C'est sans doute la reprise de trop (la quatrième !) pour ce Fliegende Holländer mis en scène en juin 2000 par Willy Decker sous la direction de James Conlon. Le vaste décor unique dégage un espace intérieur en forte pente, avec un corridor où se devine une immense marine figurant des flots agités par la tempête, avec parfois en incrustation vidéo le trois-mâts fantomatique du Hollandais. À cour, cette immense porte posée de guingois dont la hauteur problématique se remarque et interroge d'emblée, compte-tenu de l'incohérence qu'elle oppose avec l'ouverture sur le corridor. Deux heures durant, elle s'ouvre et se ferme sur un horizon simulant une mer très maladroitement agitée par un improbable ventilateur qui tire un mélange irrépressible de soupirs et de sourires.
Le projet joue sur une dimension au mieux onirique, au pire psychanalytique de la légende de l'éternel paria des flots venant hanter l'imaginaire de la jeune Senta. On ne trouvera bien sûr chez Decker aucune figuration de bateaux ou de récifs, fidèle en cela à une esthétique scénique qui puise dans l'efficacité d'abstractions qui ont fait jadis les succès d'Eugène Onéguine (1995), Lulu (1998), en passant par la Clémence de Titus (1997) et la Ville morte – dernière production en date, montée en 2009. Ce travail honnête recourt à des procédés visuels relativement traditionnels qui ne contrarient en rien le jeu et le chant des interprètes, tout en offrant au public une large gamme de scènes d'une lisibilité limpide sans tomber pour autant dans le réalisme besogneux.
De simples suggestions suffisent à évoquer l'univers romantique dans lequel Wagner inscrivit l'anecdote de son quasi naufrage durant la traversée entre Riga et l'Angleterre. On observe une différenciation des costumes avec le traditionnel vareuse-casquette pour les messieurs et la robe austère pour les dames. Tout ici est fonctionnel et très lisible… jusqu'aux très longs câbles que les équipages de marin tirent à grand peine, laissant imaginer en hors-champ l'immensité du navire qui accoste. Les fileuses se font brodeuses, entourant une vaste table recouverte d'un drap blanc tandis que l'apparition des spectres se contente d'une projection sur fond rouge-vif d'ombres fuligineuses. Le portrait du Hollandais tombe régulièrement au sol comme pour montrer à quel point la fatalité est pesante et le sort accablant…
Acoustiquement, le décor pose le problème récurrent de la perception des voix situées fréquemment en arrière-scène, invisibles pour le regard et régulièrement trop amorties pour l'oreille. Problématique également ce jeu d'acteur ultra conventionnel qui alterne des séries de bras écartés et têtes renversées. Les interprètes chantent quasi toujours frontalement, avec très peu de mobilité et d'expression scénique. Sans surprise, la Senta de Ricarda Merberth s'accommode très bien de ce contexte peu contraignant, dardant les souvenirs de ses aigus métalliques vers les cintres, avec une ligne toujours un peu trop droite et des nuances aux abonnés absents dans la Ballade. La dernière scène la trouvera à son meilleur, avec un engagement qui fait oublier des couleurs bien absentes dans la façon somme toute assez banale dont elle incarne la rédemption du personnage – plombée également par l'allusion assez pesante de la scénographie à une potentielle transmission de la fatalité à une autre jeune fille…
Tomasz Konieczny passe en force et campe un Hollandais monolithique, aux confins de l'agressivité mais sans une once de nuance dans l'expression quand il s'agit de camper un caractère où se croisent les doutes, la violence et l'amour passion. A‑t‑on entendu "Der Frist ist um"chanté si neutre et si détaché ? Gunther Groissböck n'impose pas davantage en Daland le somptueux granit qui fait ailleurs la gloire de ses Gurnemanz, Pogner ou Wotan. La vaillance est en berne et la surface vocale étrangement réduite, quasiment sans projection dans son "Mögst du mein Kind" où l'on peine à retrouver l'alliage italianisant et weberien.
Rien de réjouissant également du côté de Michael Weinius, franchement à la traine en Erik, et incapable de s'élever au-delà du simplement convenable avec une ligne régulièrement fracturée et inégale. Agnes Zwierko (Mary) ne fait guère impression dans ses rares apparitions, tandis que le Pilote de Thomas Atkins écrase aux entournures un rôle qu'il chante comme un rôle de jeune premier belcantiste.
On aurait pu espérer de la fosse qu'elle rattrape le niveau très limité du plateau mais il faut bien reconnaître que la direction d'Hannu Lintu manque ici singulièrement d'élan et de souffle. La matière instrumentale est terne et impavide, réglée sur un mode métronomique qui refuse au théâtre son mouvement naturel et la possibilité de lâcher prise pour mieux épouser les lignes vocales. Les cordes grisonnent et dans l'ouverture, les cuivres manquent d'impact dans les tenues et les échanges avec la petite harmonie. Mauvaise note également pour le chœur, régulièrement décalé et sans repères dès lors qu'il s'agit de ne pas chanter immobile et frontalement. Une soirée en basses eaux.
Je vous trouve très sévère avec le plateau vocal qui est à la hauteur des exigences de l’œuvre.Peu de nuances,il est vrai,mais rien de médiocre.Konieczny est très bien,et Groissbock tient bien sa place,qui n’est pas la première.Merbeth a eu du mal à démarrer mais elle a eu des moments très émouvants.Les deux ténors,assez différenciés (ce qui n’est pas toujours le cas) n’appellent aucun reproche sérieux.
En revanche je suis beaucoup plus réservé sur les chœurs,féminins et masculins,en fréquent décalage et sur la direction,vraiment très carrée.
Quant à la mise en scène,je ne dirai qu’une chose : je l’ai trop vue et je ne la supporte plus.La mise en scène extraordinaire de Tcherniakov à Bayreuth était trop présente dans mon souvenir.