« L’âge d’or de la peinture danoise (1801–1864) ». 
Paris, Petit Palais, du 22 septembre au 3 janvier 2021.
Tous les jours sauf le lundi, de 10h à 18h

Commissariat scientifique : Peter Nørgaard Larsen et Annette Rosenvold Hvidt (Statens Museum for Kunst, Copenhague), Magnus Olausson et Carl-Johan Olsson (Nationalmuseum, Stockholm)

Commissariat pour le Petit Palais : Servane Dargnies-de Vitry, conservatrice des peintures du XIXe siècle, et Christophe Leribault, directeur du Petit Palais

Scénographie : DBA sarl Didier Blin

Catalogue publié par Paris Musées. 344 pages, 319 illustrations. 44,90 euros.

 

Paris, Petit Palais, du 22 septembre au 3 janvier 2021

Après notamment « Lumières du Nord, la peinture scandinave 1885–1905 » en 1987, après « Carl Larsson, l’imagier de la Suède » en 2014 et « Anders Zorn » en 2017, le Petit Palais rend à nouveau hommage aux artistes de l’Europe septentrionale, avec une exposition consacrée au Danemark de la première moitié du XIXe siècle, période tumultueuse puisqu’elle inclut le bombardement de Copenhague en 1807, la faillite de l’Etat en 1813, et la perte de la Norvège en 1814 et du Schleswig- Holstein en 1864. Malgré ces événements, les peintres diffusent l’image d’une société sereine, image d’autant plus trompeuse, peut-être, que plusieurs d’entre eux ont su faire preuve d’audaces discrètes mais bien réelles.

 

 

Martinus Rørbye, Vue depuis la fenêtre du peintre, 1825. Huile sur toile, 38 x 29,8 cm, Copenhague, Statens Museum for Kunst © SMK Photo/Jakob Skou-Hansen 

Il a fallu attendre les années 1980 pour que le Musée du Louvre s’aperçoive qu’il existait dans certains pays européens, pourtant pas si éloignés de la France, des œuvres dignes d’être collectionnées et d’entrer dans nos prestigieuses collections nationales. Ont ainsi été acquises quelques toiles qui permettent de parler, au sein du Département des peintures, d’une sous-section consacrée aux « Ecoles scandinaves et russes ». En 2016, le Louvre aurait dû accueillir une rétrospective consacrée à Christoffer Wilhelm Eckersberg (1783–1853), mais avait finalement laissé passer l’occasion, et c’est à la fondation Custodia que cette manifestation partie de Copenhague avait fait étape après une escale à Hambourg.

Christoffer Wilhelm Eckersberg, Vue à travers trois arches du troisième étage du Colisée, 1815 Huile sur toile, 32  49,5 cm, Copenhague, Statens Museum for Kunst © SMK Photo/Jakob Skou-Hansen 

C’est avec ce même Eckersberg que s’ouvre l’exposition que le Petit Palais consacre à la peinture danoise de la première moitié du XIXe siècle, après sa présentation à Stockholm et à Copenhague en 2019. Exposition fort riche, où l’on regrettera seulement l’absence de certaines catégories d’œuvres, notamment les plus grands formats relevant des « grands genres » historiques, mythologiques et religieux. Ces toiles-là quittent rarement le Danemark, ce qui contribue à renforcer l’impression d’une peinture un peu louis-philipparde, ce qu’on appelle Biedermeier en Allemagne et en Autriche.

Biedermeier, indéniablement, ces intérieurs bourgeois d’un goût exquis, où les sobres meubles d’acajou se détachent sur des murs vert amande, où les passementeries des brise-bise se reflètent dans les miroirs, avec tapis moelleux, rideaux élégamment drapés et géraniums en pot.

Assez Louis-Philippe, ce monde paisible et harmonieux où chacun occupe sa place sans broncher, même si quelques solitaires ombrageux se mêlent à la foule heureuse. Si protestante, aussi, cette société où l’on sait tellement que l’oisiveté est mère de tous les vices qu’il faut toujours s’y activer utilement : dans La Famille Raffenberg (1830), Wilhelm Bendz nous montre la fiancée, coincée entre sa belle-mère et son futur époux, tenant à la main son tricot prometteur de « chaussettes chaudes », précise le cartel, mais on tricote tout aussi assidument à des échelons moins élevés de la société, comme le confirment le Berger du  Jutland (1855) de Frederik Vermehren qui tricote debout en gardant son troupeau, et l’une des paysannes de la Scène champêtre (1848) de Jørgen Sonne qui réussit à tricoter tout en marchant et en portant sur la tête un seau de lait…

Les paysages aussi sont sereins : pas de tempêtes, pas de naufrages, pas d’orages désirés alors que nous sommes bien à l’époque où le romantisme s’affirme partout ailleurs. Pas de brumes en écho aux âmes troublées, mais des lacs étales, où la lumière projette des ombres nettes et découpe précisément les formes. Et même quand les peintres danois vont en Italie (ce qu’ils ne manquent pas de faire, surtout s’ils ont remporté l’équivalent du Prix de Rome, avec la bourse qui leur permet de se rendre à l’étranger), ils montrent une Europe méditerranéenne aussi placide que la septentrionale, certes pittoresque mais sans danger, une Calabre sans bandits, des ruines romaines presque aussi bien entretenues que la place de la Bourse de Copenhague.

On pourrait donc penser que cet « âge d’or » de la peinture danoise fut une ère, sinon de médiocrité dorée, du moins exclusivement régie par les goûts des commanditaires, soucieux d’être montrés jouissant d’une aisance méritée par leur travail ou d’admirer dans leurs salons des toiles confirmant que rien n’était pourri au royaume de Danemark. Sans ambition, alors, les Danois ?

Pourtant, si l’on revient à ce Christoffer Wilhelm Eckersberg dont il était question plus haut, on voit bien qu’un des événements de sa biographie fut le voyage à Paris qu’il entreprit pour étudier auprès de… Louis-Léopold Boilly, excellent peintre de la vie quotidienne et grand producteur de scènes de genre ? Pas du tout. Eckersberg fut de 1810 à 1813 l’élève de David, qui lui apprit les règles de l’art néoclassique le plus austère. Les quelques scènes mythologiques présentées (Œdipe et Antigone, Alcyone faisant ses adieux à Céyx) ne donnent pas vraiment l’impression que la leçon ait pris, mais c’est là que la sélection envoyée par Copenhague ne rend peut-être pas tout à fait justice à l’artiste. Voyons‑y une invitation à nous rendre au Danemark pour découvrir davantage le peintre. Et à défaut de toujours briller ici par ses propres œuvres, Eckersberg peut éblouir grâce à ses élèves à l’Académie royale des beaux-arts :

Ludvig August Smith, Femme se tressant les cheveux, 1839.Huile sur toile, 76x60 cm, Stokholm, Nationalmuseum. Photo : Linn Ahlgren/Nationalmuseum

on signalera par exemple le magnifique nu sculpturalement peint en 1839 par Ludvig August Smith, sans aucun doute durant la même séance de pose qui inspira à Eckersberg sa toile Le Modèle achetée par le Louvre en 1987 et où l’on reconnaît la même Trine Nielsen dans la même position mais sous un angle différent.

Si un drame se cache pourtant dans cet âge d’or danois, c’est celui de la génération des disciples d’Eckersberg, dont les plus talentueux moururent prématurément, plusieurs années avant leur vieux maître : Wilhelm Bendz meurt à 28 ans en 1832, et l’année 1848 voit disparaître Martinus Rørbye, Christen Købke et Johann Thomas Lundbye. Comme il est vain de spéculer sur ce qu’ils auraient pu créer si leur vie eût été moins brève, on se contentera d’admirer ce qu’ils ont eu le temps de produire. De Bendz, on salue l’extraordinaire  Jeune artiste regardant son esquisse dans un miroir (1826), superbe nature morte et double portrait de son collègue Ditlev Blunck, mise en abyme de leur art doublée d’une vanité au crâne.

Mais c’est surtout Købke dont la créativité multi-facettes semble dominer son temps. Depuis que le Louvre a acquis en 1995 un portrait de sa jeune sœur Adolphine, on sait quel portraitiste était Christen Købke : deux extraordinaires effigies peintes en 1832, un Vieux Marin et une Vieille Paysanne, sont d’une précision photographique et d’une intensité stupéfiante, qu’on voudrait comparer aux « monomanes » de Géricault, et ses dessins ne sont pas moins bluffants.

 

Christen Købke, Château de Frederiksborg vu de Jaegerbakken. Le soir, 1835. Huile sur toile, 71,8 x 103,4 cm, Copenhague, Hirschsprung Museum

Mais Købke est aussi un paysagiste prodigieux, capable de splendides vues architecturales, de visions idylliques d’une nature en partie seulement conquise par l’homme, mais il se distingue aussi par les angles choisis : la tour du château de Frederiksborg saute aux yeux du spectateur, la Vue du haut d’un grenier à blé dans la citadelle de Copenhague séduit autant par l’originalité de son cadrage que par la robe rose de la sœur du peintre tranchant sur la verdure environnante, et la Vue depuis une fenêtre de Toldbodvej sur la citadelle (1833), où il montre la banalité du paysage urbain aperçu depuis son logement, préfigure tout ce qu’oseront Menzel ou les impressionnistes en matière de banalité revendiquée.

 

On retiendra aussi Constantin Hansen et la vérité de ses portraits d’enfants, Peter Christian Skovgaard et ses dessins toujours incisifs, d’arbres ou d’être humains. On remarquera aussi la présence d’une femme, Elisabeth Baumann, d’origine polonaise, épouse du sculpteur Jens Adolf Jerichau. Pour elle, pour eux, pour bien d’autres encore, on retournera au Petit Palais contempler ces reflets dans un œil d’or.

Catalogue :
Français
344 pages / 310 illustrations
Éditions Paris Musées

44,90 €

Dimensions : 22,8 x 33,2 x 3,3 cm
Musée : Petit Palais Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris
EAN : 9782759604807
Référence : MX640168

 

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.
Crédits photo : © SMK Photo/Jakob Skou-Hansen
© Linn Ahlgren/Nationalmuseum

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