Richard Wagner (1813–1883)
Der Ring des Nibelungen (1876)
Festival scénique en un prologue et trois journées (1869 / 1876)
Livret du compositeur

Direction musicale : Philippe Jordan

Orchestre et Chœur de l'Opéra National de Paris
Chef de chœur : José Luis Basso


Das Rheingold

WOTAN Iain Paterson
DONNER Lauri Vasar
FROH Matthew Newlin
LOGE Norbert Ernst
ALBERICH Jochen Schmeckenbecher
MIME Gerhard Siegel
FASOLT Wilhelm Schwinghammer
FAFNER Dimitry Ivashchenko
FRICKA Ekaterina Gubanova
FREÏA Anna Gabler
ERDA Wiebke Lehmkuhl
WOGLINDE Tamara Banješević
WELLGUNDE Maria Kataeva
FLOSSHILDE Claudia Huckle


Die Walküre

SIEGMUND Stuart Skelton
HUNDING Gunther Groissböck
WOTAN Iain Paterson
SIEGLINDE Lise Davidsen
BRÜNNHILDE Martina Serafin
FRICKA Ekaterina Gubanova
GERHILDE Sonja Šarić
ORTLINDE Anna Gabler
WALTRAUTE Christina Bock
SCHWERTLEITE Katharina Magiera
HELMWIGE Ricarda Merbeth
SIEGRUNE Julia Rutigliano
GRIMGERDE Noa Beinart
ROSSWEISSE Marie-Luise Dressen


Siegfried

SIEGFRIED Andreas Schager
MIME Gerhard Siegel
DER WANDERER Iain Paterson
ALBERICH Jochen Schmeckenbecher
FAFNER Dimitry Ivashchenko
ERDA Wiebke Lehmkuhl
WALDVOGEL Tamara Banješević
BRÜNNHILDE Ricarda Merbeth


Götterdämmerung

SIEGFRIED Andreas Schager
GUNTHER Johannes Martin Kränzle
ALBERICH Jochen Schmeckenbecher
HAGEN Ain Anger
BRÜNNHILDE Ricarda Merbeth
GUTRUNE, DRITTE NORN Anna Gabler
WALTRAUTE, ZWEITE NORN Michaela Schuster
ERSTE NORN Wiebke Lehmkuhl
WOGLINDE Tamara Banješević
WELLGUNDE Kai Rüütel
FLOSSHILDE Claudia Huckle

L’Or du Rhin (Das Rheingold), diffusé le 26 décembre 2020 (enregistré le 26 novembre 2020, 19h30, Opéra Bastille)
La Walkyrie (Die Walküre), diffusée le 28 décembre 2020 (enregistré le 24 novembre 2020, 18h30, Opéra Bastille)
Siegfried, diffusé le 30 décembre 2020 (enregistré le 6 décembre 2020, 14h, Maison de Radio-France)
Le Crépuscule des dieux (Götterdämmerung), diffusé le 2 janvier 2021 (enregistré le 28 novembre 2020, 18h, Opéra Bastille)

Enregistré les 24 (Die Walküre), 26 (Das Rheingold), 28 (Die Götterdämmerung) novembre 2020 à l'Opéra National de Paris – Bastille, le 6 décembre (Siegfried) à l'Auditorium de Radio France

Le COVID-19 sera venu terrasser ce qui était conçu comme un cadeau de départ fastueux de Philippe Jordan à l’Opéra de Paris et au public parisien : Alexander Neef a annoncé que la nouvelle production de L’Anneau du Nibelung de Wagner par Calixto Bieito aurait lieu d’ici quelques saisons, mais c’est d’un simple enregistrement, certes sans doute somptueux, que Jordan devra se contenter pour tirer sa révérence, entouré de la crème du chant wagnérien. Quelle folle énergie déployée pour maintenir ce format réduit ; à quoi bon ?

Las, où est maintenant ce mépris de Fortune ?
Où est ce cœur vainqueur de toute adversité,
Cet honnête désir de l’immortalité,
Et cette honnête flamme au peuple non commune ?
-
Où sont ces doux plaisirs qu’au soir sous la nuit brune
Les Muses me donnaient, alors qu’en liberté
Dessus le vert tapis d’un rivage écarté
Je les menais danser aux rayons de la Lune ?
-
Maintenant la Fortune est maîtresse de moi,
Et mon cœur, qui soulait être maître de soi,
Est serf de mille maux et regrets qui m’ennuient.
-
De la postérité je n’ai plus de souci,
Cette divine ardeur, je ne l’ai plus aussi,
Et les Muses de moi, comme étranges, s’enfuient.
Joachim Du Bellay

« C’est un miracle ! »

« C’est un miracle ! » ; cri du cœur soulagé, fierté compréhensible, auto-satisfaction légitime, cette déclaration de Philippe Jordan à l’AFP en dit long sur la charge émotionnelle que représente pour lui et l’Opéra national de Paris la concrétisation de l’enregistrement intégral du Ring de Wagner. Cela marque la fin de son mandat de directeur musical de l’Opéra, plus de 10 ans après avoir pris les rênes de l’Orchestre et lancé l’aventure avec, déjà, un Ring ((Ring mis en scène par Günter Krämer, créé à l’Opéra Bastille entre 2010 et 2011 avant d’être repris sous forme de cycle en 2013)). Tout était prévu pour que la nouvelle production, si attendue, de l’œuvre par Calixto Bieito marque l’apothéose du mandat de Stéphane Lissner à la tête de l’Opéra et de Philippe Jordan à la tête de l’Orchestre. Ce devait également être l’aboutissement d’un long cheminement, commun et individuel, autour de Wagner. L’exploration du corpus wagnérien aura constitué un des fils conducteurs de la collaboration entre le chef et une phalange dont les musiciens jouaient le Ring pour la première fois à son arrivée. Mais si Wagner aura scandé les saisons parisiennes de l’ère Jordan, qui verront s’égréner, après ce premier Ring, Tristan und Isolde ((deux reprises, en 2014 et 2018, de la production de Peter Sellars et Bill Viola)), Die Meistersinger von Nürnberg ((Production de Stefan Herheim en 2016)), Lohengrin ((Production de Claus Guth en 2017)) ou Parsifal ((Production de Richard Jones en 2018)), Jordan aura également fortement amplifié sa propre expérience wagnérienne pendant cette période, invité à se produire notamment dans les trois temples les plus sacrés du wagnérisme : Festspielhaus de Bayreuth (Parsifal en 2012 et Die Meistersinger von Nürnberg entre 2017 et 2019), Bayerische Staatsoper (Tristan und Isolde, à l’occasion des 150 ans de la création de l’œuvre, in situ, et des adieux à Isolde de la grande Waltraud Meier !) et Metropolitan Opera (pour la dernière reprise du Ring mis en scène par Robert Lepage en 2019). Il était donc temps de mesurer pleinement en quoi Paris était ou non devenue une place de référence pour Wagner. Las, l’arrivée de la crise sanitaire, le retrait anticipé et mouvementé de Stéphane Lissner, les aléas des politiques publiques en matière de transport, les ordres et contrordres autour des contraintes sanitaires, la gestion des cas contacts (y compris Philippe Jordan !) ou les allées et venues fragilisées d’artistes internationaux auraient pu avoir totalement raison du projet. D’une nouvelle mise scène, à la version de concert avec public, à la version de concert sans public radiodiffusée en direct ou à l’enregistrement diffusé en différé, tous les formats auront été envisagés.

Alors que s’achève le 6 décembre la mise en boîte de ce projet radiophonique, autre « miracle » : les forces du Théâtre Mariinsky menées par Valery Gergiev offrent la semaine suivante leur Ring annuel, mis en scène, à plein effectif, devant un public certes distancié mais réservant triomphes sur triomphes soir après soir à ses artistes. Exemple saisissant des contrastes des réponses populaires et gouvernementales en matière culturelle dans un monde covidé ((cette semaine-là, pendant que le Ballet du Théâtre Mariinsky se produit à plein régime, Valery Gergiev aura dirigé deux Cavalleria Rusticana, deux Tosca, un Onéguine avec Anna Netrebko, le Ring complet, en intercalant un Nabucco avec Placido Domingo entre La Walkyrie et Siegfried pour la bonne forme… toutes les représentations jouant à guichets distanciés mais fermés !)). 2020 était censée être une fête permanente pour les amateurs de Wagner ; las, les Ring de Vienne, Chemnitz, Chicago, Oldenburg, Brisbane, et donc, Paris, auront avorté, tout autant, pour rester en France, que le Tannhäuser de l’Opéra de Rouen, première « victime » wagnérienne tombée au nom de la guerre contre Le Virus. La Deutsche Oper Berlin aura certes pu, sous la férule du metteur en scène star Stefan Herheim, inaugurer en septembre son nouveau Ring devant un public avec une magnifique Walkyrie (Wanderer y était : https://wanderer.legalsphere.ch/2020/10/trop-didees-tuent-lidee/), c’est là une des rares productions rescapées dans un paysage où l’optimisme peine à ne pas s’épuiser. Institutions et spectateurs en sont désormais réduits à trouver de nouvelles marques dans un environnement dominé par des captations de spectacles, souvent en direct ou léger différé, Wagner n’échappant pas à la règle. C’est ainsi que la Staatsoper de Berlin aura pu aller il y a quelques jours au bout de la préparation de son Lohengrin-événement mis en scène, tiens donc, par Calixto Bieito ((Wanderer ne pouvait le manquer : https://wanderer.legalsphere.ch/2020/12/la-fabrique-de-lidentite/, Lohengrin mis en scène par Calixto Bieito diffusé le 13 décembre 2020 et disponible jusqu'au 12 janvier 2021 en ligne sur Arte Concert : https://www.arte.tv/fr/videos/099744–001‑A/roberto-alagna-et-vida-mikneviciute-dans-lohengrin/. De très nombreuses initiatives de diffusion de spectacles non nécessairement wagnériens en direct se développent bien sûr, comme cette Dame blanche, diffusée en direct depuis l’Opéra de Rennes et disponible sur YouTube depuis (https://www.youtube.com/watch?v=tDC0Avj6uWs) ou cette Tote Stadt créée en direct depuis Cologne et régulièrement disponible sur la plateforme de cette maison (https://www.oper.koeln/de/programm/die-tote-stadt/5222) ))…

 

Philippe Jordan, Le Crépuscule des dieux, 2020

Adieu veau, vache, cochon, donc ; nulle mise en scène ici, nulle captation vidéo du reste. À quoi bon sauver le soldat Ring à ce prix, n’est-ce donc pas l’immoler sur l’autel de l’hérésie wagnérienne ? Rappelons tout de même que L’Anneau du Nibelung est une forme de manifeste par excellence de celui qui porte l’ambition de poser les fondements d’une œuvre d’art totale (le fameux concept de Gesamtkunstwerk), reposant sur une symbiose de tous les arts, magnifiant et magnifiés par la musique. Priver de décors (et d’architecture), de théâtre (et de mise en scène) ce « festival scénique » démesuré a‑t‑il un sens ?
Au-delà du sens, reste la prouesse, remarquable en notre temps : 14 heures de musique, 34 personnages, orchestre spectaculaire ((Les deux orchestres de l’Opéra de Paris, auront été mis à contribution.)), chœurs massifs, il aura fallu l’obstination un brin narcissique de Celui-qui-voulait-son-second-Ring et un acharnement thérapeutico-logistique à toute épreuve des équipes de la Maison pour sauver la possibilité de cet enregistrement, sans nul doute miraculé. Perrette Jordan n’aura donc pas tout perdu !

À quoi bon par ailleurs, pour un amateur discret égaré en salle pour ces sessions d’enregistrement, « rendre compte » d’observations qui trouveront sans doute peu d’échos chez l’auditeur de France Musique ? Premier facteur : s’agissant des conditions de captation, l’ensemble du dispositif est naturellement conçu pour optimiser la qualité de l’enregistrement, tout autant que pour préserver sur le plateau une distanciation désormais proverbiale. À Bastille, les Walkyries dans Die Walküre ou le chœur dans Götterdämmerung sont ainsi placés au parterre et chantent dos au « public », face à l’orchestre, qui joue sur scène au cœur de la fameuse conque de bois dévolue aux concerts à l’Opéra. Qu’en dire, donc ? À la Maison de Radio-France, dont l’exiguïté de l’auditorium est un obstacle majeur au déploiement de la luxuriance sonore de Siegfried, les chanteurs sont placés à l’arrière de l’orchestre ; la masse forme un mur de son que même un Andreas Schager, une des voix les plus volumineuses du circuit, peine à briser par exemple dans la scène de la forge – la Ministre Roselyne Bachelot, qui assistait à cette session, s’est d’ailleurs amusée de l’incongruité de capter à Radio-France une telle œuvre, qu’il aurait été bien plus naturel de saisir sur le vif à Bastille, comme le reste de l’entreprise ((Voir les échanges avec les ingénieurs du son que Roselyne Bachelot a postés sur son compte Instagram : https://www.instagram.com/p/CIdc_IqqqBf/.)). Qu’en dire, donc ? Second facteur, corollaire : s’agissant des conditions d’écoute de l’auditeur, la matière brute que nous avons entendue en salle a vocation à être manipulée par les mains de fées des équipes artistiques et techniques de Radio-France en vue de la diffusion. Qu’en dire, donc, qui ne soit pas travestissement du travail des artistes en salle ou trahison de l’écoute de l’auditeur derrière son poste ? « Rendre compte » d’une telle performance ou « critiquer » un travail dans ces conditions reviendrait à ajouter à la vanité consubstantielle du critique la vanité d’un propos dénué de portée. Il se dégage pour autant quelques grandes lignes forces dans l'approche de Philippe Jordan.

 

Gerhard Siegel (Mime), Siegfried, 2020

À projet miraculé, résultat miraculeux ?

Une direction très allante d’abord, frappante dès le premier acte de Die Walküre, premier opus enregistré, mené en 58 minutes – moins encore que Pierre Boulez à Bayreuth. Avec 2h16, c’est un Rheingold inhabituellement leste qui s’offre à nous ((Sans atteindre les sommets de longueurs de James Levine et ses 2h43 au Met en 1990, on tourne en moyenne à 2h25-2h30.)). L’acte I du Crépuscule retrouve l’abattage du Joseph Keilberth des années 1950 à Bayreuth. Au-delà d’un fétichisme chronométrique un peu vain, on note que ce rythme déploie plus de tension et de scansion dans l’action qu’il ne se fait vitesse creuse ; menant ses forces tambour battant, Jordan abat les scènes et emporte un engagement sidérant de ses musiciens dans le flot musical portant le drame.

Comment ? En couplant cet allant à un travail remarquable au scalpel sur les dynamiques ; tout le spectre y passera du quasi-imperceptible des flots originels du Rhin aux tumultes et emportement qui jalonnent l’aventure. Jordan reprend et assume, plus encore que lors du cycle de 2013, les silences figés qui lui avaient valu des procès en effets inutiles. On est en tout cas loin de la « tiède purée sonore » que dénonçait en son temps Pierre Boulez. Il faut dire que Jordan dispose d’un outil de travail globalement en état de grâce tout au long du cycle. Ce ne sont pas quelques incongruités isolées ((Par exemple chez une clarinette basse particulièrement grotesque dans ses départs ratés, traits savonnés, interventions approximatives.)) qui assombriront le plaisir que procurent (et prennent, manifestement) les musiciens d’un Orchestre, réputé pour parfois n’en faire qu’à sa tête. Les nombreux passages symphoniques que ménage le cycle sont autant d’occasions de goûter aux timbres somptueux d’un ensemble répondant à l’intensité physique de l’investissement toujours clair du chef. Tout au long de ce marathon, nombreuses auront été les marques d’attention des musiciens envers leur chef et Götterdämmerung et Siegfried auront été l’occasion pour Philippe Jordan de dire aux deux orchestres qu’il dirigeait sa fierté du travail accompli et son sentiment de laisser les phalanges au sommet de leur forme. Ce qu’on a entendu conforte ce sentiment : à ce niveau d’engagement, l’ivresse est assurée, même quand le flacon peut frustrer, comme ce fut le cas à Radio-France. Tout est là pour que le prochain directeur musical puisse aborder sur des bases idéales les prochains Wagner.

Jochen Schmeckenbecher (Alberich), L’Or du Rhin, 2020

34 rôles, disions-nous… et pour ce Ring événement, Stéphane Lissner avait réuni un plateau équilibré et hautement starifié, du moins à l’échelle du microcosme wagnérien. Le COVID-19, invité surprise, aura sans doute donné des sueurs froides à l’équipe artistique ; il y eut des remplacements anticipés (la reformation du couple Siegmund Jonas Kaufmann / Sieglinde Eva Maria Westbroek, mémorables jumeaux au MET il y a 7 ans n’aura in fine pas eu lieu), il y eut des remplacements de toute dernière seconde (y a‑t‑il une Helmwige dans le Théâtre ? Ce sera Ricarda Merbeth, qui répétait par hasard à Bastille, qui viendra à la rescousse suite à la défection l’après-midi même de la chanteuse prévue), mais il est sans doute difficile de trouver sur le marché mieux que ce qui nous a été offert.

On y recroise les vieux routards du Ring, plus que jamais au sommet de leur Art. Retenons parmi eux Gerhard Siegel, Mime de la décennie voire plus, qui sait comme personne habiter à tout instant la veulerie tour à tour consternante et attendrissante de son personnage. C’est Jochen Schmeckenbecher qui lui donne une fraternelle réplique, un Alberich à la prosodie glaçante, à la diction ciselée, à la caractérisation très sombre. Au rang des grands chanteurs wagnériens de notre temps toujours, si l’auditorium de Radio-France ne nous aura pas donné l’occasion d’être autant frappé qu’on aurait dû par Andreas Schager, Siegfried intouchable dans Siegfried de nos jours, sa prestation entre vaillance et fièvre dans Götterdämmerung continue au fil des saisons à gagner en subtilité et nuance dans la caractérisation. La Fricka d’Ekaterina Gubanova mérite également tous les éloges, tant de théâtre aussi dans cette voix – période fortement marquée par Wagner pour elle puisqu’elle faisait ses débuts en Ortrud quelques jours plus tard dans le Lohengrin berlinois évoqué supra.

Une partie de l’équipe du Ring parisien de 2010–2013 se retrouve sur scène en 2020. Version de concert ou non, Günther Groissbock, déjà Fafner et Hunding de 2010–2013, fait ressortir par son seul chant éclatant et habité tout le drame et le théâtre nécessaires ; on le sent bouillonner comme bridé par le format de la version de concert et on se prend à rêver ce qu’il aurait pu offrir en Wotan, dévolu cette fois à Iain Paterson (Fasolt et Gunther de la précédente édition). Les trois rôles Wotan/Wanderer ont peu en commun et Paterson y trouve une fortune contrastée. Il appartient sans nul doute plus à la catégorie des diseurs, avec une attention toute particulière porté au texte, qu’à celle des Wotan dont l’impact sonore et le charisme impressionnent ; on portera un intérêt appuyé à la restitution qui sera faite sur les ondes d’une prestation très nuancée et précise, peut-être pas aussi percutante qu’attendu.

Lise Davidsen (Sieglinde), Philippe Jordan, La Walkyrie, 2020 

Les Sieglinde de 2010–2013, Martina Serafin et Ricarda Merbeth apportent quant à elles leur expérience aux rôles écrasants de Brünnhilde. L’assurance du chant de la première dans La Walkyrie, parfois un brin rigide où la vaillance appellerait plus de lâcher prise, lui autorise bien des contrastes, explorant les voluptés intimes et registres martiaux avec autant de conviction. La seconde, après une furtive intervention de dernière minute en Helmwige, se jette à corps perdu dans les Brünnhilde de Siegfried et du Crépuscule ; son investissement, physiquement impressionnant, et le souci permanent de l’équilibre vocal transparaissent dans des prestations plus projetées pour les micros que pour une salle vide, travail que la diffusion radiophonique permettra d’apprécier à sa pleine mesure. Mais c’est une nouvelle venue qui marque au fer blanc la distribution féminine : Lise Davidsen remplaçait Eva Maria Westbroek, initialement annoncée en Sieglinde. Elle avait fait ses débuts dans le rôle quelques semaines plus tôt à la Deutsche Oper de Berlin, aux côtés de Nina Stemme, la Brünnhilde du moment. Nous y assistions et avions été littéralement décoiffé par son flot de décibels paradoxalement si bien maîtrisés, aux harmoniques charnues ; prestation coup de poing, incarnation pleine d’élan qui emportait quelques réserves de détails en matière de diction et parfois de justesse. À quelques semaines d’intervalle, le choc est pleinement renouvelé, mais le format concert impose là une attention presque (trop) précautionneuse au texte et bride peut-être un peu le plein déploiement d’un instrument exceptionnellement prometteur. Renversante et idéalement accompagnée à l’acte I par le Siegmund de Stuart Skelton, dont les nuances dynamiques et le chant tour à tour percussif et délicat ravissent.

Dans la galerie de portraits du Ring, rôle secondaire ne signifie pas non essentiel, comme nous le rappellent les fortes personnalités qui se dégagent des incarnations vocales de Johannes Martin Kränzle, Gunther tout autant fin diseur qu’au timbre flatteur, et d’Ain Anger en Hagen, dont la profondeur et la puissance des si emblématiques appels aux vassaux (acte III, scène 2 du Crépuscule) convainquent. Le soin apporté au reste d’une distribution très équilibrée garantit moult bonnes surprises et un plaisir d’écoute permanent, le tout étant animé par un Philippe Jordan très à l’écoute et très soucieux de l’équilibre entre voix et orchestre. L’engagement vibrant de la troupe et des musiciens ne ferait-il pas revivre un peu de ce théâtre sacrifié par l’absence de mise en scène ?

Or donc, le miraculé serait-il miraculeux ? Au lecteur de forger son avis en se faisant pour quelques heures au moins auditeur de France Musique ((Pour rappel, diffusion sur France Musique du 26 décembre 2020 au 2 janvier 2021)) ; gageons que le présent survol, nécessairement synthétique, n’ôtera rien du plaisir de l’analyse qu’il pourra prendre à l’écoute opus par opus de ce travail, en attendant, qui sait, une publication discographique !

https://www.francemusique.fr/evenements/integrale-du-ring-de-wagner-en-direct-sur-france-musique-les-23–24–26–28-novembre-2020

 

 

Jean-Marc Navarro
Jean-Marc contribue à alimenter la section Danse de Wanderer.

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1 COMMENTAIRE

  1. Bien sûr nous serons à l’écoute de ce Ring sauvé des eaux (si on peut dire).
    Mais pourrais je savoir pourquoi le prologue et les trois journées n’ont pas été enregistrées dans l’ordre ( des plannings d’interprètes sans doute ) et pourquoi Siegfried a été contraint de se replier à la Maison de la Radio ?

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