Immortal Beloved. Beethoven Arias.
Chen Reiss, soprano.
Academy of Ancient Music,
Direction musicale Richard Egarr

« Fliesse, Wonnezähre, fliesse ! » (Cantate pour l’avènement de l’empereur Leopold II WoO 88)
« No, non turbarti » (Scena ed aria WoO 92a)
« Primo amore » (Scena ed aria WoO 92)
« Soll ein Schuh nicht drücken » (WoO 91/2)
« O wär’ ich schon mit dir vereint » (Fidelio Op. 72)
« Die Trommel gerühret », « Freudvoll und leidvoll » (Egmont op. 84)
« Es blüht eine Blume im Garten mein » (Leonore Prohaska WoO 96)
« Ah ! perfido » Op. 65

1 CD Onyx 4218 – 58’52

 

 

Enregistré à Londres, St Augustine’s, Kilburn, du 21 au 24 juillet 2019

L’année 2020 aurait dû être marquée par diverses manifestations rendant hommage à Ludwig van Beethoven, né il y a 250 ans. Si celles-ci ont été annulées, du moins les disques prévus peuvent-ils sortir, et le label Onyx propose une exploration d’aspects peu connus du catalogue pour voix et orchestre du compositeur. Soutenue par l’Academy of Ancient Music dans un répertoire où l’on a encore l’habitude d’entendre des orchestres d’instruments modernes, la soprano israélienne Chen Reiss réussit un parcours qui, à défaut d’être sans reproche, est sans peur, notamment dans une vibrante interprétation de l’air de concert Ah ! perfido.

Si le coronavirus n’en avait pas décidé autrement, l’année 2020 aurait dû être l’occasion de célébrer le deux-cent-cinquantième anniversaire de la naissance de Ludwig van Beethoven. Évidemment, pour les amateurs d’opéra, le bilan n’aurait pas forcément été d’une originalité folle : déjà les premiers mois de l’année, avant le confinement, avaient apporté leur lot de représentations de Fidelio, la lyricosphère étant notamment suspendue aux halètements de Jonas Kaufmann, annoncé malade durant les répétitions de la nouvelle production londonienne prévue du 1er au 17 mars ((Il a assuré pour finir l'essentiel des représentations qui se sont arrêtées le 9 mars)). Restait la possibilité de monter Leonore, la première mouture de l’unique opéra de Beethoven, dont est sorti récemment un enregistrement dirigé par René Jacobs. Et pour un hommage un peu plus recherché, certains avaient annoncé un retour à la source directe : Leonore ou l’amour conjugal (1798) de Pierre Gaveaux, que Christophe Rousset devait diriger cette œuvre en concert à Bonn en septembre dans le cadre de la Beethovenfest. En novembre, le festival Donizetti de Bergame prévoyait de donner L’amor coniugale (1805) de Johann Simon Mayr, également inspiré du livret de Jean-Nicolas Bouilly pour Gaveaux.

La plupart de ces événements ayant dû être annulés, on se réjouit que le disque fasse son office de découvreur de partitions moins souvent jouées. Sans sortir du catalogue strictement beethovénien, le label britannique Onyx, fondé en 2005, a réussi à assembler un programme composé de pages célèbres (l’air de Marzelline dans Fidelio, l’air de concert Ah ! perfido), de pages un peu moins courantes (les deux extraits d’Egmont) et de vraies raretés (tout le début du disque). Il ne faut pas s’attendre à de fracassantes révélations : les compositions du jeune Ludwig ne sont pas des chefs‑d’œuvre scandaleusement négligés, mais elles présentent un incontestable intérêt historique, ne serait-ce qu’en permettant de mesurer le chemin parcouru depuis ses premiers essais jusqu’aux partitions de la maturité. C’est déjà la réflexion à laquelle on pouvait procéder en écoutant Leonore, opéra bien plus conventionnel que Fidelio, plus conforme aux normes et aux attentes de l’époque. Le parcours proposé par le disque Onyx remonte plus loin, car c’est de 1790 que date la cantate commandée par la Lesegesellschaft de Bonn pour fêter l’avènement de Leopold II (une première commande avait eu pour but de pleurer la mort de son prédécesseur Joseph II). Parmi les compositions du protégé du comte Waldstein, beaucoup ont été perdues, et cette cantate a survécu bien qu’elle n’ait jamais été interprétée du vivant de Beethoven. L’influence de Mozart y est tout à fait sensible. De la même époque date l’air de concert Primo amore, où une personnalité plus forte commence déjà à se manifester. A Vienne en 1795, il écrit deux airs additionnels pour un Singspiel d’Ignaz Umlauf, Die schöne Schusterin oder Die pücefarbenen Schuhe. L’année suivante, il compose le premier vrai chef‑d’œuvre de sa production vocale, le grand air de concert Ah ! perfido pour Josefa Dušek, amie de Mozart qui avait écrit pour elle Ah ! lo previdi (1777) et Bella mia fiamma, addio (1787). De 1799 à 1802, Beethoven est l’élève d’Antonio Salieri, sous la supervision duquel il met en musique le poème de Métastase « No, non turbarti ». En 1803, il reçoit de Schikaneder la commande d’un opéra ; au texte fourni par le librettiste de La Flûte enchantée, il préfère vite une traduction allemande de la Leonore de Gaveaux, mais la Leonore de Beethoven créée en 1805 ne deviendra Fidelio qu’en 1814. Entre-temps, il compose une musique de scène pour des représentations données en juin 1810 du drame historique Egmont, de Goethe. Enfin, en 1815, pendant le Congrès de Vienne, il écrit quatre morceaux destinés à accompagner la tragédie Leonore Prohaska de Duncker, secrétaire du roi de Prusse.

Ce programme varié, Onyx l’a logiquement confié à une formation britannique, mais on pourra trouver que The Academy of Ancient Music sonne d’abord bien « ancienne » pour cette musique post-mozartienne. Cette impression, particulièrement sensible dans la cantate initiale, se dissipe néanmoins par la suite. Claveciniste et pianofortiste, le chef Richard Egarr a succédé en 2006 à Christopher Hogwood à la tête de l’ensemble : on lui sait gré de respecter le tempérament tempétueux qui se manifeste dans bon nombre des pièces ici rassemblées.

La soprano israélienne Chen Reiss est depuis pas mal d’années en troupe à l’Opéra de Vienne, où elle tient les rôles « juvéniles » : Suzanne des Nozze di Figaro, Marzelline de Fidelio, Gretel dans Hänsel und Gretel, Sophie du Rosenkavalier, Zdenka d’Arabella. On a pu l’entendre à plusieurs reprises à Paris, où elle a notamment eu le « privilège » de participer au concert du 14 juillet 2019. Voilà incontestablement quelqu’un qui sait ce que chanter veut dire, et dont la voix admirablement canalisée obéit aux intentions. Malgré tout, dans l’air sur lequel s’ouvre le disque, l’intervention de l’ange venu inviter Germania  à verser des larmes de joie,  on retrouve une caractéristique déjà observée chez cette artiste, surtout dans l’aigu : une certaine froideur désincarnée qui fut un temps de mise pour chanter Mozart (tendance illustrée, entre autres, par l’Américaine Sylvia McNair). Même si Chen Reiss ne renonce pas à ce type d’émission pour le reste du programme, on est soulagé d’entendre, dans les autres plages, qu’elle est aussi capable de laisser les émotions percer de manière bien plus sensible. Dès lors qu’elle renonce à l’angélisme de commande, la soprano parvient à s’exprimer avec une franchise appréciable, indispensable pour tout ce qui relève du singspiel. Malgré une jolie partie de harpe, l’air extrait de Leonore Prohaska n’appartient pas à ce que Beethoven a composé de plus immortel, et l’on s’intéressera de plus près aux airs italiens, bien plus dramatiques. C’est tout le mérite de l’interprète que d’arriver à proposer un Ah ! perfido qui, sans pouvoir rivaliser avec les versions gravées par les plus grandes (Schwarzkopf, Callas, Nilsson, Janowitz et d’autres), retient néanmoins l’attention par son engagement et par la qualité de la ligne.

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.

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