Der fliegende Holländer
Ouvertüre, Ballade de Senta

Tannhäuser
Ouvertüre
Récit de Rome
Duo Elisabeth-Tannhäuser

Tristan und Isolde
Prélude 1er acte
Duo d'amour
Prélude Acte 3
Liebestod

Catherine Foster
Klaus Florian Vogt

Andris Nelsons
Orchester der Bayreuther Festspiele

Bayreuth, Festspielhaus, mercredi 31 août 2022 , 18h

Pour la seconde année consécutive, le Festival de Bayreuth a souhaité conclure son édition par deux concerts mêlant extraits orchestraux ainsi que des airs et duos célèbres. Aux commandes, le même Andris Nelsons revenu déjà l'an dernier sept ans après le succès du Lohengrin de Hans Neuenfels (2010–2014). Les deux programmes proposés cette saison sont identiques, à la différence de ceux de la saison 2021 où était donné notamment, l'acte I de Walküre. Les deux solistes sont Klaus Florian Vogt et Catherine Foster, deux personnalités fidèles au Festival – le premier y a établi une notoriété acquise depuis le rôle de Walther dans les Meistersinger mis en scène par Katharina Wagner en 2007 et la seconde, grande découverte du Ring de Frank Castorf (2013–2017) où elle interprétait Brünnhilde. 

 

Andris Nelsons, Klaus-Florian Vogt, Catherine Foster

Loin de l'ambiance agitée qui régnait sur la Colline durant la dernière représentation du triste Ring de Valentin Schwarz, les derniers festivaliers avaient choisi de prolonger leur séjour avec ces deux concerts dirigés par Andris Nelsons. Avec le chef letton, le Festival fait le choix sécurisant d'une personnalité désormais internationalement connue dont la carrière s'est établie à la tête de phalanges prestigieuses tant en Europe qu'aux États-Unis. Son triomphe dans Lohengrin a laissé sur la Colline un souvenir qui pousse certains à murmurer un probable retour dans des ouvrages plus conséquents. Il reprend cette année la tradition peu usitée des concerts symphoniques dont le précurseur n'était autre que Richard Wagner lui-même en 1876 (il est vrai dans le célèbre Opéra des Margraves) dirigeant la 9e Symphonie de Beethoven. Cette unique partition non wagnérienne "autorisée" par le Maître aurait dû être donnée par Marek Janowski en conclusion de l'édition 2020 mais l'épidémie de Covid en décida autrement…

Ce retour de l'Orchestre du Festival sur scène est l'occasion d'un programme résumant trois opéras donnés cette année : Fliegende Holländer, Tannhäuser et Tristan. Ce choix invite à plusieurs constats : le premier est que Bayreuth veut à travers ces concerts emblématiques rendre hommage aux forces vives de la maison, que ce soit le célèbre orchestre et deux solistes installés parmi les "fidèles" du Festival. Deuxièmement, l'édition 2022 a été l'occasion pour Catherine Foster d'une prise de rôle remarquée en Isolde (rôle qu'elle reprendra en janvier au Stadtheater de Cottbus et dans l'édition 2023 du Festival de Bayreuth). L'entendre dans la Liebestod confirme et rassure ceux qui auraient pu douter certains soirs de sa Brünnhilde. Sa performance en Senta et en Elisabeth évoque inévitablement le départ (regrettable) de Lise Davidsen dans le Tannhäuser 2023 et le non-retour de Asmik Grigorian dans Fliegende Holländer. C'est à la norvégienne Elisabeth Teige que reviendra l'honneur de remplacer ces deux chanteuses-star du Festival – déjà présente cette année, elle revient en Elisabeth et Senta l'an prochain. La présence de Klaus Florian Vogt évoque le magnifique Tannhäuser qu'il imposait à Munich en 2017 et qui pourrait bien succéder à Stephen Gould (titulaire actuel dans la production de Tobias Kratzer). Plus insolite, sa présence dans le duo d'amour de Tristan ne laisse guère augurer d'une probable évolution de la voix vers un rôle si exigeant…

La soirée débute avec une Ouverture de Fliegende Holländer préférant aux angles vifs du molto marcato du thème initial une souplesse générale qui a le mérite de mettre en valeur les différents volets de cette page symphonique. Sans parler d'alanguissement, on peut regretter parfois des émolliences dans les montées chromatiques et une urgence trop discrète dans la battue qui trahit la version de concert. Impossible de croire que ces larges accords terminaux seront suivis par les Hojohe ! fiévreux du chœur des matelots. Impossible également de saisir l'acoustique habituelle d'un orchestre placé en dehors de la fameuse fosse invisible. Les équilibres sont ici sensiblement modifiés, en particulier dans des pupitres de cuivres dont l'impact hors de la fosse parvient dans la salle avec une éclat et une couleur moins nuancée. Des plans sonores que la fosse amalgame sonnent séparément, avec une matité dans le relief qui donne à cette Ouverture le parfum romantique très policé d'un ballet weberien. Captant d'une œillade l'attention de la salle, Catherine Foster souligne dans sa Ballade de Senta le rythme chaloupé à trois temps, étirant la ligne par un vibrato trop large dans les premières mesures. Bousculant son phrasé dans Wie ein Pfeil fliegt er hin, ohne Ziel, ohne Rast, ohne Ruh' !, la voix retrouve son équilibre en prenant progressivement appui sur le registre grave pour scander les accents dans la première reprise et moduler plus librement dans la dernière partie, avec un Nelsons qui exagère les respirations pour mieux ménager la véhémence de la conclusion.

Klaus-Florian Vogt

L'Ouverture de Tannhäuser met du temps à émerger après le léger sur-place dans l'exposition du thème et des violoncelles qui sonnent étonnamment mats et sans épaisseur. Le chef expose un étagement des plans dynamiques dans la montée d'octaves en retardant l'entrée culminante des trombones. La pulsion trop sage des cordes doit attendre le thème du Venusberg pour enfin trouver son rythme de croisière et ouvrir largement le champ à une énergie magnifiée par le roulis des chromatismes et la conduite des voix. Toute la conclusion plonge dans une langueur générale qui donne aux cellules répétées aux cordes une insistance trop vaine de réalisation et trop froide d'émotion. La direction d'Andris Nelsons est plus convaincante dans le duo de l'acte II, où les deux interprètes sont audiblement plus à l'aise – à commencer par Catherine Foster dans un registre moins exposée que la Ballade et Klaus-Florian Vogt, toujours parfait dans un art du chant qui puise dans le phrasé et la narration du Lied. La soprano anglaise déploie une largeur de ligne qui souligne du personnage une vaillance et une endurance au détriment de la netteté de la prononciation dans les accélérations de tempi où les deux voix se mêlent. On apprécie chez Klaus-Florian Vogt une faculté à moduler l'expression dans le récit de Rome. L'aspirant-pèlerin lutte ici contre les remontées de luxure du Venusberg et la partition exige de l'interprète une quantité de nuances que bien peu d'entre eux maîtrisent vraiment. Vogt met ici l'héroïsme de côté, proportionnant une expression toujours légèrement nasale et vibrée au récit de cet échec dans sa quête de salut. La petite harmonie est d'une perfection parfaitement aboutie, mêlée au lyrisme des cordes et le timbre capiteux des cuivres.

La seconde partie est entièrement consacrée à Tristan und Isolde, avec pour débuter un Prélude de l'acte I dans lequel Andris Nelsons ajoute un étirement des tempi qui confine au sirupeux de brusques élans où le konzertmeister Juraj Cizmarovic marque un premier accord fortissimo en exagérant l'attaque du talon. Confuse et indécise, cette lecture semble commenter le sentiment plutôt que de lui accorder une carrure et un format capables de le tenir loin d'un ennui qui, ici, le menace dangereusement. Le duo d'amour vient flotter à la surface de cette matière en substituant à l'indécision des accents une respiration qui offre aux deux protagonistes un soutien remarquable. Sur le strict plan de la technique vocale, Catherine domine le duo par une surface de notes et un éclat naturel plus solide et plus endurant. Klaus-Florian Vogt doit lutter ici pour domestiquer un atavisme de caractère et de moyens qui ne possède pas encore le rôle, que ce soit dans le timbre ou dans l'émission. L'ombre portée de son étonnant Siegmund plane sur ce Tristan en devenir dont il est encore impossible de mesurer la possible évolution.

Le choix du sombre prélude de l'acte III fait écueil à la transition vers la Liebestod, obligeant à truquer par une intervention des cors le solo de cor anglais. La profondeur de champ est ici mieux appréhendée, Nelsons réussissant à animer un discours qui au préalable, semblait figé et contraint. Les amateurs de contrastes et d'abysses passeront leur chemin, la lecture est ici atténuée et préférant à la violence sanguine une sonorité pastel. Le cor anglais de Rixon Thomas ne cherche pas à s'imposer au-delà d'une élégance de bon aloi que la transition vers la Liebestod laisse en suspens. Catherine Foster retrouve un rôle qu'elle interprétait tout récemment dans la mise en scène de Roland Schwab et la direction de Markus Poschner. On goûte l'intelligence avec laquelle elle ménage ses prises d'air pour sublimer la projection, héritage de ses Brünnhilde où elle a su apprivoiser l'acoustique du Festspielhaus en donnant au personnage une virulence et une émotion incomparables. Sans chercher à impressionner au-delà de la dimension naturelle de ses moyens, son Isolde est ici remarquable et admirablement tenue. De bon augure pour l'avenir…

Catherine Foster
Avatar photo
David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.

Autres articles

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire !
S'il vous plaît entrez votre nom ici