La comparaison entre les deux spectacles est d’autant plus évidente qu’à Salzbourg, c’était le cinéma muet, et à Macerata, c’est la TV d’aujourd’hui. Quel meilleur paradigme d'aujourd'hui qu'un studio de production télévisuelle, un lieu qui, dans l'imaginaire collectif, montre vraiment qui nous sommes et où, dans ce cas, différents formats de scénarios sont produits pour des séries : F*cktotum (avec Figaro, qui fait se rencontrer et tomber amoureux des couples dans son salon de coiffure), Calumny (avec Basilio, qui en revanche provoque la séparation de couples d’amoureux – on pense au film français "L’Arnacœur" en 2010) et La Précaution inutile (un feuilleton avec la diva Rosina en costume du XVIIIe siècle, mais pas philologique, plutôt résolument pop et choquant), trois formats liés par l'arrivée dans les studios de télévision d'un jeune politicien qui veut courtiser l'actrice Rosina avec la complicité de Figaro et malgré la résistance de l'agent – beau-père Bartolo.
Le spectacle est très drôle, les ajouts scéniques sont ouvertement comiques (d'innombrables gimmicks et inventions) et les histoires des protagonistes sont vraiment hilarantes, tout en respectant toujours le caractère des individus et leurs interactions sur scène, voire en approfondissant les personnages et en révélant de nouvelles dynamiques possibles entre les personnages, grâce à la mise en scène intelligente de Daniele Menghini, aux décors vraiment intelligents de Davide Signorini, aux costumes très appropriés de Nika Campisi, et enfin aux éclairages étonnants de Simone de Angelis et aux vidéos de Stefano Teodori. L'Espagne ne manque pas dans le livret, et les références à Séville et aux lieux mentionnés sont exploitées avec esprit, comme l'agitation de la blouse du barbier comme une muleta, plus un écho amusant indirect qu'une véritable référence.
Alessandro Bonato est jeune et dirige avec assurance l'Orchestra Filarmonica Marchigiana, même s'il ne réussit pas parfaitement à rendre le caractère persifleur de la partition, en commençant par une ouverture lente et douce qui manque un peu de détails, de couleurs et de piquant ainsi que le crescendo toujours attendu mais, sans jeu de mot, pas très tendu et en continuant sur cette lancée jusqu'à la fin, accompagnant les chanteurs, mais sans donner de vrai caractère à la partition. Il est vrai que les espaces ouverts n'aident sûrement pas Rossini, malgré l'acoustique parfaite du Sferisterio.
On a apprécié la fraîcheur juvénile de Ruzil Gatin et sa réelle adhésion au personnage du Conte Almaviva imaginé par le metteur en scène. Mais malgré la justesse des notes, il n'a pas rendu pleinement justice au rôle sur le plan émotionnel et sentimental, de sorte que le chant élégiaque et agile manque de brillant, ce qui devrait aller cependant en s’améliorant avec l’expérience. Un éloge en revanche à Roberto de Candia (à notre avis le meilleur sur scène) pour sa maîtrise des accents et de la diction, ainsi que pour sa capacité à jouer avec les mots et les variations comme un authentique chanteur-acteur ; en outre, avoir fait de Bartolo un personnage jeune et agile, et d'une certaine façon, rusé, si loin du cliché du vieux barbon, est cohérent avec le développement dramaturgique et donne au personnage une valence et une fraîcheur nouvelles.
Serena Malfi est une Rosina idéale en termes de timbre et de physique ; elle possède une voix sombre et un medium somptueux propres à pimenter le personnage de sensualité (ici, d'ailleurs, particulièrement dans la représentation des caprices d'une starlette de la télévision), même si les agilités ne sont pas toujours ciselées et manquent de brio, de sorte que les colorature ont peu de mordant : diva qui souffre des harcèlements de Bartolo, fascinée par Almaviva mais très consciente des mécanismes fallacieux de la télévision par rapport à la vie réelle, Rosina finit par tromper tout le monde et, en femme rusée, finalement libérée de la réalité fausse et limitative de la télévision, s'enfuit du Sferisterio dans le final ("Show who you are" peut-on lire dans sa loge faite de parois de verre et placée en haut de la scène, comme une boîte).
Alessandro Luongo est un Figaro dont on apprécie la douceur du timbre et la netteté du chant, dépourvu de toute jactance : son émission est veloutée et contrôlée, ses aigus faciles et timbrés, et son phrasé excellent (l'air " All'idea di quel metallo " est particulièrement réussi). Andrea Concetti, qui célèbre les trente ans de présence au Sferisterio (il a commencé avec Rossini sur la scène de Macerata), avec une présence scénique charismatique, est un Basilio d'une prise considérable surle public. La distribution était complétée par Fiammetta Tofoni (Berta), William Corrò (Fiorello) et Mauro Milone (Ambrogio), avec le Chœur de l'Opéra des Marches préparé de façon excellente par Martino Faggiani.
Des applaudissements nourris et un triomphe pour tous dans le final : le Barbier de Séville était particulièrement attendu à Macerata, et c'est une belle renaissance après trois décennies d'absence.