Poursuivant l'exploration de lieux musicaux dignes d'attention, notre correspondant à Venise Mauro Masiero présente un espace fascinant dédié à la musique, l'auditorium "Squero" (la cale sèche), atelier de construction et de réparation navale complètement restauré et transformé en lieu dédié à la musique, situé dans les espaces magnifiques de la Fondation Cini de l'île San Giorgio, faisant face à la Lagune grâce à une verrière qui donne à cet espace une grande singularité. Le visiteur qui passe par Venise serait bien inspiré de s'attarder sur l'île San Giorgio lors de sa prochaine visite.

Traduit de l'italien par Guy Cherqui

Dans l’espace idéal des édifices qui constituent la Fondation Cini – faites d’ailes oblongues et de cloîtres néo-classiques – issus des projets d’un architecte génial – il manquait un lieu dédié exclusivement à l’exécution et à la jouissance de la musique. On ne compte pas les salles, ni même les espaces adaptés à l’extérieur à ciel ouvert, mais aucun n’est né avec l’intention d’y offrir des événements musicaux. Pareil endroit existe depuis 2016 : un auditorium sorti de terre à l’intérieur du l’ancien chantier de fabrication et de réparation des bateaux dans l’île de San Giorgio ; le Squero ((NdT : la cale sèche)), le bien nommé.

Le vaste espace, abandonné depuis des lustres, qui fait face au sud de la lagune, a été objet d’une restauration respectueuse et réversible, qui a inscrit une sorte de boite à l’intérieur des murs anciens, laissant libre la charpente en chevrons responsable pour une grande part de l’excellente acoustique.
Le détail qui fait tout et qui donne à l’intervention une élégance inouïe est un geste architectural d’une grande simplicité : la paroi qui donne sur la lagune est en verre, et se sert de la portion visible d’eau, de ciel et de terre (Le Lido) au loin comme d’une scénographie naturelle, changeante et incroyablement suggestive. Les lignes sobres et minimales, le verre en abondance qui permet de jouir du paysage rappelle la Langen Foundation de Neuss ((NdT : en Rhénanie du Nord-Westphalie, bâtiment de l’architecte japonais Tadao Ando)) et offrent à Venise finalement un espace moderne et fonctionnel où profiter d’une programmation musicale de très haut niveau, gérée et administrée par l’Association Asolo Musica ((NdT : Un des festivals les plus raffinés d’Italie, qui a pour centre la charmante ville d’Asolo, dans les collines au nord de Venise : voir le site d’Asolo Musica)).

La salle a été inaugurée avec l’intégrale des Quatuors de Beethoven interprétés en six concerts du Quartetto di Venezia, formation historique et talentueuse qui a élu résidence dans la nouvelle et splendide salle. Ce sont eux aussi en effet les protagonistes de la seconde saison, dans laquelle ils ont proposé, en douze concerts un répertoire pour quatuor très vaste qui va de Haydn à Hindemith, de Mozart à Chostakovitch, de Beethoven à Salviucci, ce dernier en création mondiale ; des solistes du calibre d’Oscar Chiglia et d’Alessandro Carbonare ont formé quintette à l’occasion. Dans cette seconde saison, Mario Brunello est un invité de prestige du Squero, qui interprète Bach sur un rare violoncelle de petite taille et qui commente l’œuvre aux auditeurs attentifs en une narration directe et simple, avec le don très rare de ne jamais tomber dans le banal et ni l’érudition excessive.

D’autres invités de la deuxième saison (qui se termine en décembre 2017) sont les Solisti del Teatro La Fenice – septuor de cordes et de vents qui propose des pièces originales pour cet ensemble inhabituel et des transcriptions de pièces très célèbres, ainsi que les Sonatori de la Gioiosa Marca : ensemble excellent  qui trouve au Squero le lieu idéal pour jouer de la musique ancienne.

Un lieu magnifique, pour son acoustique et pour la vue, certes, mais pas exempt de problèmes, malgré sa position totalement isolée, – ou peut-être à cause du silence précieux dans lequel le lieu se trouve immergé – les moteurs de quelques bateaux arrivent à s’entendre à l’intérieur de la salle, mais ce n’est pas un problème insoluble avec le recours à quelque modification acoustique.
Ce qui ne peut pas être architectoniquement résolu, c’est la vue abominable des navires de croisière colossaux qui continuent de traverser le canal de la Giudecca, un vrai massacre pour la Lagune et son écosystème malade ; en plein concert il n’est pas rare que la vue soit polluée par ces Léviathan mécaniques qui brisent et rives et fonds et déversent des tonnes de fumées nocives sur la ville.

Lo Squero est de toute manière un lieu qui manquait à la cité de Venise, un lieu à l’avant-garde fait pour la musique. Non pas pour la musique « entre autres », ces espèces de miroirs aux alouettes pour touristes et visiteurs : musique et apéritif, musique et dîner, musique et bal masqué : non. Musique tout court, et la meilleure.

Mauro Masiero
Mauro Masiero (né en 1987) a suivi des études musicales, musicologiques et linguistiques. Au cours de son cursus universitaire il a approfondi le rapport entre littérature, poésie et musique notamment dans l’aire germanophone, du point de vue philologique et herméneutique, musical et analytique. Il est doctorant en Histoire de la musique à l’Université Ca’ Foscari de Venise, et collabore avec des structures musicales et culturelle de la ville (comme L’association Richard Wagner, La fondation Ugo et Olga Levi, Asolo Musica) par des leçons, des auditions commentées et des articles ou des notes de salle. Intéressé par la divulgation, depuis 2014 il réalise le programme radiophonique Radio Ca’Foscari Classica pour la Web radio de l’Université, retransmis sur La Fenice Channel. Il suit avec attention particulière la production d‘opéra, les concerts symphoniques ou la musique de chambre.
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