Opening Night
d’après le scénario de John Cassavetes

Mise en scène : Cyril Teste

Avec Isabelle Adjani, Morgan Lloyd Sicard, Frédéric Pierrot et la participation de Zoé Adjani

Traduction : Daniel Loayza
Collaboration artistique : Valérie Six
Conseil dramaturgique : Daniel Loayza, Marion Pellissier
Scénographie : Ramy Fischler
Création lumière et régie générale : Julien Boizard
Musique originale : Nihil Bordures
Vidéo : Nicolas Doremus, Mehdi Toutain- Lopez
Cadreur : Nicolas Doremus ou  Christophe Gaultier
Chef opérateur son : Thibault Lamy
Costumes : Agnès b.
Collaboration costumes : Katia Ferreira
Maquillage, coiffures : Laurence Azouvy [Kelly]
Illustration olfactive : Francis Kurkdjian
Création florale : Fabien Joly
Assistante à la mise en scène : Céline Gaudier
Assistante scénographie : Nina Chalot
Régie plateau : Guillaume Allory [Leo] ou Simon André
Régie son : Nihil Bordures, Thibault Lamy ou Laurent Bénard
Régie vidéo : Mehdi Toutain-Lopez ou Claire Roygnan
Direction de production : Nicolas Roux
Chargée de production : Julie Salles
Diffusion internationale : Julie Le Gall – Bureau Cokot
Service presse internationale : Rémi Fort / Myra
Relations presse Collectif MxM : Olivier Saksik

Production : Le Quai Centre dramatique national Angers, Pays de la Loire

Coproduction : Collectif MxM, Célestins – Théâtre de Lyon, Bonlieu – Scène nationale Annecy, Théâtre du Gymnase-Bernardines – Marseille, Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines – Scène nationale, Théâtre-Sénart – Scène nationale, Théâtre de Namur (Belgique), La Coop et Shelter Prod avec le soutien de Taxshelter.be, ING et du Tax-shelter du gouvernement fédéral belge.

 

Création au Théâtre de Namur – Belgique, le 22 février 2019
Première en France, au Quai, CDN Angers, le 7 mars 2019

Lyon, Théâtre des Célestins, vendredi 29 mars 2019

La vitalité du collectif MxM n’est très certainement plus à démontrer. Autour de Cyril Teste, des artistes d’horizons divers se regroupent pour impulser une créativité toute singulière « mêlant image, son, lumière et nouvelles technologies ». Tout soupçon de dérive techniciste ou de cabotinage des temps modernes est instantanément écarté par qui s’intéresse à la dynamique du groupe et à ses créations. Car il ne s’agit pas simplement d’articuler les formes et les savoir-faire : au fil des projets, le collectif MxM mène avec patience et précision, une authentique réflexion permettant de « questionner l’individu en tant que spectateur du réel, de la représentation et de la fiction ». Fort de ce substrat aux accents métaphysiques, Cyril Teste avance toujours dans ce parcours théâtral « de l’intérieur », parcours dans lequel le public a pu le suivre volontiers avec Nobody sur des textes de Falk Richter par exemple, ou encore depuis la saison dernière, avec Festen, adapté du film de Thomas Vinterberg, que Wanderer avait déjà beaucoup apprécié aux Célestins de Lyon. C’est dans cette même salle que nous nous sommes rendu pour assister au dernier projet du metteur en scène à l’occasion de son « essai numéro 19 » d’ Opening Night d’après le scénario de John Cassavetes. Et Isabelle Adjani s’approprie véritablement le rôle de Myrtle Gordon, rendu célèbre au cinéma par Gena Rowlands à la fin des années 70.

Isabelle Adjani-Myrtle, actrice en proie à ses tourments

À l’orchestre comme aux balcons, le théâtre se remplit et quelques phrases échangées avec le personnel des Célestins se font entendre. « La salle est particulièrement pleine ce soir ». Les rangées s’animent en effet, les spectateurs occupent progressivement l’ensemble des fauteuils devant un plateau qui les interpelle d’emblée par son étrangeté. Sous leurs regards, un intérieur cossu, assez réaliste qui n’est d’ailleurs pas sans évoquer celui de Festen. Là encore, un living,  une salle à manger dans des teintes claires et douces. La grande spécificité réside dans l’imposant panneau frontal qui se dresse, légèrement incurvé, constitué pour l’essentiel d’étagères supportant aléatoirement livres, flacons, verres, lampes, bouquets et devant lequel les meubles sont disposés. Il occupe le centre du plateau, percé de deux ouvertures à jardin et cour, comme des portes. Il laisse également paraître une partie des coulisses, à vue des deux côtés. Pourtant, c’est le grand écran central qu’il abrite qui retient l’attention : une image fixe est diffusée – un clin d’œil, tout est affaire de regard – une citation de Thierry Jousse pour Les Cahiers du cinéma, rappelant « le caractère déglingué » du théâtre révélé dans le film de John Cassavetes. Quelques techniciens passent derrière le panneau et jettent un coup d’œil furtif en direction de la salle. Nous sommes avant le début. Si ce n’est pas déjà le début. En raison du contraste entre l’apparente sérénité de cet intérieur reproduit sur le plateau et la présence non-dissimulée des techniciens ordinairement reclus dans l’ombre, on s’interroge sur une ouverture possiblement in medias res du spectacle.

Tandis que les lumières montent dans la salle, l’écran projette soudain une autre image levant le doute et dévoilant en direct les coulisses que les spectateurs aperçoivent simultanément à jardin. Une image en noir et blanc. Comme pour en souligner l’harmonie esthétique et surannée. Comme pour la teinter d’irréalité aussi peut-être. « Dans cinq minutes, on commence ». Kelly, la pétillante habilleuse jouée par Laurence Azouvy,  répète « Faut bien qu’on plaise au public, pas vrai ? ». Maurice – Frédéric Pierrot tout en gravité – reprend plusieurs fois la même phrase « J’te jure, t’as pas toujours été drôle ». Nouvelle étrangeté que ce moment qui s’apparente bien à un « instant d’avant », interdit d’habitude aux yeux du public. Une forme incongrue d’italienne. Une répétition à proprement parler, un piétinement temporel qui distord sur-le-champ le déroulement chronologique de ce qui aurait pu être la fable. Se libérant des conventions de la diégèse traditionnelle, toute représentation linéaire de la fiction est rendue impossible par une vertigineuse mise en abyme. Manny, le metteur en scène du spectacle dans le spectacle – très juste Morgan Lloyd Sicart – dépose un baiser sur la joue de Myrtle Gordon, la vedette de sa pièce non sans lui avoir bien recommandé de ne pas le « planter ce soir ». Les images des coulisses en noir et blanc, sont toujours retransmises sur l’écran central. Manny s’avance à l’avant-scène, s’adresse aux spectateurs, suivi par un technicien qui le filme. On reconnaît avec netteté le procédé caractéristique du travail du collectif intégrant un dispositif cinématographique sur scène, « en temps réel et sous le regard du public ». C’est ce même public qui apparaît alors sur l’écran, filmé à la demande de Manny. Le prisme de la fiction vole en éclats, le temps se fige dans un instant qui s’éternise. Myrtle entre en scène, est ovationnée – à moins que cela ne soit Isabelle Adjani ? Le son des applaudissements est d’abord off avant de fusionner avec celui du public des Célestins. Myrtle jette ses lunettes noires sur la table, se sert un verre. Le présent dure. L’actrice cherche à se dévoiler dans son intimité dans un espace-temps presque proustien. Comme Manny sur l’écran domine la silhouette de l’actrice, Cyril Teste dans sa démarche de recherche, se place au-dessus du spectacle théâtral pour mieux le questionner. En surplomb, il rompt la ligne frontalière entre le réel et la fiction. Entre la salle et la scène également. Le public, se retrouve absorbé dans le tourbillon partant du plateau, grossissant jusqu’à balayer toute position figée, interrogeant perpétuellement la situation qu’occupe chacun. Ainsi, toute représentation semble une occasion à la fois unique et renouvelée d’approcher cette connaissance de « ce qui fait théâtre ». Si particulièrement. Si mystérieusement surtout. Dotés d’une infatigable capacité à s’étonner, le metteur en scène et tous les acteurs de cette création dont les spectateurs font partie, s’inscrivent vraiment dans un processus d’expérimentation – l’affichage sur l’écran l’annonce d’ailleurs comme un « essai » dès les premières minutes. Ce projet semble se réclamer davantage du happening que les précédents. On comprend aisément la résonance entre le scénario de Cassavetes et le travail du collectif MxM. Loin de le plagier, loin de chercher  l’adaptation ou le dépassement, il lui donne une nouvelle direction, un envers du film où le spectacle vivant du théâtre assimile les procédés du cinéma, célébrant l’image par réverbération, en la projetant sur grand écran face au public.

Isabelle Adjani-Myrtle sur scène, Morgan Lloyd Sicard-Manny et Frédéric Pierrot-Maurice sur grand écran

Et cette image est surtout celle de Myrtle Gordon. Celle d’Isabelle Adjani. Qui d’autre pour se placer avec une telle vérité dans cette délicate posture propre à l’actrice ? Qui d’autre pour s’emparer de Myrtle, de ses égarements provoqués par l’irruption de la jeune Nancy brutalement arrachée à la vie ? Car il s’agit bien de prendre possession d’elle. Isabelle Adjani saisit pleinement ce personnage qui « prie (…) pour faire sens », qui perd toute quiétude se demandant si elle n’a pas « perdu la réalité de la réalité ». Nouveau vertige façon Piranèse. Le public en action – donc acteur à son tour – suit des yeux, poursuit même Myrtle-Adjani dans une trajectoire labyrinthique en quête de soi. Notons ici les sublimes images filmées en coulisses de la comédienne face au miroir, démultipliant son reflet dans ce qui pourrait devenir un étourdissant infini.

Gémissement angoissé. « Quelque chose ne va pas, quelque chose qui n’est pas dans la pièce » Par d’habiles procédés de montage, la forme spectrale de Nancy – Zoé Adjani apparaît, troublante dans cette discrète mais sensible parenté physique – se superpose à l’image de Myrtle. Zoé et Isabelle. Nancy et Myrtle. Les visages, les identités se croisent, se mélangent, se fondent dans ce point de rupture entre fiction et réalité. Le masque comme le reflet spéculaire de la vérité, cette image de soi dont on est en quête, sont dépassés. Pulvérisés. Manny reproche à l’actrice d’avoir tout révélé aux spectateurs. « C’est impardonnable ». Au regard de la fiction évidemment. Elle, elle espère juste « toucher une femme seule dans le public », proclame aussi qu’elle est « capable de faire n’importe quoi pour un rôle », entre dans celui de Nina, « la mouette » de Tchekhov. Autre glissement, autre errance. Myrtle s’enfonce, étourdie par ses propres incertitudes autant que par l’alcool qu’elle consomme à outrance. Son ivresse âcre et douloureuse se montre sans filtre face au public. Jusqu’au bout. Et en couleurs sur l’écran à la fin. Dans La Mouette, Nina n’avait-elle pas prévenu que l’essentiel dans le métier d’artiste est « de savoir endurer » ? En effet, l’actrice et le spectacle dans sa globalité endurent tous ces déchirements lors de chaque « soirée d’ouverture » sans cesse réactualisée, lors de chaque « essai » chaque fois repris.
Opening Night est une performance filmique particulièrement intéressante de par son perpétuel recommencement. Isabelle Adjani fait irradier le personnage de Myrtle Gordon, lui accordant non pas une nouvelle vie mais plutôt une autre vie. Celle qu’une actrice comme elle seule a les moyens de lui offrir. Celle également que seul, le théâtre peut offrir. Cyril Teste et tout le collectif MxM, se font ici encore plus « voyants » que par le passé avec ce théâtre « déglingué (…) qui ne sort pas indemne de ses épreuves », comme l’annonce l’écran à l’entrée en salle. Et c’est sans éprouver la moindre hésitation que nous les suivrons dans leurs prochaines expérimentations. Sûrement plus loin, de l’autre côté du miroir.

Isabelle Adjani-Myrtle et Frédéric Pierrot-Maurice
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Thierry Jallet
Titulaire d'une maîtrise de Lettres, et professeur de Lettres, Thierry Jallet est aussi enseignant de théâtre expression-dramatique. Il intervient donc dans des groupes de spécialité Théâtre ainsi qu'à l'université. Animé d’un intérêt pour le spectacle vivant depuis de nombreuses années et très bon connaisseur de la scène contemporaine et notamment du théâtre pour la jeunesse, il collabore à Wanderer depuis 2016.

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