, le chant francophone étant dignement représenté par la jeune génération incarnée par Cyrille Dubois (Iopas), Stanislas de Barbeyras (Hylas), Philippe Sly (Panthée), Nicolas Courjal (Narbal) et Jean Teitgen (L'ombre d'Hector) pour les messieurs et par Marianne Crebassa délicat Ascagne, pour les femmes.

Comme l'on pouvait s'y attendre Joyce DiDonato est une Didon mémorable : timbre pulpeux, accents incisifs, souffle inépuisable, chant irisé sur lequel flotte une touchante humanité, français superbe alors qu'elle ne parle pas la langue. Elle a tout ce qui constitue cette Reine passionnée, puis résignée et crève littéralement l'écran, atteignant des sommets de grandeur et de beauté tragique au moment de mourir.

Vous l'aurez compris ces nouveaux Troyens aussi majestueux qu'incandescents, s'imposent aisément et accèdent à la plus haute marche de notre panthéon. Leur place sous le sapin est toute trouvée.

 

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François Lesueur
Après avoir suivi des études de Cinéma et d'Audiovisuel, François Lesueur se dirige vers le milieu musical où il occupe plusieurs postes, dont celui de régisseur-plateau sur différentes productions d'opéra. Il choisit cependant la fonction publique et intègre la Direction des affaires culturelles, où il est successivement en charge des salles de concerts, des théâtres municipaux, des partenariats mis en place dans les musées de la Ville de Paris avant d’intégrer Paris Musées, où il est responsable des privatisations d’espaces.  Sa passion pour le journalisme et l'art lyrique le conduisent en parallèle à écrire très tôt pour de nombreuses revues musicales françaises et étrangères, qui l’amènent à collaborer notamment au mensuel culturel suisse Scènes magazine de 1993 à 2016 et à intégrer la rédaction d’Opéra Magazine en 2015. Il est également critique musical pour le site concertclassic.com depuis 2006. Il s’est associé au wanderesite.com dès son lancement
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