Krzysztof Warlikowski / Marcel Proust

Les Français
d’après À la recherche du temps perdu de Marcel Proust

Adaptation Krzysztof Warlikowski, Piotr Gruszczynski
Mise en scène Krzysztof Warlikowski

Scénographie et costumes Małgorzata Szczesniak

Musique Jan Duszynski

et Une page de l’album. Pièce sur violoncelle et bande sonore de Paweł Mykietyn interprétée en live par Michał Pepol

Responsable lumières Felice Ross
Chorégraphie Claude Bardouil
Vidéo Denis Guéguin
Animations Kamil Polak
Dramaturgie Piotr Gruszczynski
Coopération dramaturgique Adam Radecki
Coopération à l’adaptation Szczepan Orłowski
Maquillages et coiffures Monika Kaleta

Avec :

 

Première partie
Oriane de Guermantes Magdalena Cielecka
Basin de Guermantes Marek Kalita
Marie de Guermantes Agata Buzek / Magdalena Popławska
Robert de Saint-Loup Maciej Stuhr
Baron de Charlus Jacek Poniedziałek Charles Swann Mariusz Bonaszewski
Princesse de Parme Ewa Dałkowska
Dame de compagnie Małgorzata Hajewska-Krzysztofik
Alfred Dreyfus Zygmunt Malanowicz
Narrateur Bartosz Gelner
Rachel Agata Buzek / Magdalena Popławska
Odette de Crécy Maja Ostaszewska
Performance Claude Bardouil

 

Deuxième partie

Rachel Agata Buzek / Magdalena Popławska
Robert de Saint-Loup Maciej Stuhr
Narrateur Bartosz Gelner
Baron de Charlus Jacek Poniedziałek
Charles Morel Bartosz Bielenia
Albertine Simonet Maria Łozinska
Charles Swann Mariusz Bonaszewski
Odette de Crécy Maja Ostaszewska
Oriane de Guermantes Magdalena Cielecka
Basin de Guermantes Marek Kalita
Marie de Guermantes Agata Buzek / Magdalena Popławska
Gustave Verdurin Wojciech Kalarus
Reine de Naples Ewa Dałkowska
Sidonie Verdurin Małgorzata Hajewska-Krzysztofik
Gilberte Swann Agata Buzek / Magdalena Popławska

Violoncelle Michał Pepol

 

Troisième partie

Robert de Saint-Loup Maciej Stuhr
Charles Morel Bartosz Bielenia
Baron de Charlus Jacek Poniedziałek
Narrateur Bartosz Gelner, Zygmunt Malanowicz
Gilberte Swann Ewa Dałkowska
Oriane de Guermantes Magdalena Cielecka
Sidonie de Guermantes Małgorzata Hajewska-Krzysztofik
Basin de Guermantes Marek Kalita
Odette de Crécy Maja Ostaszewska
Gilbert de Guermantes Wojciech Kalarus
Rachel / Phèdre Agata Buzek / Magdalena Popławska

Production Nowy Teatr. Coproduction Ruhrtriennale / Théâtre National de Chaillot / Comédie de Genève / Comédie de Clermont-Ferrand / La Filature, scène nationale – Mulhouse / Le Parvis – Scène nationale Tarbes Pyrénées

Le 22 novembre 2016 au Théâtre National de Chaillot

Krzysztof Warlikowski propose à Chaillot un spectacle intitulé "Les Français", d'après À la Recherche du Temps perdu de Marcel Proust. Si l'immensité du défi de monter Proust au Théâtre peut séduire a priori, le résultat se dissout dans une approche assez contestable d'où émerge quelques scènes-performances à la teneur humoristique et décalée permet de prendre une hauteur salutaire…

proust

Pour son troisième spectacle au Théâtre de Chaillot après Contes africains d’après Shakespeare et Kabaret Warszawski d’après Bob Fosse et John Cameron Mitchell, Krzysztof Warlikowski propose un travail autour de la Recherche du temps perdu de Marcel Proust – un spectacle qu'il titre de manière très simple et elliptique : "Les Français". Rien de strictement narratif ou même littéraire ici. Sans doute parce que la matière proustienne contredit les règles d'une dramaturgie strictement théâtrale et que toutes les tentatives de représenter Proust (surtout au cinéma) échouent lamentablement, le travail de Warlikowski se focalise sur un corpus de "moments" de la Recherche. Ces extraits sont assemblés en trois parties selon un enchaînement qui suit l'organisation et les titres des romans qui constituent l'œuvre. À l'intérieur de ces parties, le metteur en scène procède à un choix arbitraire qui isole les extraits selon un fil rouge destiné à en révéler la teneur et la dimension politique.

 

Evoquant dans une interview que le fait qu'"attaquer Proust au théâtre est aujourd’hui une action de mise en scène postmarxiste ou même néo-marxiste", Warlikowski reprend à son compte un Proust critique du système social de son temps, interprétation qui avait cours dans les ex-pays du bloc communiste. Cette clé de lecture permet de saisir comme "décadente" la société parisienne d'avant 1914 et voit dans ce mélange de snobisme et de mœurs corrompues les origines de la décrépitude inexorable de ce "bestiaire" proustien. Usant d'un ensemble de signes réduits à quelques ficelles déjà vues permet de mettre en images cette vision sociale d'où émergent les thèmes de l'antisémitisme et de l'homosexualité. Ainsi la galerie de plexyglas coulissante qui isole le clan Guermantes des très littérales "singeries" du salon de Madame Verdurin – dont le snobisme ridicule et la volonté de percer dans le monde se signale par une pachydermique allusion à la scène initiale de 2001 : A Space Odyssey dans laquelle Stanley Kubrick imagine l'origine de la société humaine.

 

Impossible à rendre dans l'immédiateté et le présent d'une scène de théâtre, la question du Temps se réduit à un étirement continu, scandé par une suite de saynètes où l'ennui tient lieu d'évocation, avec des dialogues qui prolifèrent hors-sol, dans un écrin de musique d'ambiance tantôt proprettes ou mal sonorisées, avec abus de micros HF. L'absence d'intérêt (revendiquée) pour la langue proustienne et l'invention d'un mythe littéraire conduit à donner à cette Recherche un aspect de cadavre exquis d'où émane un parfum de disparate. L'humour rattrape en partie cette approche erratique et irritante, à commencer par cette sonate de Vinteuil façon DJ set avec l'ambigu Morel qui se déhanche derrière ses platines, ce Catleya (ou Arum) avec pistil-pénis géant ou encore ce pas de deux entre un mystérieux faux-Noir et Gilberte en ballerine – allusion insistante à l'étrangeté de la danse classique déjà vu dans Lulu de Berg à la Monnaie.

 

Warlikowski aime à brouiller les pistes et, parce que la première personne du Narrateur ne serait pas tenable durant 4h30, il se résout à choisir un indirect libre qui ménage récit rapporté et discours direct. Certains personnages-clés sont tout simplement absents, comme par exemple la Mère et par conséquent toutes les scènes fondamentales sur lesquelles reposent le début de la Recherche. La déchéance de Charlus, la souffrance de Swann et le fameux Bal des têtes se lisent au détour de sketches dont la récurrence ne suffit pas à rendre l'épaisseur et la complexité du texte de Proust. Que dire enfin de ce titre : "Les Français" ? Le titre flotte comme un vêtement trop grand, à moins de prendre Warlikowski au mot et de le croire quand il parle d'un forme de provocation : "ça peut être des Français imaginés, ça peut être des Polonais… des Européens". Cette distance fait le pari d'une langue théâtrale dans laquelle le français n'a que peu de place (même les extraits de Phèdre dans la conclusion sont donnés en polonais).

Un spectacle à lire comme un étrange objet de distanciation.

 

 

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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.

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