Les grands rendez-vous du programme se tiendront pour l’essentiel au Teatro Grande de Brescia et au Teatro Donizetti de Bergame, et verront à l’œuvre des artistes de très grand renom, entre pianistes et chefs d’orchestre, comme Grigory Sokolov, Martha Argerich, Arcadi Volodos, Alexander Lonquich, Mikhail Pletnev, Yuri Temirkanov, Gerhard Oppitz, Roberto Cominati, Rudolph Buchbinder, Massimiliano Motterle, violinisti comme Shlomo Mintz, Vadim Repin, Salvatore Accardo.
On y verra aussi les concertistes des générations futures : il s’agit d’une théorie de pianistes d’une vingtaine d’années déjà en carrière comme Filippo Gorini (vainqueur du concours Telekom-Beethoven de Bonn), du coréen Seon-Jin Cho (vainqueur du Chopin de Varsovie 2015), du russe Dmitry Shishkin, ou de violonistes comme Gennaro Caradopoli et Alessandro Bonato, ici chef d’orchestre. Et puis, on ne peut oublier aussi des pianistes encore plus jeunes, presque des enfants, comme le moscovite Alexander Malofeev (né en 2001, qui a déjà débuté à la Scala sous la direction de Valery Gergiev) et la chinoise Serena Wang (née en 2004).
Mais le panorama du festival cette année ne serait pas complet si l’on ne citait pas aussi les orchestres (Philharmonique de Saint Petersburg, Russian National Orchestra, Philharmonique de Novossibirsk, Guanajuato Symphony Orchestra du Mexique, Guangzhou Symphony Orchestra, Liszt Chamber Orchestra, et bien sûr l’orchestre Philharmonique du Festival), les conférences de Piero Rattalino et de Valerio Terraroli, la projection du film « Beethoven : ciel, joie, liberté » sur Fidelio, le projet Beethoven avec les jeunes des conservatoires de Brescia et Bergamo (dont l’intégrale des 32 sonates jouées par les élèves en 8 concerts dans le foyer du Teatro Donizetti) l’atelier sur la critique musicale animé par l’Université Catholique de Brescia, les rendez-vous divers ailleurs (Boris Petrushansky jouera au ciné-théâtre Gianandrea Gavazzeni de Seriate ((dans agglomération de Bergame)) , l’ouverture et la clôture de la manifestation avec la Banda cittadina di Brescia “Isidoro Capitanio” ((Fanfare municipale de Brescia « Isidoro Capitanio »)) fondée en 1798, l’année où les troupes de Bonaparte entrèrent dans la ville (la Banda exécutera la Marseillaise, et diverses marches militaires de Beethoven, ainsi qu’une version de la Victoire de Wellington, op.91).
Dans le programme spécifiquement pianistique, de Beethoven on entendra les Sonates Pathétique, Au clair de lune et Appassionata (Buchbinder), Les Adieux, la Tempête et l’op. 10 n°3 (Oppitz), l’op. 90 (Sokolov), la 101 (Oppitz), l’op.2 n°1 et la 109 (Cominati), la 110 (Gorini) et la 111 (Gorini et Sokolov), la Sonate op. 26 « Marche funèbre » et les Bagatelles op. 126 (Lonquich), la Waldstein, l’op. 54 et la Polonaise op. 89 (Motterle).
En outre, le deuxième Concerto (Argerich), le troisième (Seong-Jin Cho/Temirkanov), le Concerto pour violon (Cardaropoli/Bonato), leTriple (solistes Accardo, Fountain, Geringas : c’est le concert d’inauguration dirigé par Eduard Topchjan à la tête de l’orchestre Philharmonique du Festival).
En ce qui concerne les Symphonies, tenons à l’œil la Cinquième (exécutée par l’orchestre Philharmonique de Novossibirsk dirigé par son chef Gintaras Rinkevičius) et surtout la troisième, qui sera exécutée par le Russian National Orchestra dirigé par Mikhaïl Pletnev, qui ne pouvait manquer au rendez-vous.
Le chef d’œuvre qui ouvrit une ère nouvelle dans l’histoire du genre symphonique fut composé entre 1802 et 1804 virtuellement inspiré par Napoléon Bonaparte que le génie de Bonn comparait aux « plus grands consuls romains », selon le témoignage de son élève Ferdinand Ries. Elle avait du reste pour titre à l’origine Sinfonia grande, intitolata Bonaparte (la dédicace en revanche était au Prince Lobkowitz, dans le palais duquel elle fut exécutée en août 1804) ; mais le titre fut rageusement barré, comme le dit la vulgate un peu stéréotypée que Piero Buscaroli a mise en discussion dans son Beethoven de 2004 ((Piero Buscaroli, Beethoven, Saggi, BUR, ed.2010)), quand Ries lui-même dit à son maître que le corse était devenu empereur. Ainsi, quand elle fut publiée en 1806, elle n’était plus la Sinfonia Bonaparte, mais désormais la Sinfonia Eroica « composée pour célébrer le souvenir d’un grand homme ». Souvenir ? « Il semble qu’on parle d’un mort », écrivit Walter Rietzler. De fait. Napoléon était déjà mort pour Beethoven, « du moment que la Marche (funèbre, ndr) est assumée dans la symphonie avec ce rôle de sépulture et de liquidation d’un mythe » a écrit Buscaroli, soulignant « Quand en 1821 on lui apprit la nouvelle de sa mort à Sainte Hélène [Beethoven] dit : ‘la musique je l’ai écrite il y a dix-sept ans’, pas un mot de plus. Il le répéta dans ses Cahiers. On crut à une boutade. Avec l’intelligence habituelle ».
Enfin, quelque brève observation sur deux autres œuvres qui pendant le Festival s’insèreront dans le thème choisi et avec lesquelles Beethoven entendait célébrer les adversaires de Napoléon, vus comme garantie institutionnelle de paix et de stabilité après des années de guerre : il s’agit de la Polonaise en ut majeur op.89 et de La victoire de Wellington op.91.
Il est dommage que La victoire de Wellington ne soit jouée que par la Banda civica ((La fanfare, cf. n2)) .
Ecrite en 1813 et jouée en décembre de la même année pendant une soirée qui comprenait aussi la septième symphonie, dédiée au Prince régent d’Angleterre et citant dans son titre ce Wellington qui sera le vainqueur de Waterloo, c’est une fantaisie orchestrale au style militaire, vraiment explosive (avec crécelles, grosse caisse, canons…), sorte de précurseur de l’Ouverture 1812 de Tchaïkovski. Il en existe divers enregistrements parmi lesquelles un très beau dirigé par Karajan chez Deutsche Grammophon. Elle est rarement jouée de nos jours.
La Polonaise fut en revanche composée en 1814 et dédiée à la Tsarine Elisabeth, qui se trouvait à Vienne pour le Congrès des puissances restauratrices, une période particulièrement favorable pour Beethoven. Elle aussi est rarement jouée, même si c’est une pièce assez brillante.
Mais toutes deux, c’est à noter, en général n’ont pas bonne réputation et sont taxées de « superficialité », un peu comme le Triple Concerto inaugural du reste. Giovanni Carli Ballola a souligné « la brillante et facile extériorité du Rondo alla polacca du Triple Concerto op.56 qui, tout comme la Polonaise op.89 doit être considéré une des rares concessions maladroites de Beethoven à la mode du temps ». Quant à la Victoire de Wellington, on a dit pire encore. Pour Alfred Einstein, c’est le « point le plus bas de l’œuvre de Beethoven » (( cité par Buscaroli, op.cit.)). Pour Charles Rosen (dans Le style classique) ((Le Style classique. Haydn, Mozart, Beethoven, trad. Marc Vignal, Paris, Gallimard, 1978, 2011)) « elle montre si clairement que c’est une œuvre alimentaire que même la honte serait hors de propos » ((les citations de Giovanni Carli Ballola et Charles Rosen proviennent de Beethoven. Signori, il catalogo è questo ! de Amedeo Poggi et Edgar Vallora (Einaudi, 1995))) . Mais Beethoven face aux reproches s’en déclara très satisfait.
On doit retourner encore une fois vers Buscaroli. La Victoire, pour lui, est « un essai exquis, de métier supérieur, à l’instrumentation fabuleuse, musique écrite de manière splendide pour de grands effets extérieurs et publics, que seules de vieilles filles revêches pouvaient comparer à une symphonie ou l’autre ». En dernière analyse, enfin, il n’y a pas d’œuvre, comme dit Goethe, cité par Buscaroli, « qui ne soit de circonstance ». A chacun son écoute.