Don Quichotte

Comédie héroïque en cinq actes de Jules Massenet

Livret de Henri Cain d’après la pièce de Jacques le Lorrain Le Chevalier de la longue figure, elle-même inspirée de l’œuvre de Cervantes.

Créé à l’Opéra de Monte Carlo le 19 février 1910

Bien sûr, voici la liste inversée :

Direction musicale : Patrick Fournillier
Mise en scène : Damiano Michieletto

Décors : Paolo Fantin
Costumes : Agostino Cavalca
Lumières : Alessandro Carletti
Chorégraphie : Thomas Wilhelm
Vidéo : Roland Horvarth / rocafilm

Avec :

Dulcinée : Gaëlle Arquez
Don Quichotte : Christian van Horn
Sancho : Etienne Dupuis
Pedro : Emy Gazeilles
Garcias : Marine Chagnon
Rodriguez : Samy Camps
Juan : Nicholas Jones
Deux serviteurs : Young-Woo Kim et Hyunsik Zee
Chef des bandits : Nicolas Jean-Brianchon
Quatre bandits : Pierre André/Bastien Darmon/Gabriel Paratian/Joan Payet

Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris

Chef des chœurs : Ching-Lien Wu

Paris, Opéra National, Opéra Bastille, le jeudi 23 mai 2024 à 19h30

Nouvelle coqueluche de la mise en scène, Damiano Michieletto présente à l’Opéra de Paris sa toute dernière Production de Don Quichotte. Personne ne s’attendait à la traduction fidèle de la comédie héroïque de Massenet tirée du chef‑d’œuvre de Cervantès, mais ce n’est pas avec cette relecture poussive et convenue que le public va pouvoir goûter à la complexité de cette œuvre étrange et singulière ou percer le mystère de ce personnage mythique vu ici comme un vieillard alcoolique parvenu au seuil de son existence.

Christian van Horn (Don Quichotte)

Victime de son succès comme d’autre avant lui, Damiano Michieletto n’a pas su résister aux sirènes de la notoriété acceptant sans discernement depuis une dizaine d’années la moindre proposition, au risque de se répéter, d’assécher sa créativité et de lasser le public… Depuis ses débuts sur scène il est partout de Vienne à Milan en passant par Paris, Barcelone, Venise ou Francfort, touchant à tous les répertoires, du drame à la comédie, du baroque à la création contemporaine (Animal farm de Alexander Raskatov à Vienne récemment), au théâtre, à l’opéra et même à la télévision (une émission sur la Rai avec le chanteur Mika !!!). Rien que dans la capitale son nom pavoise chaque saison au fronton de la Bastille et du Théâtre des Champs-Elysées, au gré de reprises et de nouveaux spectacles. Comment tenir le coup à ce rythme et donner à chaque étape le meilleur ? Le metteur en scène n’est jamais le seul maitre à bord sur une production d’opéra, mais il donne à l’ouvrage sa couleur, sa tonalité, son style et imprime à l’ensemble sa touche personnelle et son identité.

Après avoir remis au gout du jour Giulio Cesare, transposé Salomé ou relu Madama Butterfly, Michieletto s’attaque cette fois à Don Quichotte, l’homme à la triste figure, l’anti-héros par excellence. Inutile de chercher dans cette nouvelle approche moderne l’Espagne écrasée de soleil, ses chemins caillouteux, l’aridité de ses paysages si justement dépeints par Cervantès. Le rideau se lève sur l’appartement-cellule dans lequel vit reclus un vieil homme en charentaises, visiblement agité. En panne d’inspiration comme l’attestent les nombreux feuillets jetés en boule à ses pieds, ce personnage souffre de maux de tête qu’il tente de calmer par la prise de médicaments associés à de l’alcool bu en grande quantité. On l’aura compris cet homme n’est autre que Don Quichotte qui, au soir de sa vie, tient à raconter son histoire qu’il imagine héroïque et picaresque. Mais l’a‑t‑elle vraiment été ? Là est la question ! N’est-il pas plutôt un pauvre fou dont vient s’occuper un garde-malade fidèle et dévoué qui vérifie chaque jour son état et le distrait par quelques pitreries ? Fantasmes ou réalité, aucun élément ne permettra de le déterminer, le metteur en scène italien se contentant d’un artifice usé jusque à la corde pour traiter un sujet qui ne semble pas le séduire plus que ça. Seul compte à ses yeux l’embrasement de cet homme qui va être confronté une dernière fois à cette vie qu’il a vécu ou aurait aimé vivre, au gré d’hallucinations qui finiront par le laisser à terre.

L’alcool aidant, voilà notre Don Quichotte encerclé par des êtres rampants qui sortent de son canapé, de sa bibliothèque ou de dessous son tapis, jeunes étudiants en uniformes qui vont le costumer comme eux, ainsi qu’il était dans sa jeunesse, sur un campus où l’on comprend très vite qu’il était moqué en raison de ses différences. Sur le papier ce retour vers les années soixante aurait pu fonctionner, mais malgré les images vidéo de cette foule hostile et les souvenirs de surprise-party bruyantes, cette débauche de lumières et de perspectives qui créent l’illusion d’un couloir du temps, le télescopage ne prend pas car les scènes se superposent avec difficulté sans faciliter leur enchainement. Les arrêts sur image censés fixer le passé ou rythmer la narration ne font que l’alourdir, tandis que les passages dansés souvent doublés par des projections redondantes semblent autant d’effet appuyés. Et que dire de la fameuse scène des moulins ou ce pauvre Don Quichotte devrait se battre contre ce qu’il croit être des géants, transformés ici en créatures hispanisantes intégralement vêtues de noir, qui forment un essaim d’abeilles assez ridicule. De cette fade lecture, faussement psychanalytique ne ressortent que des figures privées d’âme, de sentiments et de substance, dessinées à gros traits, aussi grossières que caricaturales.

Gaëlle Arquez (La Belle Dulcinée), Christian Van Horn (Don Quichotte)

Sancho Pança n’est qu’un auxiliaire de vie au chevet d’un vieux bougre solitaire, Dulcinée une ravissante idiote uniquement portée sur une libido jamais rassasiée et Don Quichotte un pauvre écrivain raté, alcoolique, cloué dans son fauteuil et qui n’attend que la mort.

Au lieu de nous réserver des surprises et de nous embarquer dans l’univers mental de ce personnage que l’on aurait aimé débridé, démesuré, Damiano Michieletto abat toues ses cartes dans la première partie (acte 1 à 3) et ne fait que se répéter dans la seconde ; le voyage introspectif au pays des songes et des fantasmes de son héros n’ayant à distiller qu’un profond ennui. Les deux derniers actes trainent ainsi en longueur, jusqu’à l’agonie de Quichotte traitée sans la moindre émotion, ni la moindre audace.

Si Patrick Fourmilier avait dirigé la partition avec l’ardeur nécessaire, mais sans confondre Massenet avec Strauss dans certains passages brillants, ce qu’il faut de passion et de sentimentalisme, la soirée aurait certainement gagné en attrait. Mais au lieu de cela, le chef donne l’impression de s’endormir sur son pupitre sans chercher à relancer le discours ni à donner une interprétation un tant soit peu personnelle.

Christian van Horn s’empare du rôle-titre avec beaucoup d’application et de sincérité et adhère sans piper à cette vision réductrice voulue par Michieletto. Est-ce au fond de lui ce qu’il avait imaginé pour débuter dans pareil monument pour succéder à plusieurs grandes figures de l’art lyrique, Ramey et Van Dam en tête ? Sans doute pas, car ainsi réduit à une pale incarnation, le chanteur, plus baryton que basse et auquel il manque un métal plus accrocheur pour remplir la salle, ne parvient pas totalement à capter l’attention et à émouvoir, tant son humanité est finalement reléguée au magasin des accessoires.

Etienne Dupuis n’a pas grand-chose à se mettre sous la dent pour faire exister ce Sancho assez insipide qui ne fait que passer. Le timbre a du mordant et son français est plus compréhensible que celui de son partenaire (Canada oblige !), mais ce garde-malade qu’il doit défendre sonne assez extérieur et l’expression des sentiments peine à trouver sa place dans cette proposition, même au moment de la scène finale, qui doit pourtant devrait tirer les larmes…

Si le chef ne réduisait pas à la portion congrue son orchestre, l’instrument riquiqui de Gaëlle Arquez ne passerait pas la rampe. La mezzo ne semble jamais à l’aise dans cette tessiture qu’elle effleure sans être capable de développer librement la moindre envolée. Son jeu stéréotypé et ses costumes peu seyants n’aident pas son personnage de séductrice sans panache à s’épanouir et ses gesticulations « à l’espagnole » sont d’une telle gaucherie que l’on en vient à regretter la longueur de son rôle. Autour de ce trio mal assorti, quelques seconds physiquement convaincants mais vocalement assez faibles tentent de se distinguer sans y parvenir. Encore une production que l’on désespère de voir inscrite pour plusieurs années au répertoire de l’Opéra de Paris.

Christian Van Horn (Don Quichotte)
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François Lesueur
Après avoir suivi des études de Cinéma et d'Audiovisuel, François Lesueur se dirige vers le milieu musical où il occupe plusieurs postes, dont celui de régisseur-plateau sur différentes productions d'opéra. Il choisit cependant la fonction publique et intègre la Direction des affaires culturelles, où il est successivement en charge des salles de concerts, des théâtres municipaux, des partenariats mis en place dans les musées de la Ville de Paris avant d’intégrer Paris Musées, où il est responsable des privatisations d’espaces.  Sa passion pour le journalisme et l'art lyrique le conduisent en parallèle à écrire très tôt pour de nombreuses revues musicales françaises et étrangères, qui l’amènent à collaborer notamment au mensuel culturel suisse Scènes magazine de 1993 à 2016 et à intégrer la rédaction d’Opéra Magazine en 2015. Il est également critique musical pour le site concertclassic.com depuis 2006. Il s’est associé au wanderesite.com dès son lancement

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