Streaming OperaRomaTv https://www.youtube.com/watch?v=QiSSjw21QlI
Les festivals d’été et leurs vastes scènes en plein air ne sont, a priori, pas faits pour accueillir des huis-clos ou des œuvres intimistes ; et pourtant Orange, Verona ou Caracalla n’ont jamais refusé d’inscrire à leur répertoire un titre aussi culte que Madama Butterfly. Habitué à relever les défis scéniques, Alex Ollé, membre du fameux collectif catalan La Fura dels Baus, n’a pas hésité à investir les Terme di Caracalla en 2015 pour y présenter sa version du chef‑d’œuvre puccinien. Visuellement le spectacle impressionne avec son Japon contemporain et déshumanisé, traduit par un premier décor abstrait (Alfons Flores), celui d’un terrain vague coincé entre un faubourg et une petite colline boisée sur lequel sont tracés au sol les plans d’une future habitation (celle que Pinkerton prévoit de léguer à son épouse Butterfly), puis par une bicoque en béton et taules ondulées entourée d’immeubles menaçants. Si la première partie est placée sous le signe de l’espoir, avec les préparatifs du mariage entre l’américain Pinkerton et la japonaise Butterfly et la perspectives d’une avenir radieux, la seconde est marquée par la tristesse et le dénuement dans lequel se débattent, comme retirés du monde, Cio Cio San, son fils et sa servante Suzuki depuis le départ précipité de l’indigne mari pour son Amérique natale.
Extrêmement vivante, la mise en scène d’Alex Ollé avec ces mouvements de foule ondoyants et ses multiples détails, s’adapte avec habilité à l’espace et ménage de beaux effets comme l’arrivée quasiment magique de Butterfly sortie des bois avec ses compagnes, telle une nuée d’insectes, la promise quittant progressivement son vêtement-chrysalide une fois parvenue devant son futur mari, à la manière d’un papillon, Cio Cio San dévoilant pendant le duo d’amour son corps entièrement tatoué, ou plus tard retirant son kimono miteux pour prouver à Suzuki qu’elle est devenue une vraie américaine vêtue d’un tee-shirt à l’effigie du drapeau des Etats-Unis, d’un short en jean et de baskets. Peu de place aux illusions dans ce récit sans concession, mais une recherche de réalisme, la petite japonaise mariée, puis abandonnée devant lutter pour survivre et attendre patiemment le retour de l’homme qui lui avait pourtant promis amour et protection.
D’une crédibilité vocale et scénique totales, la soprano lituanienne Asmik Grigorian adhère manifestement à la proposition, jouant avec naturel et conviction ce personnage de gamine bafouée et brisée, dont le reniement à sa propre culture ne lui sera d’aucun secours, et qui, malgré son désir de devenir américaine se supprimera dans la plus pure tradition de son pays, par hara-kiri (acte rituel que le metteur en scène ne montrera pas, puisqu’il aura lieu à l’abri des regards, Pinkerton découvrant le corps inanimé qu’il déposera sous le patio, magnifiquement éclairé comme l’ensemble de la maison, en rouge sang, par Marco Filibek). Gracieuse, juvénile et diablement expressive, son héroïne phrase superbement, alterne douceur et puissance tout en sachant nuancer son chant et le parer de cette touche de mélancolie sans laquelle le rôle ne saurait être complet. Digne malgré leur misère et fidèle, la Suzuki de la mezzo Anna Malavasi touche par la clairvoyance et la dévotion qui la lient à sa maitresse – et quelle belle idée que de les voir étaler en guise de fleurs qu’elles n’ont pas, de simples chutes de tissus colorés sur les meubles, pour égailler la masure au retour de Pinkerton ! Guindé dans son costume, mais ému par la situation critique dans laquelle se débat la jeune femme, le Sharpless d’Alessio Arduini compense par une présence étudiée un instrument à l’émission parfois hésitante, partageant le plateau avec Saverio Fiore, efficace Goro, Andrea Porta, élégant Yamadori, Fabrizio Beggi Zio Bonzo glaçant yakusa et les puissants chœurs de l’Opéra de Rome. Angelo Villario n’a sans doute pas la voix du siècle, mais son Pinkerton au vibrato serré a du style et de la tenue et sait surtout éviter de tomber dans la caricature même lorsqu’il glisse ses billets de banque à son entourage, trinque honteusement aux Etats-Unis et à sa nouvelle femme américaine, ou revient après plusieurs années d’absence reprendre son fils.
Dans la fosse, Yves Abel parvient malgré l’immensité des lieux et l’acoustique très aléatoire, à recréer l’univers sonore si subtil, imaginé par Puccini et à épouser chaque linéament de ce drame, par ailleurs joliment capté par le réalisateur Jerry Saltalamacchia, où l’émotion tient une place essentielle.
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Quel beau spectacle ! En fait une belle homogénéité et deux sommets. La mise en scène d’Alex Ollé n’est pas la réalisation du siècle mais elle est bien faite, elle utilise très bien l’espace, immense. Elle est délicate avec des détails bien vus comme l’inclinaison japonaise de l’américaine Cio Cio San et sa métamorphose. Orchestre magnifique. J’aime beaucoup le personnage Sharpless, ici très empathique. Pinkerton tient bien sa place. Un peu ingrat de voix, mais cela se tient.
Mais le sommet c’est Asmik Grigorian. Elle a tout pour elle. La voix est superbe mais la présence.… et qu’elle qualité d’expression. Elle est extrêmement touchante et expressive. Difficile d’arriver à la fin du troisième acte à cause du manque de cleenex ! Sublime. J’avais aimé son interprétation de Salome (pas Castellucci, désolé cher Wanderer c’est Munich qui m’enthousiasme pour Salome) et il faut que j’explore sa Marie.
L’autre sommet c’est la musique. Comment peut on faire chanter une si belle musique a un personnage aussi méprisable que Pinkerton ? Wagnérien depuis l’adolescence aimant plus que tout Berg, Mahler, mais aussi Strauss et tant d’autres, y compris plus moderne, j’aime beaucoup Puccini pas seulement pour la mélodie mais surtout pour l’orchestre. Ici quelle magnifique intégration de sons orientaux dans une musique occidentale sans mièvrerie. Quel orchestre superbe de Fanciulla, de Manon Lescaut, voire de Bohème.
Magnifique représentation. Merci Asmik.