Christoph Willibald Gluck (1714–1787)
Alceste (1767)
Dramma lirico in tre atti
Livret de Ranieri de’ Calzabigi
Créé à Vienne (Burgtheater) le 26 décembre 1767

Pier Luigi Pizzi (Mise en scène, décors et costumes)
Vincenzo Raponi (Lumières)
Roberto Pizzuto (Chorégraphie)

Carmela Remigio (Alceste)
Marlin Miller (Admeto)
Giorgio Misseri (Evandro)
Zuzana Markova (Ismene)
Armando Gabba (Un banditore / Oracolo)
Vincenzo Nizzardo (Gran sacerdote / Apollo)
Ludovico Furlani* (Eumelo)
Anita Teodoro* (Aspasia)

Orchestra e coro del Teatro la Fenice
maestro del Coro Claudio Marino Moretti

* Piccoli Cantori Veneziani
maestro del Coro Diana D’Alessio

Enregistré à la Fenice

Direction musicale : Guillaume Tourniaire

Nouvelle production Fondazione Teatro La Fenice
pour le tricentenaire de la naissance de Christoph Willibald Gluck (1714)
en coproduction avec la Fondazione Teatro del Maggio Musicale Fiorentino

Enregistré en mars 2015 au Teatro La Fenice di Venezia

Représentée en mars 2015 sur la scène de la Fenice, la version italienne d’Alceste se voit confiée aux mains de Pier Luigi Pizzi, bien connu pour ses scénographies d’un esthétisme soigné. Le metteur en scène se montre fidèle à sa réputation, offrant quantité de belles images et un décor qui s’interprète à la manière d’une toile de la Renaissance. Si la direction d’acteurs n’est pas toujours aussi travaillée qu’on le souhaiterait, cette production mérite qu’on l’écoute pour la superbe Alceste de Carmela Remigio, qui nous offre une incarnation sensible et intelligente de l’héroïne ; pour la direction de Guillaume Tourniaire également, qui reproduit au mieux, avec un orchestre moderne, les possibilités expressives des instruments d’époque.

A visionner (jusqu’au 2 octobre 2020) sur le lien :
https://operavision.eu/fr/bibliotheque/spectacles/operas/alceste-la-fenice#

Si la version française d’Alceste, créée en 1776, a su s’imposer sur les scènes et dans la discographie, la version italienne composée pour Vienne en 1767 est plus rare mais mérite qu’on lui prête l’oreille, ne serait-ce que pour le plaisir de la comparaison. En effet, si la version française est d’une sobriété et d’une solennité saisissantes – et même glaçantes pour les passages les plus dramatiques –, la version originale en italien est beaucoup plus centrée sur l’intime et la famille, notamment grâce à la présence des deux enfants d’Alceste et Admète. Moins de grandeur tragique dans la partition – l’« Ombre, larve, compagne di morte » d’Alceste n’a pas l’éclat ni les aigus de « Divinités du Styx », pas d’Hercule triomphant – mais des airs plus recueillis ; c’est cette version italienne que la Fenice a choisi de représenter et de capter en mars 2015 et que l’on peut retrouver sur le site Operavision, dans une mise en scène signée Pier Luigi Pizzi ((NdR : Pier Luigi Pïzzi avait déjà réalisé une mise en scène d’Alceste, au Teatro alla Scala en 1987, cette fois pour commémorer le tricentenaire de la mort du compositeur, production dirigée par Riccardo Muti)).

On reconnaît bien dans cette scénographie l’architecte de formation qu’est Pizzi : un décor on ne peut plus géométrique avec son damier au sol et un espace savamment découpé par des lignes verticales et horizontales, des seuils, des marches. Du blanc et du noir pour figurer la vie ou la mort, une touche de jaune à l’acte II : un espace a priori froid, impersonnel, pseudo antique tout en n’appartenant vraiment à aucune époque. Mais ce décor, derrière cette simplicité apparente, demande peut-être à être lu comme un tableau, à être décrypté comme on le ferait d’une toile ou d’une fresque de la Renaissance ; car il y a d’abord ces piliers, non pas uniquement décoratifs, mais qui dessinent à l’acte II un cadre entourant le lit où la tragédie se noue, comme un tableau dans le tableau – comme « une fenêtre ouverte sur l’histoire » aurait dit Alberti. Pizzi construit un lieu pour le sacrifice d’Alceste, au centre du plateau et en hauteur : les autres personnages et le chœur restent en-dehors et servent, si l’on veut rester dans le vocabulaire pictural, d’admoniteurs, c’est-à-dire qu’ils invitent le spectateur à regarder le drame qui se joue. Il y a également cet immense drapé derrière le lit, symbole bien connu du mystère, et qui fait ici la jonction entre le monde des vivants et celui des morts. Enfin, et c’est peut-être l’élément le plus signifiant si l’on souscrit à cette lecture iconographique du décor, il y a ce damier au sol dont le point de fuite aboutit tour à tour au temple d’Apollon, aux Enfers et au lit où meurt Alceste ; de la même manière que les peintres, dès le XVème siècle, utilisaient la perspective pour illustrer la rencontre entre la mesure et l’incommensurable, entre l’humain et le divin soudain réunis sur un même plan, et où le point de fuite figurait l’infini et le sacré.

Cela étant dit, un beau décor, et même un décor qui a du sens, n’est pas nécessairement un décor efficace dramatiquement et qui offre beaucoup de possibilités de jeu à ses interprètes. Il semble qu’il faille se résoudre, pour cette production, à de belles images et à des tableaux vivants : car pour la direction d’acteurs, bien que soignée et élégante, c’est globalement statique et un peu répétitif. La captation vidéo et ses gros plans sont heureusement là pour donner du relief aux personnages car depuis la salle, les spectateurs n’ont sans doute pas été saisis par la tragédie qui se jouait sur scène.

Carmela Remigio incarne en effet Alceste avec une sensibilité, une intensité, une qualité de nuances tout à fait remarquables. Elle n’a certes pas une grande voix telle qu’on en entend souvent pour ce rôle, sonore et puissante du grave à l’aigu ; mais quelle musicalité, quelle attention au texte, quelle aisance aussi sur l’ensemble de la tessiture ! Le visage est toujours expressif, habité, et la soprano donne beaucoup de naturel à son chant et à son personnage. L’angoisse dont Alceste fait preuve, par exemple, devant la porte des Enfers, se mue progressivement en une résignation d’une grande douceur que Carmela Remigio amène très intelligemment et de manière très convaincante sur le plan dramatique.

L’Admète de Marlin Miller quant à lui convainc moins sur le plan vocal que sur le plan scénique. Sa voix légère peine à exprimer la douleur et la colère du personnage, manque de la flexibilité que requiert l’esthétique gluckiste. L’engagement physique et émotionnel du ténor se heurte aux limites de la voix et perd en impact. Autre ténor de la distribution, Giorgio Misseri est un Evandro appliqué, qui affronte assez habilement la tessiture tendue d’« Or che morte » malgré des aigus globalement trop ouverts, et fait un bon travail de déclamation. A ses côtés, Zuzana Markova est une Ismène élégante aussi bien dans son jeu que dans ses phrasés, et le grand prêtre de Vincenzo Nizzardo possède l’autorité attendue en plus de très bien mener ses récits.

La grande déception vient des chœurs de la Fenice, où les pupitres féminins ont un son assez disgracieux et qui domine l’ensemble. Scéniquement, on regrette aussi que le metteur en scène offre si peu de choses à faire ou à exprimer aux choristes. L’orchestre en revanche est une bonne surprise car il trouve sous la direction de Guillaume Tourniaire des phrasés et des accents dignes d’instruments d’époque. La musique est rendue vive, mouvante et jamais engoncée dans l’écriture gluckiste ainsi que les instruments modernes nous l’ont trop souvent fait entendre.

Si cette Alceste n’est pas irréprochable, elle n’en demeure pas moins une belle production ((à signaler sa sortie en DVD en mai 2019 dans un coffret hommage à La Fenice avec trois autres productions chez Editions Montparnasse)) que les spectateurs attachés aux mises en scène classiques et épurées apprécieront sans aucun doute ; l’occasion également de se (re)mettre dans l’oreille la version italienne de l’œuvre, telle que Gluck et Calzabigi l’avaient pensée.

A visionner (jusqu’au 2 octobre 2020) sur le lien :
https://operavision.eu/fr/bibliotheque/spectacles/operas/alceste-la-fenice#

 

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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.

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