Patrick Lange prend les choses au sérieux et tente d’insuffler aux membres de l’Orchestre de chambre de Paris l’éclat et le brio rossinien et ce dès les premiers accords de cette ouverture bien peu inspirée. L’arrivée de Ragonde un peu trainante, celle du Comte qui révèle d’emblée un certain malaise (étroitesse du registre, aigu à la peine), suivie par celle pour le moins compromettante du Gouverneur font rapidement craindre le pire. Venu pour se divertir et assister à de réjouissantes joutes lyriques, le public commence à bailler et à se demander pourquoi il s’est déplacé. Même le sémillant page Isolier censé pimenter l’action avec « Sa dame de haut parage », parait en retrait, incapable de briller dans une partition conçue pourtant comme telle. Mais soudain la Comtesse Adèle fait son entrée à pas feutrés, délicate et charmante. Il suffit à Sarah Blanch d’ouvrir la bouche sur la phrase délicieusement mutine de son premier air « En proie à la tristesse », pour que la soirée se transforme instantanément. Quel plaisir alors de se laisser emporter par ce chant radieux, gracieux sur toute l’étendue du registre, par cette ligne agile et soyeuse ; avec elle le spectre de Rossini apparait enfin, vif, endiablé, libertin. Toute la saveur du texte de Scribe prend alors forme et sens, la grammaire musicale peut s’étaler avec aisance et naturel, l’interprète n’ayant plus qu’à parer son personnage de toute l’impatiente jeunesse qui le caractérise. La seule présence de la soprano catalane dissipe alors l’épais brouillard dans lequel nous avions été plongé jusqu’alors.
Duos, trios et ensembles gagnent ainsi en panache et en énergie (malgré le choix d’une version sensiblement écourtée), comme si la mission de la cantatrice avait été de sauver une soirée qui s’annonçait mal. La mezzo Monica Bacelli (Ragonde) retrouve ainsi des forces au second acte, le baryton Nicola Ulivieri (Gouverneur) un semblant de tenue vocale et Ambroisine Bré (Isolier) un peu plus de tonus, mais toujours pas d’aigu, celui-ci s’étant envolé très vite, tandis que Sergio Villegas-Galvain (Raimbaud) exécute plutôt bien son grand air syllabique « Dans ce lieu solitaire », sans atteindre cependant la faconde d’un Florian Sempey. Reste le cas Cyrille Dubois. Comment ce ténor aussi rigoureux qu’éclairé dans ses choix a‑t‑il pu accepter de mettre ce rôle à son répertoire, même pour « l’essayer », avec une voix si courte, si gracile et une technique belcantiste si lacunaire ? Après avoir entendu Rockwell Blake aux moyens dispendieux et au style superlatif, puis avec une toute autre approche Juan Diego Florez, ni le timbre passe-partout, ni l’émission réduite à peau de chagrin de cet excellent chanteur ne peuvent venir à bout de cette partition confiée originellement à l’immense Adolphe Nourrit, qui tint le rôle autrement plus musclé d’Arnold (Guillaume Tell), mais également celui de Robert le Diable et de Raoul des Huguenots (Meyerbeer), ou bien encore celui d’Eleazar de La Juive (Halévy), qui resteront hors d’atteinte à notre frêle Cyrille ? Une erreur de parcours, heureusement compensée par Sarah Blanch, véritable triomphatrice de ce concert.
Hélas,une hirondelle ( Sarah Blanch) ne fait pas le printemps.Quelle morne soirée.
Quant à Cyril Dubois,par les temps qui courent je ne serais pas surpris qu’il soit un jour programmé dans Tristan.