Charles Gounod (1818–1893)
La Nonne sanglante,
opéra en cinq actes, livret d'Eugène Scribe et Germain Delavigne
Créé le 18 octobre 1854 à l’Opéra (salle Le Peletier)
Nouvelle production dans le cadre du 6° festival Palazzetto – Bru Zane Paris
en coproduction avec Insula Orchestra et Bru Zane
David Bobée (Mise en scène)
David Bobée et Laurence Equilbey (Dramaturgie)
Corinne Meyniel (Collaboration artistique)
David Bobée, Aurélie Lemaignen (Décors)
Alain Blanchot (Costumes)
Stéphane Babi Aubert (Lumières)
José Gherrak (Vidéo)

Michael Spyres (Rodolphe)
Vannina Santoni (Agnès)
Marion Lebègue (La Nonne)
André Heyboer (Luddorf)
Jodie Devos (Arthur)
Jean Teitgen (Pierre l’Ermite)
Luc Bertin-Hugault (Le baron de Moldaw)
Enguerrand De Hys (Fritz, Le Veilleur de nuit)
Olivia Doray (Anna)
Pierre-Antoine Chaumien (Arnold)
Julien Neyer (Norberg)
Vincent Eveno (Theobald)
Stanislas Briche, Arnaud Chéron, Simon Frenay, Florent Mahoukou, Papythio Matoudidi, Marius Moguiba (Danseurs)
Choeur Accentus
Christophe Grapperon (Assistant musical et chef de choeur)

Insula Orchestra
Laurence Equilbey (Direction musicale)

 

Paris, Opéra-Comique, mercredi 6 juin

Exhumée avant Paris à Osnabrück en 2008*, La Nonne sanglante de Gounod est une surprise de taille, car le troisième essai lyrique du compositeur français après Sapho et Ulysse, est loin d’être une œuvre de jeunesse à l’intérêt relatif. Ce serait même le contraire, tant le jeune artiste se montre hardi et novateur dans le fond comme dans la forme, attitude qu’il abandonnera peu après cette expérience reçue avec tiédeur. Que serait devenu Gounod si sa Nonne avait triomphé ? Nous en le saurons jamais, mais il est certain que son orientation musicale n’aurait pas été la même et que son legs aurait été bien différent.

Comment et pourquoi une partition aussi originale que cette Nonne sanglante a‑t‑elle pu si mystérieusement rester à l’écart des circuits lyriques pendant de si longues années ? Le troisième opéra de Gounod a pourtant tous les atouts pour permettre au public de passer un excellent moment. Est-ce le titre un peu ridicule, le sujet plutôt tarabiscoté, la difficulté du rôle principal masculin, ou tout simplement le manque d’audace des directeurs de théâtre qui nous ont privés d’un tel spectacle ?

Cette résurrection parisienne rendue possible par l’intervention des forces du Palazetto Bru Zane ne pouvait être plus bel hommage aux festivités du deux centième anniversaire de la naissance de Gounod. Faust, Roméo et Juliette et Mireille qui n’ont jamais quitté l’affiche, ont fini par nous faire croire que ce compositeur n’avait été capable d’écrire que des musiques faciles, pompeuses et surannées, or la découverte de son troisième ouvrage vient contredire cette assertion. Fougueux, inventif et plein d’audace, le jeune français n’a peur de rien et surtout pas de prendre des risques en adaptant un livret écrit par Scribe avec l’aide de Germain Delavigne, refusé par Berlioz, Meyerbeer, Halévy et Verdi en tête. L’intrigue qui fait appel au fantastique alors en pleine vogue, directement inspiré d’un roman à la mode de Matthew Gregory Lewis publié en 1796, Le Moine, malgré certaines outrances, n’est pas sans évoquer Roméo et Juliette. Rodolphe et Agnès dont on suit les amours contrariées, dans une Bohème médiévale des plus pittoresques, appartiennent ici à deux familles rivales les Luddorf et les Moldaw, que seul un mariage arrangé avec le frère aîné de Rodolphe pourrait apaiser. Le cadet brave cependant son père, défie ses ancêtres et prend la fuite avec celle qu’il aime, mais qui ressemble au fantôme qui hante le château des Moldaw. Prenant ce spectre, nommé Agnès, pour sa bien-aimée, le jeune héros est alors plongé dans un engrenage maléfique qui doit le conduire à la mort ou à celle de son père, auteur de celle de la Nonne des années auparavant. Vite rattrapé par un certain conformisme, Gounod compose en 1854 une partition sombre, aux colorations savantes, d’une grande richesse mélodique et dramatique qui exprime avec panache l’esprit labyrinthique du livret. S’il ne craint pas de se référer à ses contemporains, aux derniers feux du bel canto de Donizetti, mais également à Meyerbeer, pour l’ampleur et l’emphase propres au style grand opéra et à Weber, et en particulier à son fameux Freischütz (Vallée aux loups), Gounod de par son inspiration et son talent laisse échapper une veine qui saisit et tient en haleine, surtout à partir du IVacte jusqu’au finale, où Rodolphe est soumis aux forces du spectre de la Nonne.

L’Insula Orchestra conduit d’une main de fer par Laurence Equilbey, qui a parfaitement pris conscience des enjeux de cette partition et qui domine son sujet, ne recule devant rien : effets spectaculaires, noirceur quasi gothique, exaltation des sens et engagement exemplaire.
Plongée dans une symphonie en noir et blanc, du sol volcanique aux images vidéo projetées sur un mur quadrillé, aux colonnes zébrées de néons, la proposition se veut novatrice quand elle n’est qu’une accumulation de clichés pour la plupart éculés. Costumes de cuir, chorégraphies et combats, brutalité ambiante, ce Mad Max du pauvre prête à sourire, sans pour autant parvenir à gâcher notre plaisir.

Michael Spyres (Rodolphe) et Vannina Santoni (Agnès)

Très homogène, la distribution est dominée par l’extraordinaire prise de rôle de Michael Spyres, Rodolphe inespéré. Renouant avec les fastes de son créateur Louis Gueymard, premier Phaon de Sapho en 1859 face à Pauline Viardot et premier Henri des Vêpres siciliennes de Verdi (1855), le ténor américain déploie tout au long de cette longue performance, un chant d’une aisance confondante soutenu par un cantabile aérien, un phrasé d’une douceur de miel et une ligne d’une incomparable robustesse, qui lui permettent de braver une tessiture particulièrement éprouvante. Investi, le chanteur croit en son personnage et se donne comme rarement au plateau, avec une générosité que nous ne lui connaissions pas. Vanina Santoni se déchaine et accomplit elle aussi un sans-faute, avec une Agnès au profil vocal conquérant, même si le rôle est scindé en deux parties distinctes au profit du rôle principal masculin, bien plus développé. Court mais joliment écrit, le personnage de la Nonne est fort bien tenu par Marion Lebègue, mezzo à la voix opulente et à la diction limpide qui évite tout dérapage et toute facilité. Jodie Devos se tire elle aussi habilement du rôle travesti d’Arthur, jeune page « grunge » à qui reviennent deux airs semés d’embûches  que la soprano relève avec aplomb. Les graves et la solennité de Pierre l’Ermite sont dispensés avec leur éloquence coutumière par Jean Teitgen, André Heyboer honnête Luddorf, laissant à Luc Bertin-Hugault le soin de traduire parfaitement, sous le masque de la froideur, la culpabilité du meurtrier de cette Nonne revenue hanter cette région reculée. Chœur Accentus et comprimari de qualité, complètent ce spectacle que l’on espère voir repris rapidement.

*Spectacle enregistré par le label CPO (Enregistré du 18 au 20 mars 2008)

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François Lesueur
Après avoir suivi des études de Cinéma et d'Audiovisuel, François Lesueur se dirige vers le milieu musical où il occupe plusieurs postes, dont celui de régisseur-plateau sur différentes productions d'opéra. Il choisit cependant la fonction publique et intègre la Direction des affaires culturelles, où il est successivement en charge des salles de concerts, des théâtres municipaux, des partenariats mis en place dans les musées de la Ville de Paris avant d’intégrer Paris Musées, où il est responsable des privatisations d’espaces.  Sa passion pour le journalisme et l'art lyrique le conduisent en parallèle à écrire très tôt pour de nombreuses revues musicales françaises et étrangères, qui l’amènent à collaborer notamment au mensuel culturel suisse Scènes magazine de 1993 à 2016 et à intégrer la rédaction d’Opéra Magazine en 2015. Il est également critique musical pour le site concertclassic.com depuis 2006. Il s’est associé au wanderesite.com dès son lancement

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