À l’instar de Sografi (1793), Pacini et Vaccaj (1819), Donizetti s’était essayé déjà lui aussi en 1819, s’inspirant de la comédie d’Alexandre Duval (1805), Le menuisier de Livonie ou Les illustres voyageurs, à composer sur l'histoire de Pierre le Grand un opéra semiseria, Il falegname di Livonia, ossia Pietro il grande, Kzar delle Russie. Une dizaine d’années plus tard il revient au sujet.
Le livret de Domenico Gilardoni se fonde cette fois sur une pièce française de 1818, Le Bourgmestre de Sardam ou les deux Pierre, de Melesvilles, Jean Toussaint Merle et Eugène de Cantiran Boirie qui sera réutilisée plus tard (en 1837) par Lortzing pour Zar und Zimmermann et qui a aussi été l’objet d’autres livrets d’opéra.
L’histoire remonte au XVIIe quand Pierre le Grand est à Sardaam, ville des Pays Bas incognito sous le nom de Pietro Michailoff pour étudier la construction des navires (une histoire mythique qui fit le tour d’Europe). Un autre Pierre, Pietro Flimann, russe lui aussi est un déserteur amoureux de la pupille du Bourgmestre, Marietta, dont il est aimé de retour. Ali, envoyé du sultan cherche Pierre lui aussi, qui doit revenir en Russie où gronde la révolte. Pierre Flimann est confondu avec le Tsar, mais il révèle l’erreur à Marietta, et à la fin quand le vrai Pierre se révèle, tout rentre dans l’ordre, Pierre Flimann est fait amiral, et peut ainsi épouser Marietta. Seul le Bourgmestre de Saardam, Wambett, qui avait des vues sur Marietta reste seul.
La réalisation de Davide Ferrario, avec les décors de Francesca Bocca et les costumes XIXe de Giada Masi, est relativement simple, le décor est constitué essentiellement d’une charpente de navire en construction et de projections : pour une œuvre au livret relativement grêle, l’accompagnement scénique n’accentue pas le ridicule par des bouffonneries excessives, et l’ensemble demeure élégant, sans prétentions inutiles.
La musique de Donizetti a été taxée de « rossinisme » excessif lors de la reprise à la Scala en 1828 (version présentée à Bergamo dans l’édition critique de la fondation Donizetti établie par Alberto Sonzogni, avec quelques emprunts à l'édition originale de 1827, qui était en napolitain).
La musique est alerte, ressemble effectivement au Rossini bouffe, avec une volonté néanmoins de se différencier (l’ouverture), par l’utilisation de certains instruments comme les bois ou même la vocalité (notamment les airs de Marietta). La réalisation musicale de Roberto Rizzi Brignoli, tout en étant précise, manque peut-être de vitalité et d’une certaine légèreté, ou mieux, de fantaisie, il reste que l’ensemble est bien en place et que l’orchestre du Donizetti Opera montre de jolies sonorités, tout comme le chœur du Donizetti Opera dirigé par Fabio Tartari.
La distribution réunie est homogène plutôt de bon niveau, dominée par l’excellent Czar de Giorgio Caoduro, un baryton qui commence à être bien connu en Italie (moins en France), bel interprète de Rossini (c’est un Figaro demandé) et de bel canto (Donizetti et Bellini), timbre chaud, bel ligne, grande élégance belle projection et grande présence, son air de l’acte II, dans la scène avec Leforte est tout particulièrement réussi . Le Pietro Flimann de Juan Francisco Gatell, ténor bien connu, est doué d’un très beau timbre clair, vraiment remarquable d’expression, d’élégance, de maîtrise de l’ensemble du rôle, et de contrôle, ce spécialiste des rôles rossiniens mais aussi mozartiens est en plus doué d’une belle présence scénique.
Le Borgomastro (Wambett) était Andrea Concetti qui en fait une composition proche des rôles de basse bouffe rossinienne (sur le modèle de Don Magnifico), beau timbre sonore et art consommé.
On pourrait être moins convaincu du côté féminin. La Marietta de Irina Dubrovskaya est assez élégante, avec un beau contrôle sur la voix, mais assez peu homogène dans la ligne, avec un centre peu marqué et surtout un manque singulier d’expressivité, sans le peps requis pour une primadonna. Elle a les agilités, avec des aigus pour mon goût un peu dardés. L’ensemble est loin d’être indigne, mais n’atteint pas le niveau des collègues masculins.
Les autres rôles sont correctement tenus (Aya Wakizono, Pietro Di Bianco, Pasquale Scircoli, Alessandro Ravasio), ce qui fait que la soirée passe très agréablement : il est toujours réconfortant d’assister à la renaissance d’un festival, à la découverte d’œuvres inconnues proposées avec soin, et puis le lieu (Bergamo alta) est enchanteur, et ajoute à l’agrément de la soirée.