CHE ORIGINALI !
Farsa per musica di Gaetano Rossi
Musica di Johann Simone Mayr
PIGMALIONE
Scena lirica in un atto da Simeone Antonio Sografi
Musica di Gaetano Donizetti

Direttore Gianluca Capuano
Regia Roberto Catalano
Scene Emanuele Sinisi
Costumi Ilaria Ariemme
Luci Alessandro Andreoli
Assistente alla direzione Roberto Frattini

Che Originali !

Bruno De Simone (Don Febeo),
Chiara Amarù (Donna Aristea),
Leonardo Cortellazzi (Don Carolino),
Angela Nisi (Donna Rosina),
Omar Montanari (Biscroma),
Gioia Crepaldi (Celestina),
Pietro Di Bianco (Carluccio)

Pigmalione :
Antonino Siragusa (Pigmalione),
Aya Wakizono (Galatea)
Orchestra dell’Accademia Teatro alla Scala
Nuovo allestimento e produzione della Fondazione Donizetti

 

Bergamo, Teatro sociale, 25 novembre 2017

Le titre de l'article ne correspond pas tout à fait au spectacle, car une pièce de 30 minutes ne pouvait être le seul objet d'une soirée. Le Festival Donizetti ( qui vient de nommer Riccardo Frizza directeur musical) a donc complété par Che originali ! (1798) une « farce en musique » de Giovanni Simone Mayr, l’autre compositeur (bavarois) ayant élu résidence à Bergame, et encore assez peu connu hors d’Italie.
Une soirée que le metteur en scène Roberto Catalano a cherché à unifier par un dispositif scénique unique de Emanuele Sinisi, proposant un spectacle divertissant et varié.
Pigmalione de Donizetti (son premier opéra) après un Mayr assez conventionnel, assez faible dramaturgiquement et long (1h45) affiche un relief inattendu, avec une musique énergique, et un Antonino Siragusa des grands soirs.

Pigmalione et Galatea…

Pigmalione est la première œuvre de Gaetano Donizetti, sur un livret de Simeone Antonio Sografi. Les racines de cette œuvre en sont claires : tout commence par une pièce écrite par Jean-Jacques Rousseau dans les années 1760, et mise en musique sous la forme de scène lyrique par Horace Coignet (et sans doute Rousseau lui-même) créée à Lyon en 1770. Ce mélologue (un texte parlé accompagné de commentaires musicaux) peu connu raconte l’histoire, issue des Métamorphoses d’Ovide,  du sculpteur Pygmalion amoureux de sa création Galatée, à qui Aphrodite finit par donner la vie. C’est le thème du Pygmalion de George Bernard Shaw, qui a inspiré le Musical bien plus connu My fair Lady de Frederick Loewe.

Le Pygmalion de Rousseau avait aussi inspiré en Italie, à Venise en 1790, Pigmalione, sur un texte de Simeone Antonio Sografi qui traduit l’original, mis en musique par Gian Battista Cimador. On voit que l’œuvre pourtant aujourd’hui tombée dans l’oubli, a suscité intérêt et une certaine tradition. Le Festival Donizetti, a proposé fort intelligemment en son édition 2017 outre la pièce de Donizetti, l’original de Rousseau le 30 novembre dernier.
La production de Pigmalione qui, rappelons-le n’a fait l’objet d’une représentation qu’en 1960, est évidemment d’un grand intérêt, vu l’inexistence de l’œuvre sur les scènes, mais un producteur ne peut la proposer seule pour composer une soirée : le Festival Donizetti a donc proposé en complément Che originali ! du bavarois Giovanni Simone Mayr, l’autre compositeur qui a élu domicile à Bergame, et surtout professeur du jeune Donizetti. La production, confiée à Roberto Catalano, s’inscrit dans un décor unique (un peu comme l’a fait Lotte De Beer à Munich pour il Trittico) de manière à créer une unité un peu artificielle d’ailleurs vu la très grande différence musicale et dramaturgique entre les deux œuvres.

Bfruno de Simone (Febeo)

Che originali ! raconte l’histoire d’un barbon, Don Febeo, amoureux de la musique à un point tel que sa passion (ou sa manie) détermine les comportements de chacun des membres de la maisonnée :  Rosina, une des deux filles, se réfugie dans l’hypocondrie pour échapper à la folie de la musique, et Aristea feint d’être passionnée quand sa seule passion est l’écrivain Metastase. Don Carolino, amoureux d’Aristea, se voit refuser la main de son aimée par Febeo parce qu’il ne connaît pas assez la musique, il va essayer alors plusieurs fois (avec la complicité des valets) de rentrer dans la maison (cela ressemble un peu au Barbier de Séville) sous divers déguisements. C’est lorsqu’il se fera passer pour un célèbre compositeur (qui rappelle d’ailleurs l’Amadeus de Forman dans la mise en scène) qu’enfin Febeo lui donnera sa fille.
Cette farsa per musica m’est apparue au total assez répétitive par les motifs des divers travestissements (costumes de Ilaria Ariemme)  et l’intrigue en est bien faible ; elle apparaît d’autant plus que l’œuvre est longue (1h45) et sans ressorts marqués. La mise en scène de Roberto Catalano, riche de jolis costumes, assez divertissante, essaie de manière  intelligente de lier la première et la deuxième partie : derrière le fond de scène (une reproduction d’une célèbre toile de Lucio Fontana Concetto spaziale ) se découvre bientôt un décor plus monochrome où le sculpteur Pygmalion regarde le monde de Che originali ! s’agiter. Un monde coloré de marionnettes où l’art (la musique) devient obstacle et paraît un divertissement bourgeois là où dans Pigmalione le processus de création aboutit à une sorte de mimétisme entre l’art et la vie.

Che originali ! Couleur et truculence…

Si la farce de Mayr montre la musique complètement instrumentalisée par le personnage de Febeo, un art qui devient obstacle à la vie réelle, l’art vu par Pigmalione est vie réelle, fusion de l’être et de la représentation. Il y a entre les deux œuvres un vrai contraste, couleurs costumes, caricatures dans la première, hiératisme d’un espace contemporain ou atemporel dans l’autre. Ainsi la mise en regard des deux œuvres prend-elle sens autour de la considération pour l’art, d’un côté décoratif ou simple objet de caprice, de l’autre élément vital : la mise en scène de Roberto Catalano utilisant le même espace (d’Emanuele Sinisi) et faisant jouer aussi les deux œuvres l’une par rapport à l’autre, rend bien ces deux points de vue.

La musique de Mayr elle non plus ne m’est pas apparue si inventive. On entend des échos fortement mozartiens (au début, cela rappelle fortement la scène I de Don Giovanni), et la structure est plus héritière d’un XVIIIe finissant qu’annonciatrice du XIXe. Tout cela est élégant, sonne bien, mais ne bouleverse pas les canons de l’histoire de la musique.
L’exécution tout au contraire est dominée d’abord par la prestation très avantageuse du chef Gianluca Capuano, qui tient bien l’orchestre de l’Accademia del Teatro alla Scala, lui fait produire des sons raffinés, avec beaucoup de précision et d’élégance. C’est sans nul doute l’élément fédérateur de la soirée, avec un accompagnement sans scories et avec de jolies cordes, bien charnues et assez énergiques et un tempo tendu qui donne une certaine énergie à l’ensemble. J’ai assez aimé la nervosité et la tension serrée des rythmes, ainsi que la force dramatique qui contraste dans Pigmalione.
Che originali ! présente une distribution homogène dominée par le Febeo de Bruno De Simone, rompu à ce type d’exercice, à l’émission impeccable, au phrasé sans failles même si la voix semble un peu voilée notamment dans certains graves, mais l’ensemble reste exemplaire. Le jeune ténor Leonardo Cortellazzi est une vraie promesse en Don Carolino, timbre lumineux, expressivité vocale exemplaire, dans les variations de couleurs notamment, une grande élégance dans un chant très bien contrôlé, personnage très présent en scène, à la fois touchant et maladroit, à suivre. Sa fiancée, Donna Aristea, est Chiara Amarù, un beau mezzosoprano, à la voix ronde, et de jolis sons graves. Sa sœur, Donna Rosina était Angela Nisi, soprano, dans l’ensemble très correcte avec un peu d’acidité à l’aigu. Les autres, et notamment les domestiques Omar Montanari (Biscroma) et Gioia Crepaldi (Celestina) sont alertes, et très présents scéniquement, mais le jeune baryton l’emporte en sûreté vocale et par un impeccable phrasé, très correct le Carluccio du baryton-basse Pietro Di Bianco.
L’ensemble forme une compagnie jeune, d’un bon niveau d’ensemble et qui sert bien l’œuvre, dirigée par un chef de grande qualité, qui va montrer aussi dans Donizetti comme il s’empare d’une forme rare.
On mesure mal aujourd’hui comme Pygmalion  de Rousseau (on s’arrête en général au Devin du village) s’est emparé d’un mythe dont la fortune est notable, avec plusieurs reprises de l’histoire dès la fin du XVIIIe . Le mélologue (ici scena lirica), est un texte normalement dit sur la musique, le Pigmalione de Donizetti est un long monologue en cantilène du ténor, longue plainte de l’artiste sur sa création qui fait un peu penser – par la situation – au monologue désespéré de Faust ; Il demande pendant une trentaine de minutes une tension qui n’est pas négligeable. L’ambiance, dans le même décor est totalement différente : costumes contemporains, et au lieu des couleurs de Che Originali ! une ambiance en noir et blanc et un espace très hiératique d’une chambre à coucher, un peu comme si Pygmalion faisait un rêve.

La troupe de Che originali ! observée au loin par Pigmalione…

Ce Pigmalione, on l’a vu dans l’œuvre précédente regarder ce qui se passait et comment l’art était objet de farce, il n’en est pas de même ici. Ici, c’est du sérieux. La musique de Donizetti sonne plus comme une musique de l’avenir : influence de Beethoven ou de Cherubini, elle regarde sur le XIXe, sans aucun doute possible, avec une tension palpable. La direction d’orchestre est attentive et serrée, avec des contrastes qui savent ménager des effets de théâtre. La musique est surprenante parce qu’elle ne semble pas celle d’un jeune homme de 19 ans, déjà maîtrisée avec des traits qui s’annoncent durables dans l’œuvre future de Donizetti, très bien servie par un orchestre vraiment précis, nuancé, maîtrisé. Au total c’est sans doute le chef Gianluca Capuano qui emporte la palme de la conviction, mais aussi d’un certain raffinement.

 

Antonino Siragusa (Pigmalione) et en arrière plan Aya Wakizono (Galatea)

Le texte de Sografi ménage récitatifs et arie : le premier air est typiquement donizettien et sollicite le ténor Antonino Siragusa, connu pour être rossinien de grand niveau, à la voix forte, aux aigus triomphants, il réussit à donner au personnage une véritable intériorité, avec un vrai sens du pathétique et une présence notable. Il en faut pour tenir la scène seul pendant une trentaine de minutes. À ses côtés la Galatée sculpturale de Aya Wakizono à la voix bien posée, qui intervient brièvement en fin d’opéra.
Au-delà de la prestation du ténor, c’est l’accompagnement musical qui surprend car c’est un petit opéra en miniature auquel s’est confronté le jeune Donizetti qui rassemble ses souvenirs mais qui sait aussi travailler dans l’originalité. Bien des maisons d’opéra qui ne savent pas trop comment équilibrer leurs soirées avec deux œuvres devraient penser à ce Pigmalione, après tout découvert en 1960 et pas du tout représenté depuis, à condition d'avoir le ténor adéquat…

Une soirée sans aucun doute stimulante par l’originalité du programme et par un travail d’orchestre notable de Gianluca Capuano, véritable artisan du succès réel du spectacle.

 

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

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