RESITUER L’ŒUVRE
"GALLI FILIPPO. Entre l'avant-dernière et la dernière décennie du dix-huitième siècle, Filippo Galli naquit à Rome de parents honnêtes. […] Très jeune, il débuta à Naples en tant que ténor, tant il était doué de voix jusqu'alors. Par chance ou par malchance, il tomba malade et perdit ses moyens vocaux. Alors qu'il récupérait ses moyens vocaux et sa santé, il prit conscience d'un phénomène inhabituel qui s'était produit en lui : il était devenu une basse. […] Dans Italiana in Algeri, il suscite un enthousiasme extraordinaire en 1813, et depuis lors son nom est lié à celui de Rossini. […] Turco in Italia, D. Giovanni, La Gazza Ladra, Cenerentola, Agnese, où il méritait d'être l'égal de De Marini, Torvaldo et Dorliska, Maometto II et Semiramide l'ont proclamé le chanteur-acteur par excellence, et l'art, n'était-ce son habitude ingrate, devrait lui élever un monument, comme à celui qui a appris aux basses à unir magistralement le chant et l'action.”
"COLBRAN-ROSSINI ISABELLA ANGELA, née à Madrid le 2 février 1785. […] A la douceur de ses accents, à la force de son expression, au goût parfait de ses fioritures, à l'ampleur de son phrasé, il était impossible de ne pas reconnaître en elle la digne disciple de la célèbre soprano. Lorsque l'élève de Crescentini apparut pour la première fois sur scène, elle fit grande impression et, de 1806 à 1823, Colbran fut célébrée dans tous les grands théâtres d'Europe."
"NOZZARI ANDREA. Célèbre ténor. Il est né à Vertova, dans la région de Bergame, en 1775. (Le registre paroissial indique 1776. Le voci di Rossini, Appolonia, Turin, 1992)). Il a laissé une splendide réputation, et nos anciens, qui l'appelaient l'Orphée ressuscité, l'ont toujours sur les lèvres" [1]
Une année cruciale.
L'esprit vif qu'il a toujours été, mais 1819 fut à nouveau pour Rossini une année de feu, au-delà de la moyenne à laquelle il était habitué. À la cour napolitaine de Sa Majesté Domenico Barbaja, depuis quatre ans[2], si l’on s’en tient aux seules productions d'opéra, elles comprenaient Ermione, Eduardo et Cristina, La Donna del Lago et Bianca et Falliero [3] Des lieux plus ou moins habituées aux nouveautés mais Naples était sans l’ombre d’un doute la capitale musicale de l'Italie (de l'Europe ?) et il était naturel de lui réserver les pages les plus audacieuses, osant expérimenter pour ce public expert de précieuses références au néoclassicisme ainsi que des atmosphères qui ouvriraient la voie au romantisme en musique.
Le compositeur originaire de Pesaro, lui-même en partie associé de l'Entreprise, n'est alors plus seulement le composer in residence (comme on dit aujourd’hui) souverain du Real Teatro di San Carlo, mais bel et bien le directeur de la musique, pivot de l'activité des principales scènes de la ville, qui relèvaient de la même gestion. L'année 1820 s'ouvrit par exemple sous l'étoile du grand Spontini, de près de vingt ans l'aîné de Gioacchino, mais qui semblaient être musicalement tellement mais tellement plus. Rossini fut chargé de monter son Fernando Cortez, en révisant le titre. De très gros efforts furent déployés[4], mais le résultat ne fut pas retentissant, plutôt moyen malgré le poids des forces en présence.
C'est sans doute Rossini lui-même qui en a le plus tiré profit, se familiarisant avec ce répertoire et en puisant son inspiration dans des histoires d'amour dramatiques entre ennemis, avec en toile de fond les vicissitudes historiques de l'envahisseur.
Rossini avait tiré le frein à main et ne composait plus qu'un nouvel opéra par an. Son génie était libre de vagabonder, exceptée l'obligation de composer une Messa di Gloria pour l'Arciconfraternita di San Luigi, à laquelle il n’avait pu se soustraire. Ainsi il évita, par épuisement, de composer une nouvelle œuvre pour Lucca. Il trouva un exutoire dans un texte plutôt réussi (pour une fois) signé du noble Cesare Della Valle, duc de Ventignano.
La première représentation.
Maometto Secondo, tiré de la tragédie Anna Erizo du même auteur du livret, de retard en retard, prit finalement son envol le 3 décembre 1820 avec la distribution à laquelle le public de l'époque avait la chance d’être habitué : le protagoniste Filippo Galli (Maometto), la prima donna Isabella Colbran (Anna Erisso), le premier ténor Andrea Nozzari (Paolo Erisso).
Avec ces trois-là sur le papier, le triomphe était assuré : Galli, dans le rôle-titre, garantirait l'extension vocale, la vigueur du chant déclamatoire alliée à l'excellence de la performance scénique. Colbran ne craignait toujours aucune rivale, du moins à cette époque, dans le cœur du public, et si l'extension et la suprématie vocales n'étaient plus ce qu'elles étaient dans les premières années, il est vrai aussi que dans les chroniques les éloges pour la haute expression, l'efficacité et la vigueur de l'accent, la précision du chant d'agilité restaient inchangés. Quant à Nozzari, le baryténor préféré, sa présence signifiait la solidité de l'accent dans le canto declamato, la ligne qui soutient les concertati, les coloratures vigoureuses, et en même temps la suavité jaillissant des douces expansions chaque fois qu'Erisso se réfère à sa femme décédée.
Même la critique de l'époque a compris l’enjeu. "Maometto marquera dans l'histoire de son œuvre une deuxième période bien plus glorieuse que la première. […] La musique du premier acte de Maometto est d'une beauté originale du début à la fin. Les chœurs, les airs, les deux trios, le final, unissent la mélodie à la force, la simplicité à la magnificence, et ce pathétique sans cris, cette harmonie sans clameur et sans confusion, dont les anciens faisaient un si savant usage, et qu'on ne rencontre guère dans les compositions des modernes…"[5] . Ou du moins il s'en est approché de très près…
Le destin de l’œuvre.
À la fin de la période napolitaine, variée et merveilleuse, Maometto est un joyau d'une extraordinaire grandeur dans lequel Rossini expérimente de nouvelles voies sous tous rapports, dans tant de directions jamais abordées auparavant dans un seul titre. Il est si innovant dans l'alternance des formes qu'il laisse l'auditeur désorienté, se retrouvant dans une séquence continue de scènes d'ensemble, de duos, de chœurs, de trios aux proportions jamais expérimentées auparavant, de brèves arias d'entrée sans la cabalette obligatoire, un final avec chœur funèbre dans lequel nous avons attendu en vain la béatification du protagoniste avec des feux d'artifice vocaux qui sont maintenant la norme. Il manque la sinfonia l’ouverture, mais nous ne ressentirions cette son absence que si nous n'étions pas cloués à notre siège par ces accords funèbres d'ouverture qui font brièvement place à la scène du conseil de guerre et qui fermeront le cercle précisément avec le chœur final après trois heures de musique.
Ce Rossini frappe par la parcimonie des moyens orchestraux avec lesquels il parvient à construire un monde d'atmosphères jusqu'alors inconnu dans l'opéra italien du début du XIXe siècle, par l'exotisme qui n'est jamais du cirque, par la préciosité et les justes proportions des introductions orchestrales. Puis, soudain, il nous émeut par la douceur pathétique du chant de Paolo sur la tombe de sa femme, musique que nous avions perdue de vue depuis l'époque de Händel et de Gluck.
Mais Maometto II est un opéra qui est souvent en avance sur son temps et qui l'est au moins de vingt ans. Il l'est dans la façon dont il traite le chœur, qu'il semble s'apparenter même au premier Verdi. Il l'est encore plus lorsque, dans l'enchaînement des numéros musicaux, cavatines et l airs solistes sont moins étendus, comme des pauses noyées dans un flot musical sur le modèle de Mozart.
On pense au personnage de Calbo et à la façon dont il est décliné : ce n'est pas un hasard si cet héritage de sa prime jeunesse qu’est son amour des voix féminines graves pour incarner de jeunes héros en travesti, reste destiné à la seule scène avec introduction, obbligato, cavatine, cabalette. Et ce n'est pas un hasard si, au moment d'affronter le dernier grand défi, celui qui allait se jouer à Paris, avec ce remake que constitue Le Siège de Corinthe migrant de Negroponte à Corinthe, Calbo lui-même est passé de contralto à ténor. Quatre ans plus tard, Vincenzo Bellini confierait encore le rôle de Roméo dans Capuleti e Montecchi à un mezzo-soprano…
L'opéra eut manifestement un succès d’estime pour le compositeur, mais sa modernité ne lui valut pas les faveurs durables du public. Après neuf représentations en 1820, il revient au San Carlo au XIXe siècle pour une seule représentation en juin 1825. Son remake italianisé, L’Assedio di Corinto, n'a guère eu plus de chance et le rideau s'est levé à 45 reprises entre 1828 et 1836[6].
LA PRODUCTION NAPOLITAINE
Maometto selon Bieito.
Sur le papier, c’était le plus grand risque et tout s'est déroulé comme prévu : la mise en scène de Calixto Bieito (nos meilleurs vœux pour son 60e anniversaire en ce 2 novembre !), comme prévu, a rencontré un désaccord retentissant de la part du public lors de la première représentation (la première du 25 octobre a été supprimée en raison de la grève déclenchée pour le renouvellement de la Convention collective nationale de travail des Fondations symphoniques et lyriques, et le spectacle a été présenté le dimanche 29 octobre) et des avis généralement négatifs de la part de la critique spécialisée. Une direction problématique, certes, mais pas à rejeter en bloc.
Le rideau se lève, avant que la musique ne commence, sur le siège. Un champ désolé parsemé de chevaux de frise fluorescents, tout autour, obscurité et néant. Les éléments resteront essentiellement les mêmes tout au long de la soirée, les néons et les lumières de différentes couleurs soulignant grossièrement les changements de scène et d'ambiance. Pour Bieito, les Vénitiens sont maintenant en déroute, Erisso est un commandant qui se déplace avec son sac et son trépied remplis de médicaments et d'oxygène, à la tête de soldats qui se battent sans armes. Les assiégés n'ont plus que des parapluies, des battes de base-ball, des haches et des marteaux pour se défendre. Toute référence éventuelle à l'actualité n'est que pure coïncidence ?
La tonalité est peut-être juste, l'opéra de Rossini est lugubre et endeuillé du début à la fin, mais le choix du metteur en scène de toujours faire de la guerre le protagoniste au détriment de l'action et des sentiments des personnages principaux finit par plonger la représentation d'un manteau de monotonie. Et surtout d'un véritable ennui scénique, puisqu'à la lecture du livret, il est vrai qu'on parle tout le temps de guerre, qu'on l'évoque en dehors de la scène, mais qu'en fin de compte on ne voit jamais l'affrontement. C'est tout autre chose de voir les assiégés et de sonder leurs sentiments.
L'action du chœur sera tout aussi néfaste tout au long de l'opéra avec les chanteurs qui, qu'ils soient vénitiens ou musulmans, quand ils ne sont pas traités comme des figurines statiques, sont pire encore, engagés dans des mouvements de va-et-vient sur place, agaçants et tout à fait anti-musicaux par le bruit et la synchronisation de leurs gestes. Les femmes font leur entrée avec Anna et montrent qu'elles veulent défendre leur vie quotidienne ; ce sont des femmes qui font les courses, qui sortent, qui conduisent des landaus.
Mais c'est avec la protagoniste féminine que se produit le pire de toute la représentation.
Anna est le pivot autour duquel tout tourne sur scène. De l'amour paternel à celui pour le terne Calbo en passant par l'amour jamais oublié pour le farouche Maometto, tout se termine et commence avec Anna. C'est même d'elle, qui n’est pas une guerrière, que part, l'action anti-historique qui contrecarre le siège des Ottomans.
Le rôle d'Anna est celui qui a permis un nouveau triomphe à une Colbran qui s’approchait des moments du déclin vocal. En adaptant l'écriture vocale au fil des ans, Rossini avait progressivement déplacé l'accent de la pure agilité vocale vers des scènes de plus en plus articulées où faire ressortir l'accent, la précision, le caractère du personnage qui mène l'action, l'extension toujours importante pour une voix qui devenait plus rigide. Il ne fallait pas répéter les comparaisons gênantes avec Elisabetta et Desdemona. Mais le magnétisme et la hauteur tragique de la figure restaient inchangés.
Tout cela, et c'est un grave défaut, disparaît dans la mise en scène de Bieito. Anna est réduite à une pâle victime des événements. Elle cesse d'être la force motrice du drame et finit par errer de façon hallucinante sur la scène, comme une Lucia ou une Ophélie gémissante, avec parfois une touche de Jeanne d'Arc, au lieu de montrer la fierté et la noblesse de la fille du patriciat de Saint-Marc. Une insulte suprême de la part du metteur en scène à celle-là même qui, fidèle au devoir de fille et de citoyenne, sacrifie son amour jamais éteint pour Maometto et sa propre vie pour garder la foi en la patrie avec une fermeté dont même le père et l'amant ne peuvent se vanter.
Au milieu du premier acte, le vide semble avoir pris le dessus, mais l'entrée en scène de Maometto élève l'atmosphère. Non pas que son entrée apporte on ne sait quel bouleversement mais, peu à peu, se dessine un Maometto ironique, intriguant, subtil… amoureux, contre tous les préjugés. Non pas un truculent petit-fils d'Attila, mais le précurseur des « villains » de salon de la fin du XIXe siècle. Voici l'assiégeant, en veste d'homme d'affaires et lunettes, qui aspire à conquérir l'Eubée et le monde entier. Il s'enveloppe dans un planisphère, le torture et le mange, hommage à l'histoire du cinéma.
Dans sa relation avec Anna, il finit au moins par rendre plus crédible la figure de cette adolescente sur le point de tomber sous le charme de ses bras, jusqu'à un final de l’acte I endiablé où tous deux sont à l’initiative
Le duo du deuxième acte est le moment critique de la soirée, Anna attachée sur un canapé est d'abord vulgairement piégée par Maometto mais finit par l'attacher à son tour. Qui séduit qui ? l’a‑t‑elle séduit au point de le tenir en main ? Ils sont tous deux évidemment à peine maîtres de leurs appétits, une manière de rendre explicite la pulsion sexuelle que le livret cache et que la musique suggère, mais sans qu'il soit nécessaire de la placer brutalement devant nos yeux. Bieito se trompe de répertoire.
Images d'une mise en scène controversée, dans le décor simple d'Anna-Sofia Kirsch et les éclairages fonctionnels de Michael Bauer. En outre, restent problématiques pendant la plus grande partie de l'opéra la difficulté de gérer les masses chorales et surtout la négligence dans l'étude des relations entre les personnages qui restent chez Rossini le centre des préoccupations, quels que soient les contextes. Dans une très grande mesure, ce travail de Calixto Bieito est anti-musical en termes de programme et d’intentions, et reste donc, dans l'ensemble, pas à la hauteur de l'œuvre, à l'exception la manière dont il dessine avec une certaine justesse la modernité du protagoniste masculin.
Somme toute, c’est trop peu par rapport à ce que l'on entend et qui, constitue vraiment un grand moment dans l'histoire de l'interprétation de Rossini.
Une interprétation musicale magistrale.
Celle entendue au San Carlo peut être considérée en effet dès à présent comme la direction de Maometto II à l'aune de laquelle toutes les (futures) autres seront jugées. Michele Mariotti, sur le podium de l'excellent orchestre du San Carlo, nous offre un exemple idéal de Rossini sérieux, où tout sonne parfaitement en place.
Quelques mesures du Maestoso d'ouverture et il est clair que le chef a les idées claires, qu'il n'a pas peur des tempi larges parce qu'il a tant à nous dire. Les cordes soutiennent à merveille l'atmosphère funèbre qui enveloppe les premières notes, non pas précipitées comme s'il s'agissait d'une banale introduction jetable, mais comme une prémisse essentielle au drame d'Anna Erisso, qui oscille tout au long de l'opéra entre la patrie et l'amour.
Les tempi sont généralement ouverts et laissent libre cours aux émotions qui parsèment la partition. Plus l'écriture de Rossini est sèche dans l'utilisation des moyens musicaux, plus la direction de Mariotti renforce l'unité de l'opéra, si originale dans l'enchaînement des grands ensembles par rapport aux airs solistes plus conventionnels qui place l’ensemble sous une couleur pleinement cohérente et unifiée. Ainsi, le Giuramento dei Veneti, sonore et fier sans être tapageur, ainsi que, de manière générale, un choix toujours juste des tempi, soulignant la félicité mélodique et dynamique lorsque c'est nécessaire, comme dans le stretto final du premier acte abordé à pleine vitesse.
La cavatine de Calbo au deuxième acte est un parfait échantillon du canon traditionnel de Rossini : perfection rythmique et timbrique de la clarinette, intervention d'Erisso empreinte d'une douceur sans pareille, Andante énergique et fier, Allegro de la cabaletta dirigé spécifiquement pour faire ressortir le meilleur de l'interprète, l'aidant aux points les plus délicats de la tessiture mais ne sacrifiant jamais l'intégrité de ce que dit la musique.
Quelques mesures et le trio In questi estremi istanti entre Anna, Calbo et Erisso, à première vue une émanation de Mosè, est enveloppé d'un érotisme aux limites du soutenable, sans comparaison avec l'ironie provocatrice du duo entre Anna et Maometto qui avait été bien saisi par le metteur en scène.
La dernière entrée du chœur, après la mort d'Anna, confirme, s'il en était encore besoin, l'état de grâce du chef d'orchestre qui, sans précipitation, nous offre un final qui rejoint idéalement le funèbre début. Inoubliable.
Avec le soutien du metteur en scène, en l'occurrence précieux, Roberto Tagliavini est un excellent Maometto, scéniquement et vocalement. Elégant dans des vêtements modernes, costume sombre sans cravate, lunettes, il est un protagoniste qui n'est pas aussi effacé ou grossier que la tradition, mais insinuant et à multiples facettes. De l'arrogance à l'ironie la plus subtile, l'accent est crédible dans toutes ses nuances. Vocalement, il atteint la fin de la représentation sans le moindre signe de fatigue, sa voix est homogène, sonore, bien installée dans le masque tout au long de la représentation. La colorature est abordée avec assurance et justesse, sans raccourcis.
Très attendue dans le rôle d'Anna, la jeune mezzo-soprano russe Vasilisa Berzhanskaya est musicalement à la tête d'un des rôles les plus exigeants parmi ceux créés pour Isabella Colbran. Contrairement au rôle-titre, le rôle d'Anna est mis à rude épreuve par la mise en scène et Berzhanskaya ne peut pas faire grand-chose pour rehausser son personnage. Elle erre sur scène, hallucinée et fragile, ressentant parfois le besoin d'attacher ou de détacher quelqu'un.
La voix est importante et émise avec confiance dans le registre central, moins sonore dans les graves extrêmes. Clairement centrale en extension, elle résout les extrêmes aigus avec force, au risque de quelques sons fixes, mais sa voix est toujours parfaitement soutenue par son souffle.
Une mise en scène plus attentive aux valeurs musicales de la partie d'Anna et une plus grande familiarité avec le titre auraient certainement aidé Berzhanskaya à affiner le personnage également du point de vue de la vocalité, de la clarté de la colorature et du phrasé. Elle nous offre cependant une excellente performance musicale.
Dmitry Korchak est un Erisso à la voix qui n’a pas le vif argent naturel de certains ténors, mais qui est construite par l’étude et une préparation attentive, pour l'homogénéité et la justesse de l'émission dans tous les registres. Le chanteur russe est aussi un chef d'orchestre, et cela se voit. Il exécute à la perfection les notes et les intentions du rôle ; il fait partie de ces chanteurs qui ne pourraient pas se désaccorder même s'ils le voulaient C’est lui qui a la plus belle phrase de l'opéra et il la rend de manière émouvante avec l'affection pathétique dont il l'entoure.
Le rôle en travesti de Calbo, du moins au premier acte, ne bénéficie pas de l'attention habituelle que le compositeur avait utilisée dans des situations similaires et qu'il reproduirait dans l'Arsace de Semiramide. La présence de Varduhi Abrahamyan, Rossinienne confirmé, est scéniquement efficace sous les traits d'un soldat d’aujourd’hui. Avec sa musicalité, elle donne le poids qu'il faut à la cavatine classique du deuxième acte, longuement applaudie, et au trio qui précède le final.
Dans les rôles secondaires, Li Danyang et Andrea Calce s'acquittent de leur tâche avec précision et conviction, tout comme le chœur, élément essentiel de Maometto II, de la première à la dernière scène, bien préparé par Vincenzo Caruso.
[1] Dizionario biografico/dei più celebri poeti ed artisti melodrammatici, tragici e comici, maestri, concertisti, coreografi, mimi, ballerini, scenografi,/giornalisti, impresarii, Etc., qui ont fleuri en Italie de 1800 à 1860 compilé par cav. Dottor Francesco Regli, membre de diverses , Torino, 1860, pp. 218, 134, 364 pour chacune des trois citations
[2] Voir notre article https://wanderersite.com/opera/festival-valle-ditria-2023-le-turc-en-italie-debarque-dans-les-pouilles-et-non-plus-a-naples/
[3] Respectivement Naples, 27.3, Venise, 24.4, Naples, 24.9, Milan, 26.12.
[4] “Le soin affectueux avec lequel il veille à la réussite d'une production de l'auteur de la Vestale' est digne de l'auteur d'Elisabetta”. De la Gazzetta di Milano, 1820, n.36, p.189
[5] Giornale del Regno delle Due Sicilie, n. 103, 6 décembre 1820
[6] Pour la chronologie, voir “Il Teatro di San Carlo” vol.2, Napoli, 1987 par Carlo Marinelli Roscioni