Dans le programme, une citation d’Esa Pekka Salonen :
"There exists no other contemporary opera that can better be described as reading a daily newspaper, which makes performing it now highly relevant. We may even learn something from it. "
(Il n'existe aucun autre opéra contemporain qui puisse être mieux décrit que la lecture d'un journal quotidien, ce qui rend sa représentation aujourd'hui très pertinente. Nous pourrions même en tirer des enseignements.)
Et en effet, en consultant le livret, on trouvera, entre autres, sur les rapports Occident/Orient, Russie/Ukraine :
"Ainsi l'a décidé mon sort, voici pourquoi mon cœur se serre : ce qui me guette est honte et disgrâce, et après l'infamie et la mort. Naguère encore, plein de foi en ma chance, je croyais apporter à ma sainte patrie un destin nouveau : j'ai ôté leurs places aux boiar, renforcé nos rapports avec l'Europe, œuvré à une paix durable.
Pour toi, ma patrie bien-aimée… De quel œil ils me regardaient, les hommes d'Europe, lorsqu'à la tête de mes régiments éprouvés aux combats, ils m'ont vu abattre les fieffés Polonais pleins de morgue ; ou sous Androussovo, arracher de la gueule des Ukrainiens avides les terres où notre Histoire est née. Ces terres gorgées du sang de nos aïeux, j'en ai fait ma sainte patrie."
Tout s'évanouit en fumée, tout est oublié. O, sainte Russie, comme il est loin, le jour où tu te laveras de la rouille tatar !
Acte 1, scène 3 (traduction de Lily Denis, Avant-Scène n°57,58 de novembre décembre 1983)
Sur les rapports entre Russie et Lituanie, mais aussi les oligarques décadents au pinacle (puis assassinés).
"VARSONOFIEV.
Un inévitable malheur te menace.
IVAN KHOVANSKI.
Un malheur ? Tu perds l'esprit ? (à part soi.) Sous mon propre toit, dans mon propre domaine, un malheur inévitable me menacerait ? Voilà qui est plaisant, voilà de quoi rire ! Ainsi, l'on daigne faire peur à un prince. La Lituanie s'éveille, debout, Khovanski ! Réveille-toi aussi. Holà, qu'on envoie celui-ci à l'écurie et que les palefreniers lui fassent l'honneur du knout. Moi, qu’on me verse de l'hydromel. (On emmène Varsonofiev.) Vous autres, femmes, faites venir les Persanes ! (Entrent les esclaves persanes.)"
(Acte IV, scène 2)
Enfin, sur la religion orthodoxe comme étendard politique, l’époque apocalyptique (Tolstoï dans Guerre et Paix appelle lui aussi Napoléon « l’ennemi du genre humain ») les dissidents en fuite…
"DOSSIFEI.
Frères, notre cause est perdue. Dans toute la Russie, on nous persécute, mes frères. Ivan Khovanski est mort.
Golitsyne en exil, le prince Andréi, notre espoir, se cache parmi nous dans cet ermitage.
A qui la faute ? Aux princes eux-mêmes, à leurs querelles. Frères, amis, l'heure est venue de souffrir pour la foi orthodoxe. Les troupes nous entourent. L'ennemi du genre humain, le prince de ce bas-monde, s'est dressé. Nous ne nous livrerons pas à lui, mes frères : plutôt monter au bûcher. (aux hommes.) Frères ! Écoutez la parole de la révélation, au nom du très saint Créateur et Maître Tout-Puissant.
LES VIEUX-CROYANTS.
Seigneur, père, gardien de la lumière, nos cœurs sont ouverts à Dieu pour l'éternité."
(Acte V, scène 2)
Il ne s’agit pas de tout citer mais, un peu dans l’optique de cette production, de faire sentir par des prélèvements ce qui peut faire écho à une situation dramatique contemporaine. On ne comparera pas la Russie de Poutine au pays de Pierre le Grand mais tout cela résonne tout de même.
L’œuvre est complexe et met en scène la prise de pouvoir de Pierre le Grand (grand absent /présent de l’Opéra) contre sa sœur la Tsareva Sophie (autre personnage à la fois central et totalement absent) vue par le prisme de différents personnages, avec au centre la Khovantchina, l’Affaire Khovanski (la « Khovanski Shit Scene » pour citer Gerard Mc Burney, lors de l’échange d’avant la représentation ), association hétéroclite de divers personnages : le brutal prince Ivan Khovanski, désirant préserver ses privilèges et en voie d’ascension politique, l’européiste ministre réformiste Golitsyne, et le Vieux Croyant Dossifei, prince défroqué reconverti en gourou… À cette coalition de personnages influents (mais finalement éliminés) s’oppose le boyard Chlakovity, le seul à la véritable manœuvre, le seul efficace, in fine, avec rumeurs, trahisons réussies et assassinat politique.
La couche politique est traversée par des drames intimes et religieux : la vieille Croyante Marfa (un peu sorcière…) délaissée par le fils d’Ivan, le prince Andrei, est jalouse de la protestante Emma. La couche populaire basse et supérieure est campée par un Archer fêtard et un Scribe, soucieux avant tout de leur petite personne. Et bien sûr, le peuple est partout, grâce aux chœurs et aux danseurs, sous-divisions/réunions d’agrégats sociaux : archers (les strelets, soudards des Khovanski), leurs femmes, les soldats, les Vieux Croyants. Masses ondulantes, entraînées par les meneurs d’hommes du haut de la pyramide sociale.
En cela Khovantchina est un opéra moderne car il n’y a pas de personnage principal : tous les personnages sont en quelques sortes autonomes et dépassés, annihilés quand ils ne se conduisent pas eux-mêmes au suicide collectif pour, en exagérant l’explication schismatique, refuser de se signer avec trois doigts au lieu de deux (les Vieux Croyants, en opposition avec la réforme de Nikon). Reste Chlakovity, centre agissant mais sans triomphe et dont l’effacement après l’assassinat du prince Khovanski parachève le côté rouage/engrenage du personnage. C’est, il me semble, dans cette optique presque Tolstoienne de l’Histoire que Salonen et McBurney vont donner à voir et entendre leur Khovantchina, « drame musical populaire » et non opera, man’s people drama comme le traduit McBurney.
C’est à une version semi concertante que nous assistons à Berwaldallen, avant une production scénique attendue à Salzburg en 2025. Ce sont donc des hommes d’aujourd’hui qui animent le proscenium. Un Kuzka (l’archer, le Streletz) ivre vient perturber, animer plutôt, le concert, en débarquant bouteille à la main et s’effondrant devant le pupitre du chef. En quelque sorte, tout est dit : une ivresse (religieuse, populaire, de pouvoir, d’amour) qui s’effondre à la fin. Le jeune baryton finlandais, Johan Krogius, incarne à merveille le rôle : voix claire et sonore, puissante, très bien articulée, il emplit la salle aisément et avec fougue. Une belle présence scénique.
Suit un magnifique duo entre le Scribe, le ténor autrichien Wolfgang Ablinger-Sperrhacke et Chlakovity, le baryton finlandais Tomi Punkeri. Par ces quelques scènes, on comprend tout de suite à quel point la distribution a été magnifiquement pensée. À la jeunesse fougueuse de Johan Krogius s’opposent les matités de Punkeri, plus profondes, plus maîtrisées avec davantage de couleurs. Punkeri incarne un Chlakovity décidé mais sachant aussi manier les formes, les rondeurs du discours dans l’écriture de la lettre de dénonciation. En revanche, il sera aussi dur et tranchant avec Khovanski dans son assassinat de l’acte 4, après l’avoir amadoué. C’est un personnage à multiples facettes que Punkeri campe à merveille avec la voix qu’il faut.
Mais la réussite de la scène tient surtout à Wolfgang Ablinger-Sperrhacke en Scribe avec cette voix de ténor de caractère admirable (on se souvient de son Herod à Munich dans la production Warlikowski de Salomé). C’est un véritable diseur mais qui sait colorer et incarner scéniquement ce clerc veule, factotum des hommes de pouvoir et méprisé du peuple, cet homme de l’entre-deux. Ablinger-Sperrhacke chante admirablement le savoir et l’angoisse. C’est un formidable Scribe qui fait vivre l’écriture d’une lettre et ses implications politiques, la peur de l’homme face à la machine politique.
Mika Kares est dans cette lecture un très bel Ivan Khovanski : voix de basse magnifique dans les graves d’une profondeur abyssale, puissance à faire crouler les murs du Kremlin (ou du moins ceux de Berwaldhallen…), il est la force brute, animale du prince Ivan Khovanski. Toujours dans l’optique de la production, animer un man’s people drama, il ne se distingue des autres que dans sa voix, de loin la plus puissante, et par le port de ce manteau long qui élargit encore son personnage de géant (il fut un très beau Fasolt à Bayreuth dans la production Schwarz et… un Hunding-flic dans la production Tcherniakov du Ring de Berlin) avec ce rôle de politique aux pieds d’argile. C’est aussi un coloriste, sachant nuancer dans des passages plus mélancoliques du 4e acte mais c’est surtout son côté brut de décoffrage qui emporte : le jouisseur, le puissant, le félin.
La protestante Emma, incarnée par la Moldavienne Natalia Tanasii touche par son timbre cristallin, très fragile mais assurée avec de belles montées dans les aigus face à son amoureux-qu’elle‑n’aime-pas le prince Andrei, fils d’Ivan, le ténor Tuomas Katajala, qu’on avait déjà repéré sur cette même scène avec Salonen, en Loge de Rheingold. On retrouve la même jeunesse dans le timbre, les accents francs, la même pétulance, un spectre totalement utilisé sans heurts. Il incarne parfaitement son rôle d’amoureux/guerrier perdant sur toute la ligne. À l’inverse de son père Ivan, tout de noir vêtu, il porte une veste de camouflage, il est le chef armé mais de pacotille, chef de surplus militaire comme on le verra à la fin, démuni dans la forêt, appelant à la rescousse ses archers qu’on a vu emprisonnés et graciés in extremis juste avant. Il est toujours à contretemps, éperdu et trop passionné (Marfa puis Emma), chef inutile puisqu’il en a le rang mais pas l’habileté. Tuomas Katajala chante cette passion-là, cette ferveur amoureuse qui l’emporte dans la vie et le consume finalement. Très beau et bien caractérisé.
J’ai été personnellement déçue par la Marfa de la mezzo russe Nadeszhda Karayazina. Les couleurs sont là, la présence scénique aussi, c’est d’ailleurs quasi la seule qui joue vraiment physiquement l’âme de son personnage mais le spectre est étroit, avec peu de graves et une émission qui peinait à remplir la salle ce soir-là. C’est dommage car dans une production où on nous donne à lire les personnages dans leur incarnation brute, c’est la seule à faire vibrer de passion son rôle. Elle est l’amoureuse d’Andrei, la divineresse de Golitsine, la fidèle de Dossifei mais aussi la jalouse d’Emma et la jalousée de la vieille croyante Susanna. C’est un personnage à la croisée de beaucoup d’autres, incarnant des facettes variées (passionnée, magicienne, religieuse) et Nadeszhda Karayazina par son engagement fait surgir ces incarnations-là. C’est la seule qui vibre de l’intérieur, qui semble vraiment animée. À réentendre donc.
Le Dossifei de la basse estonienne Ian Anger est le revers de la médaille de Mika Kares-Ivan Khovanski. Une basse vraiment profonde mais à la brutalité et la force de Kares s’opposent la chaleur, les rondeurs d’Anger avec un chant empreint d’une grande solennité mais sans ferveur. Ian Anger incarne le chef des Vieux Croyants mais on sait que le rôle peut aussi piocher du côté de la relation étrange qui lie Dossifei et Marfa, et on peut aussi questionner la place de son intérêt religieux en relation à un désir politique inavoué puisque l’on sait que Dossifei est issu de la classe nobiliaire, reniée (au profit d’une foi vraie ou feinte ?) par volonté de Salut. Ces reliefs-là sont, semble-t-il, volontairement mis de côté par la production qui se concentre sur son rôle de chef religieux ce qu’il accomplit parfaitement. Ian Anger a l’aisance scénique qu’il faut, développe sa voix magnifiquement, sans effort et joue de ses charmes. C’est un beau Dossifei, chef charismatique, enchanteur d’hommes.
Le suédois Kristofer Lundin, est la troisième figure de ténor, celui de l’habile politique, le prince Vasily Golitsin. Là encore, pour l’incarner il faut un chanteur capable de jouer les multiples facettes de Golitsin : prince certes mais réformiste, attiré et formé par l’Europe des Lumières, (très ?) attaché à la tsarine Sophie mais jouant la carte Khovanski, soit son exact opposé idéologique. Kristofer Lundin est un ténor plastique, à la voix riche et lumineuse, capable de porter valeureusement les écarts de Golitsin, avec une certaine grandeur. C’est une belle incarnation vocale.
Enfin la Susanna de la soprano finlandaise Olga Heikkila, surprend par sa puissance, son aisance à remplir la salle pour contrer/dénoncer Marfa, la passionnée-Vieille Croyante. Timbre charmant, registres superbement liés, elle est une Susanna qui plus qu’Emma, pourrait être la véritable rivale de Marfa, par son ampleur vocale et des séductions de couleurs claires et chaudes qui surprennent. C’est, ce soir-là, celle qui enchante le plus, côté féminin. C’est une Susanna jeune qui rend la scène de jalousie avec Marfa plus coriace. Ce n’est plus de l’aigreur ou du ressentiment, c’est un sentiment plus vivace et passionné. Voilà un relief inattendu dans une production un peu univoque.
Animer scéniquement tout cela, c’est difficile, surtout dans la salle de Berwaldhallen. En dépit des pitreries de Kuska qui rythment et dessinent une forme d’arche scénique, plutôt bien vues, on en est réduit à apprécier le jeu, sur une chaise !, du Scribe de Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, vraiment agité et torturé, les gestes violents de Kares, à faire peur, ou le jeu subtil et très intérieur de la Marfa Nadeszhda Karayazina.
Restent les chœurs des Tapiola Chamber Choir, Dominante et Helsinki Chamber Choir, consignés au premier étage derrière l’orchestre et chargés d’incarner les Moscovites, les Archers, les Vieux Croyants, les esclaves de Khovanski à l’aide de chemises à carreaux, de casquettes de chasse, d’écharpes noires puis blanches au moment du bûcher. Ils sont le peuple, dans ses divers oripeaux, interchangeables, suivant les indications de la direction politique, militaire, religieuse ou simplement folklorique. En cela, le côté girouette est bien signalé. Musicalement, on est, comme toujours dans les chœurs scandinaves, dans un niveau d’exception. On a cru constater un peu plus d’approximations dans les premiers chœurs mais finalement bien venues puisque ce sont des scènes de foule et donc avec un caractère plus incontrôlable. Peut-être est-ce voulu d’avoir ce (très léger) relâchement qui crée du volume. Ainsi, on va de plus en plus vers une dramatisation et un contrôle en avançant dans l’opéra, et le chœur suit cette mesure-là. D’ailleurs, il est éclairé en rouge à chaque évocation de la Place Rouge depuis le début et cela ne laisse aucun doute sur le final sanglant…
L’Orchestre de la Radio Finlandaise dans les locaux de la Suédoise permet d’admirer l’orchestre frère du côté Est de la Baltique avec de très belles cordes, notamment des contrebasses puissantes, des cors sans scories majeures et des cuivres magistraux, de belles flûtes également et un ensemble percussions-piano détonnant qu’Esa Peka Salonen s’attache à faire sonner. Salonen dirige comme à son habitude avec rigueur et sens des masses, de manière analytique plutôt froide mais avec certains accents, des effets sur les moments dramatiques-coups de poings (percussions, piano notamment). C’est un drame et il nous le fait entendre dès le début. Sans ménagement.
Nous attendions les compositions pour encadrer les esquisses retrouvées de Moussorgski, orchestrées par McBurney mais le musicien électronique Tuomas Norvio a été également chargé de produire des paysages sonores de transition entre les actes et au début de l’opéra, sans doute pour nous préparer à ces nuages finaux et pour relever son rôle d’encadreur en lui laissant ponctuer chaque acte. Ainsi, on est surpris, au début de l’Opéra, attendant la musique de l’Aurore, d’entendre ces paysages sonores, réalisées par le compositeur attitré de la compagnie de danse de Tero Saarinen. Bruits blancs, grésillements, petites touches, on sent que le compositeur s’est bridé pour ne pas desservir l’œuvre mais c’est, à mon goût, une solution en demi-teintes et qui parasite un peu les ouvertures et finals. Je comprends le choix et je n’ai rien contre la musique électronique mais le résultat est un peu bancal. Au contraire, l’option choisie pour coudre les esquisses est plutôt bienvenue. Elle me rappelle un enregistrement de bribes de morceaux antiques retrouvés par des archéologues, Musique de la Grèce Antique par Atrium Musicae de Madrid et Gregorio Paniagua. Pour traiter les lacunes, plusieurs options ont été retenues : silence, « restauration » et éventuellement « sons, bruits et accords errants ». C’est un peu le même esprit ici, sauf qu’on a demandé à Tuomas Norvio de créer des paysages sonores et que la palette d’actions sonores depuis l’enregistrement suscité de 1979 et réédité en 2000 chez Harmonia Mundi a considérablement évolué. McBurney avait demandé à Tuomas Norvio de s’inspirer de sa connaissance des forêts du nord, lequel aurait rétorqué qu’il les connaissait effectivement bien mais quelles étaient justement silencieuses ! C’est donc une idée du silence des forêts de Russie qui est suggérée par des bruits blancs, des souffles de vents et… un moustique zigzaguant qui est effectivement la présence sonore la plus importante des forêts de bouleaux et pins continentaux. On distingue des silences aussi et l’esprit des bribes assemblées est conservé avec un sentiment de continuité-discontinuité intéressant. Lecture analytique et un peu distanciée toujours donc.
La lecture de Salonen est froide, sans volonté de regard contemporain sur le sujet dirons-nous, mais sans équivoque dramatique dans la première partie avec des effets très appuyés, un peu comme des interventions du narrateur musical. Il s’agit de mettre en place les personnages et situations mais dans un cadre qui les englobe et les dépasse (toujours dans une lecture Tolstoïenne de l’Histoire). On sent en revanche un peu plus de dramaturgie dans le trio de conspirateurs de la fin du deuxième acte, avec des accents tendus mais sans affectation.
Il faut atteindre la seconde partie pour des envolées plus poétiques qu’on n’attendait plus, dans la scène de la danse des esclaves perses par exemple, strictement musicale ce soir-là donc, avec un prince Ivan rêveur (une ultime fois), et nous avec, regardant l’orchestre. Salonen fait respirer ce moment avec un geste très large et beaucoup moins de raideur, comme sortant ce pur moment de plaisir d’un long drame passé et à venir. C’est le moment hors du temps de la soirée magnifiquement mise en scène par Salonen.
Le final de Stravinsky vu par Salonen, au contraire, est une plongée dans les braises. D’ailleurs, Tuomas Norvio nous fait basculer dans la scène par des sons de brasier : vrombissements, souffles, craquements et grésillements, magnifiquement spatialisés dans la salle de Berwaldhallen qui d’un coup gagne en espace et reliefs, travaillant sur les arrières et côtés du public. Terminer par une plongée dans le brasier, dans le magma musical accompagné par l’électronique, c’est une bonne idée qui va avec le sens du final de Stravinsky, avec un Salonen joueur de flûte de Hamelin ou à la Dossifei (superbe finale de cordes insistantes et suspendues, très dramatique). Tout doit disparaître. L’espoir est ailleurs. En tout cas pas de ce monde.