Kaija Saariaho (*1952)
Création en Suisse
Vista for orchestra (2019)

Création le 12 mai 2021 au Musiikkitalo Helsinki par le Helsinki Philharmonic Orchestra dirigé par Susanna Mälkki

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Dieter Ammann (*1962)
The Piano Concerto (Gran Toccata)(2016–2019)
Création en Suisse
Création le 19 août 2019 au Royal Albert Hall de Londres par le BBC Symphony orchestra dirigé par Sakari Oramo
Co-commissioné par les Münchner Philharmoniker, BBC Radio 3, Boston Symphony Orchestra, Wiener Konzerthaus , Lucerne Festival, Taipei Symphony Orchestra, et Pro Helvetia

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Per Nørgård (*1932)
Création en Suisse
Symphonie n° 8 (2010–2011)
Création le 19 septembre 2012 au Musiikkitalo Helsinki par le Helsinki Philharmonic Orchestra dirigé par John Storgårds

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Jean Sibelius (1865–1957)
Tapiola, Op. 112
Création le 26 décembre 1926 à New York par le New York Symphony Orchestra dirigé par Walter Damrosch

Helsingin Kaupunginorkesteri/Helsinki Philharmonic Orchestra
Andreas Haefliger, piano
Susanna Mälkki, direction
räsonanz-Stifterkonzert
Une initiative de la Fondation Musicale Ernst von Siemens en collaboration avec le Lucerne Festival
Lucerne, KKL, mardi 30 août 2022, 19h30

Dans la programmation très diversifiée du Lucerne Festival, la venue du Helsinki Philharmonic Orchestra offre une vraie singularité, par un programme affichant rien moins que trois premières exécutions en Suisse et une œuvre de Sibelius (Tapiola) qui dans toute l’histoire du Festival n’a été exécutée qu’une fois, en 1977, soit il y a 45 ans. Une singularité qui justifie le soutien de la Fondation Ernst von Siemens à travers son programme räsonanz dédié à la musique contemporaine, en collaboration avec la Radio Bavaroise et le Lucerne Festival. Le Helsinki Philharmonic Orchestra effectue à cette occasion une mini tournée qui l’a mené à Edimbourg dans le cadre du Festival International, et à Lucerne.
Avec le programme proposé, la salle était remplie des jeunes de l’Académie (qui nourrit aussi le Lucerne Festival Contemporary Orchestra) où Wolfgang Rihm et le compositieur suisse Dieter Ammann conduisent un séminaire de composition de deux semaines. Heureux hasard sans doute voulu, le programme incluait la première Suisse de The Piano Concerto (Gran Toccata) du même Ammann, avec Andreas Harfliger, son créateur, en soliste. Une soirée aux couleurs très diverses qui a permis de découvrir un orchestre particulièrement solide et concentré.

Quatre moments, quatre œuvres a priori très différentes, dont trois montrent les tendances très diverses de la musique d’aujourd’hui, très récente puisque la plus ancienne (la symphonie n°8 de Nørgård remonte à 2010/11, et la plus récente en 2019. Il s’agit donc, face à l’emblème que constitue Sibelius, de proposer des musiques du XXIe siècle.
Sibelius est effectivement un emblème, dans la mesure où chef et orchestre proviennent de cette Finlande qui régulièrement offre des chanteurs de classe internationale (Matti Salminen,  Martti Talvela dans un passé pas si lointain, Camilla Nylund qui vient encore de triompher à Munich (Frau ohne Schatten) et à Bayreuth (Lohengrin), mais qui surtout en ce moment brille par son école de direction musicale dont Jorma Panula est le plus prolifique exemple, lui qui a formé outre Susanna Mälkki, Esa Pekka Salonen, Jukka Pekka Saraste, Mikko Franck ou Sakari Oramo. Dernier exemple dont le monde musical fait grand cas, Klaus Mäkelä, 26 ans, directeur musical de l’orchestre de Paris, qui est actuellement aussi chef d'orchestre principal de l'Orchestre philharmonique d'Oslo, directeur artistique du Festival de musique de Turku. En juin dernier l'Orchestre du Concertgebouw a annoncé qu’il rejoint l'orchestre en tant que partenaire artistique à partir de la saison 2022/23, puis en tant que directeur musical à partir de 2027. Rien moins. Et je n'oublie pas Pietari Inkinen qui devrait diriger en 2023 le Ring de Bayreuth.
La tradition musicale est donc profondément enracinée dans la culture finlandaise et le programme du jour, offrant à la fois la dernière œuvre de Kaija Saariaho et le poème symphonique de Sibelius, qui fut sa dernière œuvre orchestrale, lui fait une bonne place. Avec la 8ème symphonie de Per Nørgård, le compositeur danois le plus connu aujourd’hui (né en 1932), créée par le Philharmonique d’Helsinki, le programme jette aussi un œil élargi à la musique de la Scandinavie, riche en compositeurs depuis le XIXe siècle, à commencer par Grieg (Norvège), Stenhammar (Suède), Nielsen (Danemark) et Sibelius, mais aussi Rautavaara en Finlande. C’est donc un regard très éclectique, car s’il y a entre les deux œuvres de Saariaho et Sibelius des liens profonds (toutes deux traitent à leur mode de paysages), la couleur de l’œuvre de Ammann, et de celle de Rørgård sont radicalement différentes. Au total, une palette d’œuvres qui font à la fois « progresser » l’auditeur dans la connaissance de la création d‘aujourd’hui, et montrent la diversité (c’est la thématique du Lucerne Festival en 2022) de la création, rendant cette exploration d’un soir passionnante

Susanna Mälkki et le Helsinki Philharmonic Orchestra (Lucerne, 30/08/2022)

Kaija Saariaho : Vista (2019)

Notez que l’œuvre sera créée en France par l’Orchestre de Paris (dir. Klaus Mäkelä) les 5 et 6 octobre prochains. Elle a été créée le 12 mai 2021 (retardée d’un an pour faits de pandémie) à Helsinki, Musikkitalo (Maison de la musique) et elle est dédiée à Susanna Mälkki et écrite pour le Helsinki Phiharmonic Orchestra.

Vista (la vue, en italien) est une œuvre née d’un voyage sur la côte californienne entre Los Angeles et San Diego en 2019. Elle succède immédiatement à son opéra Innocence, créé en 2021 à Aix en Provence (et aussi dirigé par Susanna Mälkki), le plus gros succès du Festival 2021. L’acoustique assez difficile du Grand Théâtre de Provence pouvait rendre moins évidente l’écriture de Saariaho dans ses détails. Celle particulièrement claire, chaleureuse du KKL de Lucerne, où l’Orchestre d’Helsinki jouait pour la première fois lui rendait au contraire parfaitement justice.

Kaija Saariaho elle-même souligne l’originalité d’une pièce où elle abandonne pour un temps l’opéra et où elle délaisse ses instruments favoris habituels : « j'ai délibérément laissé de côté certains de mes instruments fétiches dans un contexte orchestral, à savoir la harpe, le piano et le célesta. J'ai également choisi des couleurs variées pour la section des vents à trois bois et j'ai voulu leur donner plus de place qu'habituellement. »

« Chaque paysage est un état d’âme » rarement l’expression du philosophe Henri-Frédéric Amiel dans son journal intime (Octobre 1852)  n’est apparu plus vraie, puisque l’œuvre est née de la contemplation des paysage larges et infinis de la côte californienne et qu’elle s’arrête notamment dans sa première partie (« Horizons ») sur le regard sur l’horizon lointain, avec ses variations de lumières et ses tons irisés, avec sa variété aussi et sa (relative) atmosphère apaisée. Jouant beaucoup sur les bois effectivement (et notamment le hautbois qui ouvre et ferme l’œuvre), l’œuvre est une véritable « étude » pour orchestre, tant elle met en avant la plupart des instruments, dans une clarté et une lisibilité étonnante. Une clarté favorisée par une acoustique qui rend évidente l’identification de chaque instrument et de chaque son, si bien qu’on se laisse bercer par cette succession de couleurs fascinantes, qui laissent « respirer » le paysage et feraient de cette œuvre une sorte d’arrêt sur image qui laisse toutes les couleurs s’épanouir. En réalité, on distingue dans Horizons comme une double ligne, l’une apaisée et l’autre plus tendue et plus rude (la distribution orchestrale qui double ou triple les pupitres de bois favorise ce jeu sur les lignes), la clarté de la lecture de Susanna Mälkki, au geste à la fois souple et précis l’éclaire) pour donner à la fois ce sentiment d’apaisement mais aussi d’une certaine tension qui court. Rien n’est si traître que l’eau qui dort. Et la deuxième partie, Targets (cibles) au lieu d’épouser l’ensemble du paysage en un geste large et apaisant, remet une certaine tension au premier plan, comme si l’on assistait au réveil d’une nature endormie, à un regard plus acéré, aigu, avec une entrée initiale des percussions de manière sourde qui rappelleraient des réveils d’un sacre du printemps « hivernal » (nous sommes, je crois en janvier 2019 quand le voyage a lieu). L’abstraction qui dominait la première partie voit la focale de cette Vista plus réduite, cherchant non plus l’expansion des couleurs, mais leur concentration tendue, plus dramatique, comme dans un processus expansion compression qui serait aussi celui de l’univers. C’est tout autant un paysage « état d’âme », et donc l’apparition du « drame » dans un paysage qui au départ ne l’appelait pas, qu’un exercice de style qui cherche à jouer sur la couleur dans tous ses états, réduisant l’espace de respiration, créant une sorte de palpitation en un processus dialectique qui « rompt l’accoutumance » mais qui – c’est paradoxal », élargit les possibles musicaux en réduisant, rétrécissant l’horizon à ces « cibles » plus nettes et coupantes.
Comme dans tout processus dialectique, une synthèse arrive à la fin qui est retour à l’apaisement, mais évidemment enrichi de l’expérience du resserrement sur les cibles, de l’expérience du drame par une ultime intervention du hautbois apaisant et bucolique. Au terme de ce voyage au bout d’un univers, ce qui m’a frappé dans l’interprétation musicale, c’est évidemment d’abord la sûreté et la sécurité d’un orchestre qui désormais maîtrise parfaitement l’œuvre pour l’avoir exécutée bien des fois avec Susanna Mälkki, au geste large et net, mais qui prend dans cette salle une sorte de liberté sonore nouvelle, pour atteindre une véritable poésie et une particulière chaleur, donnant un relief particulièrement sensible à l’œuvre.

Susanna Mälkki et le Helsinki Philharmonic Orchestra (Lucerne, 30/08/2022)


Jean Sibelius : Tapiola (1926)

Le poème symphonique de Sibelius, qui n’est pas l’un de ses plus connu, a été exécuté lors du concert en œuvre conclusive, comme un retour à un certain « classicisme » après trois expériences très contemporaines.
Il y a dans Tapiola, comme dans Vista, une forte incidence du paysage sur la composition, si bien que l’auditeur ne peut que construire un système d’écho entre les deux œuvres : c’est pourquoi j’ai préféré en faire le compte rendu immédiatement après celui de Saariaho : les deux œuvres (Tapiola est plus concentré, moins de vingt minutes) affichent cette sérénité qui se tresse avec le drame qui m’a tellement frappé dans la pièce de Saariaho.
Ensuite, ce répertoire fait partie de l’ADN de tout musicien finlandais et il me semblait juste de m’arrêter sur la qualité d’une exécution à la fois retenue et tendue, qui en quelque sorte nous raconte une histoire.
Le poème prend son titre du Dieu Tapio, le Dieu de la forêt du Kalevala, œuvre maîtresse de la mythologie finnoise recomposée du XIXe, pour devenir la référence de l’identité nationale finlandaise.
Tapio, dieu des forêts dans un pays où la forêt domine les paysages, se cache donc derrière chaque arbre, dans une nature animiste que toutes les mythologies connaissent. Derrière chaque élément de la nature se cache une divinité, et toutes les mythologies font état de divinités sylvestres. En plus Sibelius possédait lui-même au milieu des bois une maison Ainola. La forêt est un lieu favori des contes, avec son obscurité, ses bruits divers, les sifflements dans les feuilles : la forêt a quelque chose d’un être vivant, une idée que d’ailleurs des livres récents ont développée ((Par exemple : Peter Wohlleben, La vie secrète des arbres, Les Arènes, 2017.))

La forêt est donc un lieu « animé », où comme dirait Hugo, tout est plein d’âme. L’édition originale est précédée d’un quatrain de Sibelius :

Elles s’étalent amplement, les sombres forêts du Nord,
Anciennes, mystérieuses, grosses de rêves sauvages ;
Au milieu d’elles habite le puissant Dieu de la Forêt,
Et les lutins des bois dans l’ombre tissent de magiques secrets.

Les échos avec Saariaho qui précèdent je les vois dans cette notion de paysage et d’état d’âme, dans la mesure où au-delà le la symphonie de couleurs de la pièce de Saariaho et du dramatisme de la seconde partie, il y circule une tension et comme un sentiment d’inquiétude à travers ces sons rugueux qu’on y peut percevoir.
Le poème symphonique de Sibelius, Tapiola, est la dernière grande œuvre orchestrale du compositeur finlandais, sa symphonie n°8 qui devait suivre, à l’élaboration difficile, ayant disparu (perdue ? détruite ?).
Tapiola est une œuvre sombre comme l’ombre des forêts, foisonnante comme le bruit des arbres, une œuvre singulièrement concentrée, qui est traversée de petits moments apaisés, de grands moments dramatiques comme la manière dont le vent siffle dans les arbres est mimé, mais qui dans l’ensemble présente une couleur austère qui n'est pas sans rappeler La Mer de Debussy. Nous sommes sans cesse au bord de l’atonalité, avec des dissonances qui surprennent au milieu d’un tissu sonore qui fait quelquefois penser à Wagner. Cette nature n’est pas calme, elle est traversée d’une angoisse sourde que l’interprétation du Helsinki Philharmonic Orchestra et de Susanna Mälkki font singulièrement sentir, notamment avec des cordes particulièrement denses, qui tendent l’ambiance générale jusqu’à un sentiment de vague terreur que les grecs appelaient Thambos (θάμβος), cette terreur sacrée qui naissait du sentiment d’une nature habitée. Ce qui frappe c’est encore une fois la clarté du rendu, la richesse du son, ses différents niveaux qui alternent en des moments brefs d’apaisement mais maintenant sans cesse une pointe de tension, jouant sur les textures, sur les rythmes, qui fait de la fin du concert un moment particulièrement paradoxal qui fait entendre toute l’écriture et toute la circulation interne de la partition, et en même temps qui est rendue de manière particulièrement concentrée, profonde, sans jamais une concession au superficiel ou au décoratif en un moment exceptionnel
Bien sûr, entre l’impressionnisme coloré de Saariaho et cette concentration obscure et angoissante, il y a deux visions d’un paysage, mais des deux « états d’âme » émerge grâce à l’interprétation de l’orchestre un double sentiment de tension ou d’inquiétude, dialectique chez Saariaho, assez monolithique chez Sibelius. En tous cas passionnant à confronter.

 

Dieter Ammann, The Piano Concerto (Gran Toccata) (2016–2019)

En complet contraste avec Vista, la première partie du concert s’est achevée par ce qui fut sans doute son climax, tant le succès auprès du public a été grand, avec standing ovation, et grand enthousiasme des jeunes de l’académie présents. L’œuvre est une commission des Münchner Philharmoniker, de la BBC Radio3, du Boston Symphony Orchestra, du Konzerthaus Wien, du Lucerne Festival, de Pro Helvetia et du Taipeh Symphony Orchestra, autant dire que cela lui assure un écho certain autour du monde. Elle a été créée aux Proms de Londres par le BBC Symphony Orchestra dirigé par Sakari Oramo (finlandais…), le 19 août 2019, avec en soliste Andreas Haefliger (fils du ténor Ernst Haefliger et frère de Michael Haefliger (Intendant du Lucerne Festival), qui avait demandé à Ammann de lui composer un concerto pour piano. Le concerto bénéficie déjà d’un enregistrement sous le label scandinave BIS, avec le Helsinki Philharmonic Orchestra dirigé par Susanna Mälkki (qui réunit ce concerto, celui de Ravel pour la main gauche et le concerto n°3 de Bartók), ce qui est exceptionnel pour une œuvre aussi récente.
Donc, première suisse d’une œuvre d’un compositeur suisse interprétée par un pianiste suisse, il y avait évidemment dans ce concert un côté retour au pays qui lui donnait une chaleur inhabituelle.

Susanna Mâlkki et Andreas Haefliger

Et de fait, ce concerto a tout pour plaire, à commencer par une énergie incroyable qui ne se dément pas pendant toute la durée de l’exécution (environ 30 minutes) laissant au soliste des cadences impossibles et une certaine licence d’improvisation (il offrira un bis spectaculaire composé de variations sur les cadences du concerto qui mettra la salle à genoux). Boule de feu qui entraîne l’auditeur dans un tourbillon qui rompt avec la relative retenue de l’œuvre précédente (Saariaho), ce concerto a quelque chose de monstrueux, mêlant des univers sonores différents, échos de Stravinsky, puis très jazzy, très « bernsteinien » voire par moments, « gershwinien », à d’autres fortement marqués par le minimalisme (Steve Reich) avec des alliances d’instruments étonnants (piano, vibraphone, voire marimba qui s’enchaînent si naturellement, sans aucune rupture), mais aussi des univers qui sont en perpétuelle concomitance/rupture entre le jazz classique, l’avant-garde, la tonalité et l’atonalité,  entre un mélange explosif où l’orchestre n’est jamais étouffé par la performance hors normes du soliste : bien au contraire, Susanna Mälkki réussit à rendre tout cela cohérent, à assurer à l’orchestre une vraie présence qui n’est pas étouffée par le soliste mais réussit à dialoguer avec lui, entre des moments en perpétuelle explosion et quelques moments plus lyriques, très mélancoliques, mais où la tempête sonore n’est jamais très loin.
Une bombe sonore étonnante, apte à enflammer des salles et les déchaîner, comme ce fut le cas à Lucerne, mais en même temps une œuvre très écrite, très précise, qui nécessite une phalange et un(e) chef(fe) d’envergure pour maintenir en place une œuvre qui, sous des mains moins expertes, pourrait parfaitement se déliter et partir en quenouille, car on se demande, au-delà de la démonstration époustouflante de Haefliger, si on a un concerto pour piano que l’orchestre accompagne, ou un concerto pour orchestre dont le piano serait le cœur battant.  Démonstration au sens propre magistrale.

Andreas Haefliger, Dieter Ammann, Susanna Mälkki Helsinki Philharmonic Orchestra (30 août 2022, Lucerne)

 

Pet Nørgård : Symphonie n°8

C'est la composition la moins récente de cette exposition de musique très contemporaine puisque la création remonte à 2012, par le Helsinki Philharmonic Orchestra à la Maison de la Musique d’Helsinki (Musiikkitalo) dirigée par le directeur musical de l’époque, John Storgårds. Une symphonie en trois mouvements, qui réunit différents styles, dont un second mouvement (lent) aux accents plutôt traditionnels. L’impression d’une architecture assez marquée par le post-romantisme (sa première symphonie procédait nettement de Sibelius), mais habillée de fulgurances modernes, de sons qui traversent brutalement la mélodie (cuivres étonnants au début) comme en architecture ces édifices construits de manière traditionnelle, mais habillés de tubes ou de verre pour faire croire à la modernité.
Cette symphonie, la dernière en date du compositeur qui vient de fêter ses 90 ans, donne un peu cette impression de « fausse » modernité. L’ambiance en tout cas tranche aussi bien avec le concerto qui précédait en première partie, que la tension presque existentielle du Tapiola qui va suivre. On l’écoute sans déplaisir, d’autant qu’une fois de plus, l’orchestre philharmonique d’Helsinki démontre sa maîtrise, avec des interventions d’instruments très découverts, qui s’enchaînent, mais sans ligne ni couleur caractéristiques : démonstratif plus qu’autre chose et donc l’impression qui est laissée reste un peu superficielle. Des dissonnances nombreuses dans la premier mouvement (Tempo giusto – Poco allegro , molto distinto) le plus dense et le plus long, laissent place à des phrases plus « mélodieuses » dans un deuxième mouvement (adagio molto) en rupture complète avec le premier.
Le troisième (Più mosso – lento visionario) commence en marche presque militaire pour se terminer en un lento visionario qui semble préparer au Sibelius qui va conclure le concert. Au total une œuvre intéressante dans la mesure où elle tranche avec toutes les autres par sa couleur relativement traditionnelle, intéressante aussi par la manière dont elle sollicite l’orchestre qui répond de manière remarquable (ce sont les Wiener Philharmoniker qui ont enregistré cette symphonie sous la direction de Sakari Oramo…), mais une expérience d’auditeur qui n’est pas marquée par des moments exceptionnels.

Helsinki Philharmonic Orchestra à Lucerne le 30 août 2022

Au total, une soirée passionnante, qui a permis d’aborder un répertoire neuf, inconnu, et de vivre vraiment des moments de belle intensité, avec une constante : l’excellence d’un orchestre préparé, précis, sûr sous la direction d’une cheffe que les managers confinent encore souvent dans un répertoire contemporain dont elle est une référence depuis bientôt trois décennies, mais qui montre ici des qualités telles qu’ils devraient avoir aussi le réflexe Mälkki dans n’importe quel autre répertoire : on entend dans un répertoire plus classique des chefs et des cheffes bien moins sûrs, plus médiocres, plus ennuyeux et moins sensibles aujourd’hui dans bien des salles et des opéras. Elle va diriger Il Trittico de Puccini au Liceu de Barcelone cet automne, c’est le moment d’aller l’écouter…

Susanna Mälkki le 30 août 2022 à Lucerne
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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

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