
Chaque année, le Festival Verdi propose une production à Busseto, dans le petit Teatro Verdi au cœur de la Rocca Pallavicino, un charmant bijou de 300 places. Cette année c’est au tour d’Un giorno di Regno, et l’an prochain ce sera Aida. Tout à côté de Roncole, le village natal, Busseto fut la ville de Verdi entre 1823 et 1839, et puis de 1851 à sa mort en 1901, il s’installa à Sant’Agata, à quelques kilomètres. Nous sommes au cœur de la terre verdienne, où le ténor Carlo Bergonzi possédait l’hôtel « I due Foscari » quasi mitoyen du Teatro Verdi, et où un Museo Renata Tebaldi abrite une collection unique d’objets et de costumes ayant appartenu au célèbre soprano. Ceci pour poser un décor riche d’émotions et de souvenirs, qui compte fortement pour renforcer le plaisir d’assister à un spectacle dans ce petit théâtre.

Un Giorno di regno s’inspire d’une pièce française Le faux Stanislas (1809) d’Alexandre Duval, elle-même inspirée d’un fait authentique qui est la lutte du roi de Pologne Stanislas Leszczynski (père de Marie Leszczynska, reine de France) dans la complexe succession de Pologne en 1733. Il partit secrètement en Pologne pendant qu’un sosie prenait ostensiblement la mer à Brest et reconquit son trône (qu'il avait déjà occupé entre 1704 et 1709) pour trois ans, après lesquels il regagna définitivement la France où il devint duc de Lorraine et de Bar, jusqu’à sa mort à Lunéville en 1766.
L’épisode concerne le sosie de Stanislas, Belfiore, envoyé au château du Baron de Kelbar. De doubles noces s’y préparent : sa fille Giulietta doit épouser le trésorier des États de Bretagne, La Rocca, mariage arrangé et efficace politiquement, et la nièce de Kelbar, la Marquise del Poggio doit épouser le comte Ivrea. Mais Giulietta aime le neveu de La Rocca, Edoardo et la Marquise del Poggio aime justement Belfiore, avec qui elle a eu une tendre liaison. Après quelques péripéties, Belfiore, en faux Stanislas, aidera Edoardo à épouser Giulietta et pourra révéler sa véritable identité, pour épouser la marquise : tout est bien qui finit bien.
L’œuvre a été reprise avec plus de succès sous le titre « Il finto Stanislao », le titre original Un giorno di regno rappelant de manière trop cruelle que l’opéra ne fut représenté qu’un soir à sa création.
La musique sans vraiment annoncer le génie verdien, est loin d’être aussi faible qu’on a pu le dire, mais elle est très hétérogène, très proche à bien des égards du style de Rossini, maestrissimo resté le plus représenté en Europe y compris dix ans après avoir abandonné l’écriture d’opéras, aussi bien dans la forme que les rythmes et notamment dans les ensembles. Mais par moments la couleur de l’œuvre devient plus mélancolique (notamment la cavatine de Giulietta Non san quant'io nel petto ) et nettement influencée par Bellini, dans les parties plus intérieures, mais aussi dans certains rythmes d’ensembles bien inspirés notamment par I puritani. Enfin, certains moments plus martiaux et plus énergiques annoncent tout de même le Verdi des années suivantes. Mais ce style plus personnel, dont on remarque tout de même la force, est un peu brouillé par cette couleur à la fois rossinienne et bellinienne, comme tiraillé entre des pôles peut-être trop ouvertement cités. Il reste que la mélodie, les ensembles, composent un opéra particulièrement roboratif : le public fredonnait déjà certains airs à la sortie de la représentation du 6 octobre.
Et cette force, cette joie de vivre, cette énergie, la jeune distribution la porte avec un engagement résolu. Comme le spectacle se joue presque chaque soir du 28 Septembre au 21 octobre, deux distributions ont été composées, celle que nous avons vue est très homogène, dans une œuvre qui ne pointe pas forcément des premiers rôles : chacun a au moins un air entre Kelbar, Belfiore, La marchesa del Poggio, Giulietta et Edoardo. Par ailleurs, dans un espace aussi réduit, les voix sont proches, la projection correcte parce qu’elles n’ont pas besoin de forcer le volume, et il faudrait les entendre dans un espace plus vaste pour s’en faire une idée exacte. Néanmoins on remarque la belle voix de baryton du Belfiore d’Alessio Verna, qui avec un phrasé impeccable, du style et de l’élégance rend à la fois le personnage de faux roi, mais aussi l’humanité et la bienveillance inhérente au rôle, ainsi que sa sympathique rouerie pour pouvoir épouser celle qu’il aime. C’est le plus rossinien par la couleur

Le spectacle s’ouvre sur une scène très rossinienne également de petit déjeuner entre Kelbar interprété par le baryton turc Levent Bakirci, beau son, souplesse de la diction, manquant un tantinet de projection, et surtout baryton au lieu de la basse bouffe voulue mais très à l’aise scéniquement dans le rôle. L'autre basse bouffe, La Rocca chantée élégamment par Matteo Loi, est tout aussi baryton que son compère. Évidemment, leurs voix plus claires nuisent peut-être à la couleur d’ensemble voulue, même si elles sont en soi correctes, vives, et parfaitement dans le ton.
Le jeune Carlos Cardoso est Edoardo, amoureux de Giulietta. On note le contrôle sur la voix, le style, un timbre agréable, sans toutefois être le tenore di grazia attendu (c’est plutôt un lyrique). Les moyens sont appréciables, même s’il devra améliorer la technique, notamment en évitant de gonfler le registre central et plus soigner les passages à l’aigu.

Du côté féminin, la marchesa del Poggio est confiée à la jeune française (elle est lyonnaise) Perrine Madœuf. Scéniquement bien convaincante avec notamment une charmante séance de strip-tease, il lui manque quelquefois fluidité et aisance, le registre central est un peu fragile, mais les aigus sont bien en place. Elle n’est pas exactement la voix du rôle, située entre soprano e mezzosoprano (chanté par Cossotto au disque), et doit assombrir artificiellement alors qu’elle est un vrai soprano lyrique.

Pleinement convaincante en revanche la Giulietta de Tsisana Giorgadze, une voix claire, solaire, fraiche, engagée, qui chante de manière suave, avec une grande tendresse avec une voix très bien posée. À n’en pas douter une voix d’avenir. Corrects Rino Matafù (Delmonte) et Andrea Schifaudo ((Il conte di Ivrea) dans leurs rôles très épisodiques.
Les forces du Teatro Comunale di Bologna, qui coproduit le spectacle, se montrent à la hauteur, chœur comme orchestre, tout particulièrement sous la direction de Francesco Pasqualetti. Il soutient l’ensemble avec beaucoup d’allant, de rythme et de verve, sans jamais un moment de faiblesse et toujours dans la tension voulue par l’aspect buffo de l’ensemble et une belle précision dans la lecture de la partition dans un espace réduit qui ne pardonne aucune erreur. Particulièrement soignés et virevoltants les ensembles. On réentendra avec plaisir ce jeune chef toscan.
Il reste que l’ensemble est parfaitement en place grâce à la production colorée et sympathique de Massimo Gasparon, qui reprend et adapte celle de Pier Luigi Pizzi faite pour le Regio de Parme au début des années 2000. Adaptation du décor aux dimensions réduites de la scène, mais avec les éléments les plus symboliques, comme un très efficace aménagement de l’espace entre jeux d’escaliers, d’arceaux qui modifient à peu de frais le plateau, ou comme les jambons et les parmesans qui ouvrent le deuxième acte et qui enracinent la trame en terre émilienne. Avec ses jeux d’ombres et de lumières grâce aux éclairages efficaces, l’ensemble s’insère parfaitement dans l’espace sans qu’on n’ait jamais l’impression de trop plein : c’est au contraire un travail aérien et vif qui est présenté. L’esprit de Pizzi est conservé, même s’il manque peut-être l’extrême précision du jeu millimétré et chorégraphié du Maître.
Une chose est claire, production et chef emportent la production et créent chez le spectateur une vraie joie, que le charme du lieu et l’accueil chaleureux amplifient. Du coup, il nous vient une furieuse envie de réentendre Un giorno di regno.