Video Arte Concert disponible sur Youtube :
https://www.youtube.com/watch?v=ciPRoKKkD0k
Les adeptes de transpositions intempestives en seront pour leurs frais car la Tosca mise en scène par Christof Loy, ne prétend pas à autre chose qu’à traiter rigoureusement le sujet sans recourir au moindre fumeux stratagème scénique. L’église, le palais, la terrasse et son promontoire sont bien présents, le metteur en scène s’amusant seulement à mélanger les époques, années cinquante pour le couple Tosca/Mario, Empire pour Scarpia et ses sbires, petit clin d’œil à la période pendant laquelle est censée se dérouler l’action. Cette coquetterie une fois admise, comme celle de cet immense rideau de scène qui vient à deux reprises nous rappeler que nous sommes au théâtre et pas dans la vraie vie, chacun reconnaîtra la pièce de Sardou scrupuleusement adaptée par les librettistes Giacosa et Illica. La qualité du spectacle tient principalement au jeu des acteurs, aux mille subtilités qu’ils expriment, à cette quantité de détails précieux qui renouvèlent l’approche et modifient notre regard sur l’œuvre.
Au premier acte la présence muette d’un jeune apprenti auprès de Cavaradossi, apporte un élément supplémentaire au suspens qui entoure le soutien de Mario à l’évadé Angelotti, venu chercher de l’aide après sa fuite des prisons d’Etat. Véritable pin-up, Tosca est une vraie amoureuse qui se jette sur son amant, l’embrasse goulument et serait prête à le déshabiller si la Madone n’était là pour la rappeler à l’ordre. Avec sa tête de vampire surpris par les premiers rayons du soleil, le Baron Scarpia, tel Nosferatu, fait froid dans le dos tout en exerçant une irrésistible attraction sur ses hommes de mains et en premier lieu Spoletta, qui aimerait tant lui ressembler, et sur Tosca dont il perçoit d’entrée les failles et qui va lui révéler, outre ses craintes, sa formidable jalousie. En se roulant par terre pendant le Te deum, Scarpia n’est plus un odieux pervers libidineux, mais une pauvre âme tourmentée, un malade des nerfs, un détraqué psychique.
Au second acte la froide tanière qui sert de repère au chef de la police est loin des splendeurs du Palais Farnese, mais elle symbolise parfaitement l’état mental de son maniaque propriétaire, dont la face de carême est au diapason. Ayant sous la main ses proies, le chef de la Police jubile à exercer son pouvoir en faisant torturer Mario et en lorgnant comme un fauve sur sa maîtresse. Tandis que les cris amplifiés de Mario résonnent, Tosca perd sa perruque forcée par son bourreau de ressentir la douleur du supplice. Plus tard dans la confrontation, elle essaiera bien de négocier la libération de son amant en donnant ses bijoux à Scarpia, mais ce n’est pas à ce prix que ce dernier tient à satisfaire la belle éplorée ; il la veut et pendant qu’un rideau de scène glisse lentement pour masquer le fond de scène et les issues, il se jette sur elle, lui retire sa robe et la force à subir ses caresses alors qu’elle le supplie, en simple nuisette, de lui faire grâce (« Non feci mai male ad anima viva » puis « Perché me ne rimuneri cosi », deux phrases clé de la prière « Vissi d’arte, vissi d’amore » *). Elle est tétanisée devant cette bête à l’affût, mais trouve la force d’accepter de se donner à Scarpia et de le décontenancer en l’embrassant à pleine bouche devant Spoletta, en signe de consentement à l’affreux chantage. Seuls, elle lui demande un sauf conduit, s’apprête à peler une orange quand elle réalise que ce couteau peut servir à autre chose, en l’occurrence à tuer cette infâme créature, ce qu’elle fait sans hésiter.
Le dernier acte est divisé en trois séquences : la cellule de Mario d’abord et l’entrée en trombe de Tosca encore vêtue de la longue robe de chambre empruntée à Scarpia (et curieusement accompagnée par Spoletta !), le retour du rideau de scène qui relègue les amants sur le proscenium pendant leur retrouvailles, puis la terrasse du palais où des soldats armés attendent immobiles, d’exécuter Mario. Tosca réalise trop tard que son amant a été tué à balles réelles, invective les sbires du baron avant de leur échapper en se lançant dans le vide.
Filmée avec une grande sobriété et de très beaux cadrages cinématographiques par Hannu Kampilla, cette production donnée à Helsinki en 2018, bénéficie d’une distribution investie comme rarement. Les voix des principaux solistes n’ont pas toujours la souplesse, l’ambitus ou les canons habituels de beauté auxquels nous ont habitué de nombreux artistes de renom, mais ils vivent avec tant d’intensité leur rôles, traduisent avec tant de conviction chaque émotion, chaque situation, que nous leurs pardonnons leurs petites défaillances, broutilles qui n’entachent jamais la qualité de leurs interprétations. Séduisant comme un latin lover, le Cavaradossi de Andrea Caré est entier, fidèle à ses principes et à ses amours, doté d’une voix de ténor virile et timbrée. Aušrinė Stundytė remarquée notamment à Paris en 2019 dans la Lady Macbeth de Mzensk (Warlikowski) et à Lyon dans L’Ange de Feu (Tcherniakov) est une Tosca au tempérament volcanique, amoureuse, dévoreuse, qui se laisse submerger par ses sentiments et ne réfléchit pas toujours aux conséquences de ses actes. Pulpeuse, la cantatrice joue extrêmement bien la partition imaginée par Loy qu’elle cisèle jusqu’à son suicide, en femme de théâtre qu’elle aura toujours été. Assoiffé de chair et de sang, le Scarpia funèbre et torturé de Tuomas Pursio, trouve en ce puissant baryton un interprète qui focalise toute l’attention. Chacun de ses gestes, chacune de ses poses ou de ses mimiques, est étudiée et donne à comprendre de quoi est composée sa triste personnalité. Vampire ravagé, ses accès de colère et ses abattements soudains suscitent autant la peur que la pitié.
Rendu à sa violence primaire, à son rythme et à ses sursauts, le huis-clos puccinien prend sous la baguette inspirée de Patrick Fournillier des allures de mélodrame haletant, où tous les ingrédients (politique, amour, police) sont réunis pour maintenir le spectateur sous pression. Sa narration fluide épouse les linéaments du drame avec une jubilation perceptible qui rend encore plus palpable l’effusion, le lyrisme et la noirceur de la partition. En phase avec ses chanteurs et en accord avec la conception scénique, le chef français soigne les contrastes et obtient de la phalange finlandaise une plénitude orchestrale remarquable. Une bien belle réussite.
« Vissi d'arte, vissi d'amore,
non feci mai male ad anima viva !
…
Perché, Signor, perché
me ne rimuneri cosi ? »
–
« J’ai vécu d’art, j’ai vécu d’amour
Je n’ai jamais fait de mal à personne !»
…
Pourquoi Seigneur, pourquoi
me récompenser ainsi ? »
Video Arte Concert disponible sur Youtube :
https://www.youtube.com/watch?v=ciPRoKKkD0k