Benjamin Britten
Death in Venice
L’Avant-Scène Opéra n° 320, Extraits audio avec l'Appli ASOpera
Janvier 2021, 146 pages, 28 euros ISBN 978–2‑84385–373‑9

Articles de : Jean François Boukobza, Laurent Bury, Chantal Cazaux, Gilles Couderc, Pierre Flinois, Jean-Charles Hoffelé, Olivia Pfender, Pierre Rigaudière

Extraits littéraires de : Thomas Mann

L’Avant-Scène Opéra n° 320, janvier-février 2021.

Equivalent lyrique de la panthéonisation, Death in Venice entre dans l’Avant-Scène Opéra, qui en profite pour changer de maquette et de couleurs. Avis aux metteurs en scène, aux directeurs de théâtre et au trop frileux public français : l’ultime opéra de Benjamin Britten a toute sa place au répertoire, le reste de la planète semble l’avoir compris, et Strasbourg aurait dû à nouveau le prouver en ce mois de février si certain virus ne l’avait décidé autrement.

Il aura fallu près de vingt ans pour que l'on s’intéresse en France au dernier opéra de Britten, compositeur jadis honni par les tout-puissants bouléziens, mais bien heureusement aujourd'hui joué dans la plupart des maisons d'opéra en France. Créé en 1973 dans le cadre du festival d’Aldeburgh, Death in Venice ne fut présenté au public français qu’en 1991 à Nancy. Dans un livre paru chez Actes Sud, dont la sortie était prévue pour coïncider avec la nouvelle exposition du CNCS de Moulins, Yannis Kokkos – à qui Antoine Bourseiller avait alors confié la mise en scène, les décors et les costumes – écrit : « Il me semble que ce spectacle et à la même époque Le Songe d’une nuit d’été, mis en scène avec maestria et sensibilité à Aix par Robert Carsen, ont quelque peu contribué à faire reconsidérer Britten par les ‘instances’. Il est vrai qu’alors les dogmes de la musique contemporaine précipitaient Britten dans l’enfer ‘néoclassique’ ». Après Nancy, vinrent Lyon en 2009 et Nice en 2016, et l’on espère maintenant que la production en cours de répétitions à l’Opéra du Rhin pourra au moins faire l’objet d’une captation, à défaut d’être visible « en vrai ». Quatre productions en moins de cinquante ans Trois productions en moins de cinquante ans, c’est peu pour un opéra qui a largement eu le temps de faire le tour du monde pour être monté partout, et pas seulement dans le monde anglophone, loin de là. Pendant ce temps, Paris ignore toujours superbement Death in Venice, sans songer un instant qu’il serait plus que judicieux d’inscrire cette œuvre au répertoire de la première scène nationale.

Du moins cette institution qu’est L’Avant-Scène Opéra vient-elle en partie réparer cette coupable (et étrange) indifférence en consacrant son dernier numéro à ce testament britténien. Le compositeur britannique était déjà présent au catalogue ASO à travers six de ses opéras (traités en cinq volumes, Le Tour d’écrou et Owen Wingrave étant réunis au sein du n° 173). 45 ans après son lancement en 1976, l’Avant-Scène Opéra change résolument d’allure, en renonçant à cette (non-)couleur noire à laquelle elle était restée attachée depuis ses débuts, malgré l’irruption de la couleur, d’abord en couverture, puis dans les pages de chaque volume. Cette fois, le dos est blanc, la quatrième de couverture est beige, couleur également choisie à l’intérieur pour les grands titres et pour comme fond pour le texte du livret. Le format n’est pas modifié, mais des illustrations plus petites se mêlent davantage au « guide d’écoute ». La police de caractère a changé, elle, mais le prix reste le même.
Quant à l’organisation générale du volume, on la retrouve fidèle à elle-même : on  ne change pas une équipe qui gagne ni une formule qui a sans discussion créé un lectorat fidèle. Autrement dit, ce numéro 320, malgré ses habits neufs, est découpé exactement comme ceux qui l’ont immédiatement précédé : Points de repères (les principales orientations abordées dans le volume), Argument (résumé détaillé de l’intrigue, en parallèle avec la liste des principaux morceaux de la partition), Introduction et guide d’écoute (présentation synthétique de l’œuvre, puis commentaire linéaire de la partition et du livret), le livret et sa traduction ; une série de « Regards sur l’œuvre », avec d’abord un extrait de la nouvelle de Thomas Mann, puis cinq articles commandés à des universitaires et musicologues ; dans la rubrique « Ecouter voir et lire », une discographie, une vidéographie, « L’œuvre à l’affiche », autrement dit le relevé des principales productions depuis la création jusqu’à aujourd’hui, et une bibliographie. De quoi nourrir la réflexion, ou même le travail, puisque les numéros de l’Avant-Scène Opéra servent aussi de référence aux professionnels de la musique, qu’ils soient enseignants, journalistes, chanteurs ou metteurs en scène.

Évidemment, l’inclusion d’une œuvre « récente » au catalogue de l’ASO ne va pas sans s’accompagner de menues contraintes et spécificités, qui expliquent sans doute certains aspects du présent volume. D’abord, la question des ayant droit, dont on sait combien ils peuvent être redoutables dans leur rôle de gardiens du temple. En ce qui concerne Benjamin Britten, pas d’héritiers directs, mais la Britten-Pears Foundation, dragon qui veille jalousement sur le trésor légué par le compositeur : les quelques documents « historiques » sont reproduits « avec l’autorisation de Britten-Pears Arts ». On constate aussi que la traduction du livret n’est pas une nouvelle version commandée pour l’occasion, mais un texte datant de 2005 dont les droits sont détenus par la maison d’édition Faber Music, qui publie également la partition de Death in Venice. Côté iconographie, il aura sans doute fallu composer avec les disponibilités et les exigences financières des fournisseurs : on pourra ainsi regretter qu’il y ait si peu d’images de la susdite création française à Nancy, et qu’il n’ait pas été possible de reproduire davantage des superbes esquisses de décors de la création mondiale à Aldeburgh. Opéra récent dit aussi moins de versions au catalogue : si la discographie n’a guère que deux intégrales à se mettre sous la dent, par chance toutes deux excellentes, la vidéographie est en revanche tout à fait consistante, avec six captations ou films (dont quatre seulement en DVD).

Dans son Guide d’écoute, Jean-François Boukobza s’attache à délabyrinther ce « style tardif » auquel Britten semble être parvenu comme par décantation, avec un résultat qui peut paraître austère, mais pour lequel « il conviendrait davantage de parler de simplicité complexe ». Fasciné depuis toujours par Wozzeck, le compositeur aura trouvé avec cet ultime l’occasion de prendre pour modèle le chef‑d’œuvre de Berg et d’oser plus qu’il ne l’avait jamais fait, notamment en s’inspirant du gamelan balinais, associé à l’exotisme/érotisme de Tadzio, comme l’analyse Pierre Rigaudière dans une étude savante.

Vers l’opéra compliqué, Britten volait avec des idées simples. Une idée à laquelle le compositeur resta attaché toute sa vie, et sur laquelle repose sans doute une partie de son succès, c’est l’attachement aux sources littéraires. A la source de presque tous ses opéras, on trouve une nouvelle, une pièce de théâtre, un poème. C’est ce que nous rappelle l’article de Laurent Bury ((par ailleurs collaborateur régulier de Wanderer)), consacré à Myfanwy Piper qui, après avoir tiré pour Britten deux livrets de nouvelles d’Henry James, adapta pour lui Tod in Venedig de Thomas Mann. Preuve que, vers l’opéra simple, Britten volait avec des idées compliquées, puisque la nouvelle, quasiment dénuée de dialogues et sans véritable personnage en dehors du protagoniste, ne se prêtait absolument pas, a priori, à une version théâtrale. Goût du défi aussi sur le plan vocal aussi, puisque après Billy Budd, opéra sans femmes, Death in Venice remet le couvert, malgré quelques sopranos auxquelles ne sont guère concédés que des rôles de marchande de fraise ou de chanteuse des rues. Gilles Couderc se penche sur les créateurs des deux principaux rôles : Peter Pears, bien sûr, compagnon et inspirateur de Britten, mais aussi le moins bien connu John Shirley-Quirk, baryton qui collabora avec le compositeur à partir de 1962. Death in Venice est un opéra sans duo d’amour, en forme de longue agonie émaillée de questionnements métaphysiques, comme le souligne « Voir Tadzio et mourir », où Chantal Cazaux retrace les apparitions d’Hermès, Dionysos et Apollon dans cet opéra très païen. Et même si des productions récentes ont montré que l’on pouvait (presque) entièrement se passer d’évocation visuelle de la Sérénissime, Delphine Gachet élargit le propos en retraçant la fascination des artistes du XIXe siècle pour une Venise en déclin.

Ce numéro bienvenu d’une Avant-Scène Opéra parée de fraîches couleurs devrait favoriser la réception de Death in Venice en France et partout où cette œuvre susciterait encore des réticences, et inciter notre 'grande boutique' à l'inscrire à son répertoire.

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Peter Verlack
Peter Verlack enseigne la musique en Suisse et c'est un amateur éclairé, notamment de musique du XXème siècle, mais pas seulement. Il collabore occasionnellement à Wanderer.

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