Gaetano Donizetti (1797–1849)
Pietro il Grande (1819)
Melodramma burlesco di Gherardo Bevilacqua Aldobrandini
Prima esecuzione : Venezia, Teatro San Samuele, 26 dicembre 1819
Edizione critica a cura di Maria Chiara Bertieri ©Fondazione Donizetti

Direttore Rinaldo Alessandrini
Regia, macchinari e scene Ondadurto Teatro – Marco Paciotti e Lorenzo Pasquali
Costumi K.B. Project
Lighting design Marco Alba
Assistente alla regia Adriana Laespada

Orchestra Gli originali
Coro Donizetti Opera
Maestro del coro Fabio Tartari

Pietro il Grande Roberto De Candia
Caterina Loriana Castellano
Madama Fritz Paola Gardina
Annetta Mazepa Nina Solodovnikova
Carlo Scavronski Francisco Brito
Ser Cuccupis Marco Filippo Romano
Firman-Trombest Tommaso Barea
Hondedisky Marcello Nardis
Notaio Stefano Gentili

Nuovo allestimento e produzione della Fondazione Teatro Donizetti di Bergamo

 

Bergamo, Teatro Sociale, 15 novembre 2019

Voilà une œuvre de jeunesse de Donizetti, quand il était fasciné par son ainé (de cinq petites années) Rossini, et notamment par la toute récente Cenerentola. Le Festival Donizetti a le mérite de faire découvrir les œuvres les moins connues dans l’immense production du compositeur et notamment toute la production de la jeunesse, à partir de 1816 (il faudra attendre 1830 pour que s’impose Anna Bolena, la première œuvre marquante). L’opéra, léger et sans prétention, raconte un épisode de la vie mythique de Pierre le Grand, qui sait être clément entre reconnaissance de frère disparu et amours juvéniles. Une production aimable sans être passionnante.

 

Roberto De Candia (Pietro il Grande)

La légende de Pierre le Grand eut au XIXe une certaine fortune, rien que dans la production de Donizetti, deux opéras, l’un Il Borgomastro di Saardam a été présenté au festival Donizetti en 2017, l’autre, Pietro il Grande, l’est pendant cette édition 2019. Il faudrait citer aussi Zar und Zimmermann de Lortzing (création en 1837) qui s’inspire de la même histoire que Il Borgomastro di Saardam, née de la pièce française, Le Bourgmestre de Saardam de Melesville, Jean Toussaint Merle et Eugène Cantiran de Boirie (1818). Pierre le Grand, une légende impériale susceptible d’étouffer une légende napoléonienne qui va augmentant ces années-là d’après Congrès de Vienne. On s’attache essentiellement aux voyages de Pierre le Grand en Europe occidentale, et notamment ses voyages incognito.
C’est le cas de Pietro il Grande, une histoire de reconnaissance d’enfant disparu, se place dans l’histoire de la Russie au moment où le Tsar Pierre a affirmé son pouvoir, dans sa lutte contre les cosaques, et notamment contre son ex-fidèle, Mazeppa, pacificateur de l’Ukraine, devenue une puissance menaçante pour la Russie menacée également par la Suède de Charles XII et la Pologne. Mazeppa, longtemps l’un des grands bras armés de Pierre le Grand, finit par le trahir, après avoir joué double jeu. C’est donc d’une certaine manière l’ennemi juré. Cette histoire est l’arrière-plan de la trame concoctée par Gherardo Bevilacqua Aldobrandi, inspirée du Menuisier de Livonie ou Les illustres voyageurs (1805) d’Alexandre Duval, qui a aussi inspiré Giovanni Pacini et son librettiste Felice Romani pour Il Falegname di Livonia présenté à la Scala en avril 1819.
L’histoire se passe en Livonie, une région alors contestée et par les polonais et par les suédois et par les russes, qui englobe une partie de l’Estonie et de la Lettonie actuelles. C’est à dire une région où la Russie avait nécessité de s’imposer, et comme nous le dit l’histoire, elle n’a pas réussi puisque la chute de l’URSS a provoqué la naissance des états baltes.
Cette histoire est donc riche d’arrières plans politiques, où les territoires conquis ont besoin de légendes pour justifier la conquête et créer une identité… Les récentes conquêtes de Napoléon, le congrès de Vienne, tout cela remue l’Europe avec ses problèmes d’identité et de nationalité. Il est aisé ensuite de trouver dans l’histoire des exemples de colonisation ou de conquêtes et Pierre Le Grand, l’Empereur novateur (qu’on pourrait aisément relier à Napoléon),  cherche à asseoir son pouvoir, en Russie et dans des états satellites. L’histoire se situe après 1710, à un moment où Pierre le Grand a vaincu polonais, suédois et Mazeppa en 1709 à la bataille de Poltava et donc dans la dernière partie de sa vie (il meurt en 1725), probablement autour des années 1720, puisque le livret nous dit que Mazeppa est mort depuis longtemps.
Signalons aussi le riche programme de salle qui outre le livret publie aussi en traduction italienne l’original Le menuisier de Livonie d’Alexandre Duval.
Cette longue introduction historique pour souligner que derrière la pochade et l’histoire de cet opéra se cachent des réalités historiques à la fois plus lointaines et contemporaines qui font naître des légendes et des belles histoires, comme en fit naître la vie de Napoléon lui-même, ou Charlemagne, ou évidemment, Pierre le Grand, fondateur de la Russie moderne. Rien n’est jamais gratuit, et l’histoire du genre opéra (comme d’autres genres ou d‘autres arts) nous enseigne qu’il est étroitement lié aux contextes historiques. Un autre enseignement, souvent constaté, est l’extraordinaire fortune du théâtre français de l’époque, plein de drames, de comédies, de tragédies complètement oubliés aujourd’hui, qui survivent dans les mémoires grâce à l’opéra. On n’étudie plus les tragédies de Voltaire depuis très longtemps, mais elles survivent à travers Rossini et d’autres. On n’étudie plus les tragédies du XIXe, mais elles survivent dans le belcanto (Norma par exemple), on a oublié Duval, mais il survit dans au moins deux opéras, l’un de Pacini, et l’autre de Donizetti.

Loriana Castellano (Caterina) , Roberto De Candia (Pietro il Grande)

La trame de l’opéra est assez simple. C’est l’histoire d’un voyage incognito en Livonie de Pïerre le Grand qui accompagne son épouse Caterina à la recherche de son frère perdu dès la jeunesse. Dans l’histoire, Catherine 1ère est née à Jakobstadt en Livonie (aujourd’hui Jēkabpils au sud de la Lettonie), ce qui justifie le voyage. Le couple arrive dans un gros bourg, le Tsar se faisant passer pour un haut gradé de l’armée, Menzikoff. Parallèlement, le jeune menuisier Carlo est amoureux d’Annetta, mais il a deux rivaux, l’usurier Firman et le capitaine Hondedisky. Dans le village, Madame Fritz, l’aubergiste, le soutient et cherche à calmer le jeu et protéger la jeune Annetta, fille innocente du guerrier Mazeppa, traître à la Russie et à Pierre le Grand.

Paola Gardina (Madama Fritz) et Marco Filippo Romano (Ser Cuccupis)

Dans ce village, l’autorité juridique est le magistrat Ser Cuccupis, et l’autorité « humaine » Madame Fritz, la « Locandiera ». Le magistrat, lâche et veule, finit pour plaire par emprisonner Carlo, aux origines inconnues et suspect à Menzikoff. Annetta finit par se confier à Caterina qui reconnaît en Carlo son frère perdu.
On libère Carlo pendant que Madame Fritz plaide sa cause auprès du magistrat ; ce dernier est fort humilié de voir ses décisions battues en brèche. Carlo reconnu frère de Caterina ne sait pas encore que sa sœur est l’impératrice et finit par avouer à sa sœur son amour pour Annetta, en lui disant qu’il va l’épouser, mais qu’il ne faut rien en dire au Tsar car elle est la fille de Mazeppa. Vu la réalité, c’est une vérité difficile à cacher, qui met le Tsar en fureur, mais celui-ci, puisque Mazeppa est mort depuis longtemps, finit par pardonner à l’innocente jeune fille et à démettre le magistrat Ser Cuccupis trop servile. Tout est bien qui finit bien.

Image finale

Encore une histoire de clémence. La clémence reste la qualité impériale ou royale par excellence, et dans un contexte de colonisation, de conquêtes, de guerre, c’est un outil essentiellement politique qui sert à pacifier et à se gagner des appuis. Dans les tragédies, dans les drames, dans les comédies dramatiques, la clémence n’est jamais une qualité seulement humaine, mais un message politique, voir la Clemenza di Tito de Mozart (et aussi de Gluck), voir aussi Die Entführung aus dem Serail, avec l’attitude de Pacha Selim, mais les exemples sont nombreux dans la littérature théâtrale.

Francisco Brito (Carlo) et Nina Solodovnikova (Annetta)

De cet arrière fond idéologique, historique, politique, les metteurs en scène Marco Paciotti et Lorenzo Pasquali, ne font rien. Ils dirigent Ondadurto-teatro, un théâtre voué à de nouvelles formes de spectacle, dont le « nouveau cirque », utilisant aussi des artifices technologiques (vidéo, images de synthèse, projections etc…). Ils ont construit un univers à mi-chemin entre celui des marionnettes (nous sommes à Bergame, lieu symbolique de l’univers de la marionnette) ou du dessin animé, plein des couleurs de l’enfance.

Paola Gardina (Madama Fritz) et Francisco Brito (Carlo)

Mais ils se contentent d’illustrer la trame d’une manière littérale, et superficielle, n’usant de la Russie que par leur esthétique proche du formalisme russe à la Kandinsky, et en allégeant le spectacle par des changements à vue divertissants, d’éléments légers souvent bifaces, comme l’entrée dans l’auberge de madame Fritz. Le spectacle apparaît donc vif, l’espace est changé rapidement, les idées sont amusantes et leur traduction fluide. C’est un monde très coloré, aux costumes proches d’une interprétation circassienne de la Commedia dell’arte, aux projections nombreuses, trop nombreuses, aux couleurs trop vives : le trop est quelquefois l’ennemi du bien. Et cet excès finit par perturber le regard et détourner l’attention, d’autant que scéniquement, il ne se passe rien, tant du point de vue des mouvements, qui restent très conformistes, que des caractères, jamais approfondis, qui se définissent presque par leur allure ou les costumes. On est dans le conte pour enfants, et tout un pan de la trame, le pan le plus sérieux est laissé pour compte. Ce n’est ni mal fait, ni laid, c’est à la limite trop caricatural et trop appuyé, dans un seul sens : aucune polysémie. L’histoire est racontée à la lettre dans un univers esthétique qui s’impose trop lourdement, de manière trop démonstrative, et cela finit par affaiblir l’ensemble qui remet l’œuvre au rang de pochade, là où l’on pourrait aller un peu plus loin. Dommage.
La distribution réunie est très honnête, avec des comprimari de bonne facture, aussi bien le capitaine Hondedisky (le ténor Marcello Nardis) que l’usurier Firman (le jeune et valeureux baryton Tommaso Barea).
Nina Solodovnikova est Annetta, jeune première un peu caricaturale dans cette mise en scène à la voix assez fraiche mais pas très expressive ni assez forte pour survivre dans les ensembles.
La Caterina de Loriana Castellano a une vraie technique, une voix ductile, un joli timbre mais trop peu de volume, même dans le cadre intime du Teatro Sociale. Son air pourtant bien exécuté souffre de la trop petite voix.
Francisco Brito a la couleur typique de ténor rossinien, mais le timbre est un peu voilé, et l’aigu est quelquefois lancé de manière peu élégante, néanmoins la prestation reste dans l’ensemble positive.
Le Tsar de Roberto de Candia, avec sa voix ronde et son timbre de baryton sonore, chaud, marque une vraie présence vocale, avec du volume, de l’autorité, mais aussi de la finesse de style et beaucoup d’élégance. C’est le baryton « positif » dans la distribution.

Paola Gardina (Madama Fritz) et Marco Filippo Romano (Ser Cuccupis)

Le baryton « négatif », c’est le magistrat Ser Cuccupis chanté par Marco Filippo Romano, c’est le rôle central du « méchant » de comédie, puni à la fin pour sa veulerie. L’interprétation de Marco Filippo Romano, dans la grande tradition des barytons bouffes, est notable, avec une voix claire, une diction impeccable, une vraie richesse dans l’expression et un soin donné à la couleur ; c’est une belle prestation, scénique comme vocale, qui emporte un très grand succès.

Enfin, Madame Fritz est le mezzosoprano Paola Gardina, totalement accomplie techniquement et stylistiquement. C’est le personnage le plus charismatique, avec un monologue vibrant devant le magistrat au deuxième acte. La voix est contrôlée, les agilités sans accrocs, l’expression est engagée, incarnée même, la diction exemplaire. Paola Gardina en quelques années est devenue l’un des mezzos les plus intéressants en Italie, notamment pour Rossini ou Mozart. Elle le montre ici, faisant la démonstration de son talent et de sa présence scénique.  Magnifique prestation.
Belle prestation du chœur du Donizetti Opera, et surtout magnifique démonstration du chef Rinaldo Alessandrini à la tête de l’orchestra Gli Originali, une nouvelle formation au nom évoquant l’opéra de Giovanni Simone Mayer présenté en 2017. Le chef arrive à donner à l’ensemble une vivacité rossinienne, mais aussi un certain lyrisme, et même quelques moments plus émouvants et plus dramatiques, en jouant sur l’exposition bienvenue des instruments (un son limpide qui fait tout entendre), sur le raffinement, sur la couleur. Il y a là une entreprise qui réussit à mettre en valeur cette musique, tellement influencée par Rossini grâce à la pulsion, au rythme, à la tension grâce aussi à la maîtrise du volume dans une salle où il serait facile de couvrir les voix, et surtout à une élégance qui arrive à transcender l’acoustique particulièrement sèche du théâtre. Grande prestation. Il fallait un chef de cette qualité pour arriver à donner à l’orchestre une vraie présence, et à valoriser l’art naissant du jeune Donizetti.

Une représentation agréable au total, qui a le mérite de faire entendre un Donizetti encore vert, qu’on n’entendra sûrement pas ailleurs et de faire passer globalement un moment agréable. Il est dommage que la mise en scène n’aille pas plus profond, comme l’a fait la direction musicale, qui a rendu justice à cette musique avec suprême élégance.

Le chœur Donizetti Opera et Marcello Nardis (Hondedisky)

 

 

Avatar photo
Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

Autres articles

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire !
S'il vous plaît entrez votre nom ici