Antonio Sartorio (vers 1630–1680)
Orfeo (1672)
Opéra en trois actes
Livret d’Aurelio Aureli, d'après Ovide et Virgile
Création à Venise, au Teatro San Salvatore, le 14 décembre 1762

Mise en scène : Benjamin Lazar
Direction musicale : Philippe Jaroussky
Décors : Adeline Caron
Costumes : Alain Blanchot
Lumières : Philippe Gladieux

Orfeo : Arianna Venditelli
Euridice : Alicia Amo
Aristeo : Kangmin Justin Kim
Erinda : Zachary Wilder
Autonoe : Maya Kherani
Ercole : David Webb
Chirone : Yannis François
Achille : Paul Figuier
Esculapio : Renato Dolcini
Orillo : Gaia Petrone

Ensemble Artaserse

Création française

 

Montpellier, Opéra-Comédie, mercredi 7 juin 2023, 19 h

Nos premières impressions

L'Opéra de Montpellier donne en création française l'Orfeo d'Antonio Sartorio, chef‑d'oeuvre du Seicento vénitien que transcende la direction de Philippe Jaroussky à la tête son ensemble Artaserse. Le plateau réunit la fine et juvénile fleur du chant baroque avec Arianna Venditelli en Orfeo et Alicia Amo en Euridice. La mise en scène de Benjamin Lazar limite le spectacle à une sage lecture sans les effets ni le comique du livret d'Aurelio Aureli. 

Alicia Amo (Euridice), Zachary Wilder (Erinda)

Il est loin désormais le souvenir du Il Sant’Alessio de Landi, première collaboration du metteur en scène Benjamin Lazar avec Philippe Jarrousky, contre-ténor et désormais chef d'orchestre… À l'atmosphère feutrée des bougies et des délicats décors inspirés de l'iconographie des fresques de Giotto succèdent trois tristes gradins entourant un podium central – dispositif malléable dont l'avantage premier consiste à pouvoir s'adapter facilement dans les différents lieux depuis la Fondation Royaumont jusqu'au plateau du Théâtre Sénart en passant par Suresnes, Arras, Juvisy et le théâtre de l'Athénée à Paris, jusqu’en mars 2024. Produit par l'Opéra de Montpellier et la compagnie lyrique Arcal, cet Orfeo d'Antonio Sartorio est une première française qui voit le jour pour la première fois depuis sa création à Venise en 1672.

Sartorio est un des compositeurs les plus prolixes de la Venise du seicento, auteur notamment d'une Alcina (1674–1675), Giulio Cesare in Egitto (1676) et d'un Ercole sul Termodonte (1678). Mais la moitié seulement de ses quinze opéras nous sont parvenus. Cette musique explore la veine digressive qui aime à s'attarder et faire bavarder les protagonistes, quitte à multiplier les rôles et augmenter l'action en atteignant une généreuse durée de trois heures, là où Monteverdi et Gluck se limitent à l'essentiel du récit qui puise sa source dans les Géorgiques de Virgile et les Métamorphoses d'Ovide. Aurelio Aureli, le librettiste de Sartorio, imagine un jeu de rivalités entre Orfeo et son frère Aristeo, lui aussi amoureux d'Eurydice. La jeune Autonoé gagne progressivement le statut de personnage principal. Fiancée à Aristeo, elle subit la morsure de la jalousie et finira par récupérer le cœur de son amant au terme d'infinies et tortueuses péripéties dont l'opéra vénitien a le secret. Le second frère d'Orfeo est Esculape, tuteur d'Hercule et Achille qui dispute son autorité à celle du centaure Chiron. Quant au personnage de la nourrice Erinda, il offre au spectateur le profil classique d'un rôle pimenté, n'hésitant pas à parler librement de désir charnel et vouant au jeune berger Orillo une passion d'autant plus délirante et comique qu'elle contraste avec son âge avancé et son allure de travesti décati. L'intérêt dramaturgique cède à l'aspect très spectaculaire de déployer sous les yeux du spectateur vénitien une étonnante et burlesque galerie de figures mythologiques que le livret fait se croiser et interagir avec un plaisir parfois comique et virevoltant.

Alicia Amo (Euridice), Kangmin Justin Kim (Aristeo)

La mise en scène de Benjamin Lazar ne puise pas vraiment dans le bouffon, préférant les limites d'un théâtre de tréteau au bon goût vaguement antiquisant mais avec une direction d'acteurs qui ne permet pas de renouveler l'intérêt. La partition de Sartorio est construite sur une alternance de contrastes qui font parfois surgir un air sublime mais pour l'essentiel, qui enterre l'intérêt sous une strate lénifiante de banalités. Les irruptions du centaure parviennent au début à tromper l'ennui (étonnant Yannis François en béquilles et treillis militaire avec insignes et décorations d'un régiment… de cavalerie). De la même manière, Zachary Wilder campe une nourrice dont le comique invariable des récitatifs et l'omniprésence d'un Monsieur Loyal mythologique finit par lasser. La rotation du podium central est aussi peu lisible que les divers éléments végétaux qui l'encombrent tandis que les stériles panneaux coulissants entourant la scène alternent entre parois de miroirs et rouge-vif…

 

La seconde partie est sans doute plus homogène et plus riche en intérêt, à commencer par le nombre croissant des péripéties qui s'y déroulent et la beauté des airs que Sartorio y déploie, à commencer par la très belle scène de la mort d'Eurydice, avec une déploration signée Alicia Amo – modèle de nuances et d'affects qui module l'expression admirablement sur un tapis de subtiles dissonances aux cordes. Arianna Vendittelli signe un Orfeo de grande tenue, avec un registre aigu très malléable et bien projeté. Le personnage botte étonnamment en touche quand il s'agit de regretter le regard qu'il donne à Eurydice en se retournant malgré les consignes : Mai più stelle spietate io m'innamorerò (Plus jamais, astres sans pitié, je ne tomberai amoureux). Kangmin Justin Kim est un excellent Aristeo, qui compose avec Maya Kherani en Autonoe un duo remarquable de justesse et de couleurs. Tour à tour Pluton et Esculape, Renato Dolcini fait entendre une ligne vocale à la fois douce et contrastée, quand Zachary Wilder dame le pion en jouant le rôle d'Erinda sur le mode comique et effronté, avec de grands éclats dans les changements de registres. Gaia Petrone est épatante en Orillo, berger-punk qui n'hésite pas à dynamiter l'action de façon effrontée quand Yannis François brille en centaure et en Bacchus), sans oublier un duo David Webb (Ercole) et Paul Figuier (Achille) qui tourne légèrement à l'avantage du second pour la fermeté et le contour du phrasé.

Après la réussite de son Giulio Cesare, Philippe Jarrousky entraîne son Ensemble Artaserse dans cette aventure de cet Orfeo aux allures de fleuve musical. Plus concentrée et structurée que la musique de Cavalli, la partition de Sartorio brille par une qualité des timbres qui l'emporte sur la stricte exactitude rythmique mais la narration est là et les nuances permettent de saisir la multiplication des péripéties. Il y aurait certainement à couper pour concentrer l'intérêt, surtout dans la première partie, mais l'expressivité compense le sentiment d'avoir à subir des ajouts pas toujours élégants.

Arianna Venditelli (Orfeo), Alicia Amo (Euridice)

 

 

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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.

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