Vidéo :
https://www.arte.tv/fr/videos/096923–000‑A/fidelio-de-beethoven-par-christoph-waltz/
L’année des 250 ans de la naissance de Beethoven aura malheureusement été écourtée par l’épidémie de Covid, et le Fidelio programmé par le Theater an der Wien – où l’opéra fut créé en 1805 – en a fait les frais : toutes les représentations ont été annulées, et c’est dans des circonstances exceptionnelles que cette captation a pu être réalisée, à huis-clos, sans public, en mars 2020.
Cette production s’annonçait en effet comme un événement puisque c’est le doublement oscarisé Christoph Waltz, acteur fétiche de Quentin Tarantino, qui en signait la mise en scène, après un Chevalier à la rose et un Falstaff à Anvers en 2013 et 2017. Evénement également car c’est la deuxième version de l’œuvre, retravaillée par Beethoven en 1806, qui a été choisie pour cette production.
Après l’échec de la création de Fidelio en 1805 – devant un parterre de soldats français, Vienne étant assiégée par les troupes napoléoniennes –, le compositeur accepte de revoir sa partition, représentée avec plus de succès l’année suivante. Mais cette fois, c’est une dispute entre Beethoven et le directeur du théâtre qui met fin aux représentations. Il faudra attendre 1814 pour que la version définitive voie le jour, et s’impose finalement durablement sur les scènes. Entendre la version intermédiaire est ainsi l’occasion de voir l’évolution de l’œuvre, et de suivre la trajectoire musicale et dramatique empruntée par le compositeur. En 1806, pas de début in medias res en pleine dispute entre Marzelline et Jaquino, des changements dans les récitatifs (l’« Abenscheulicher » de Leonore tout comme le duo « O namenlose Freude »), un premier acte qui s’achève par un air de Pizarro avec chœur, un « Gott, welch Dunkel hier » tout à fait différent, privé de son envolée lyrique finale, et surtout des transitions moins abruptes d’une scène à l’autre. Si la partition est moins marquée par les grands effets dramatiques et les contrastes saisissants qui caractérisent la version de 1814, elle n’en est pas moins convaincante et constitue un point de comparaison intéressant, et on se réjouit d’avoir l’occasion de l’entendre.
Christoph Waltz propose pour ce Fidelio un décor monumental conçu par Barkow Leibinger : d’immenses escaliers blancs, du sol aux cintres, se croisant, mêlant la rigueur géométrique et les spirales, et très intelligemment éclairés par des jeux d’ombres jusqu’à la scène finale où la lumière triomphe. Sans représenter à proprement parler une prison, cette scénographie parvient à constituer un espace clos sur lui-même, oppressant, strict, froid, hommage sans doute aux « Prisons imaginaires » de Piranesi. Rigueur géométrique, mais vertige également, à l’image de Florestan jeté du haut des marches juste avant le début de l’ouverture, les escaliers prenant par moments un aspect plus inquiétant et fantastique digne d’un Hitchcock dans Vertigo. De même que les décors, les costumes sont sans époque et ternes, uniformes ; il n’y a pas d’Histoire, pas de politique : c’est un récit qui se veut ici universel, sur l’amour et sur l’injustice.
Visuellement, le spectacle est extrêmement beau dans son dépouillement. Mais le risque d’une telle production est que les personnages manquent de relief, d’autant plus lorsque Christoph Waltz propose une direction d’acteurs absolument minimaliste. C’est surprenant de la part d’un homme de théâtre et de cinéma. Est-ce pour autant problématique ? Cela le serait si les chanteurs ne faisaient pas preuve d’autant de naturel dans leur manière d’occuper la scène, et de conviction dans leur manière de chanter et de dire le texte. Avec d’autres interprètes, le spectacle serait sans doute moins convaincant et bien statique, comme le duo « O namenlose Freude » qui signe les retrouvailles tant espérées de Leonore et Florestan, mais laisse les personnages à bonne distance l’un de l’autre – et ce n’est pas distanciation sociale oblige. Heureusement que le metteur en scène a soigné les dialogues parlés, où les chanteurs se révèlent extrêmement investis et où les protagonistes gagnent en épaisseur dramatique. La seule véritable réserve porte sur Leonore, pas très fouillée sur le plan psychologique, et qui malgré le courage dont témoignent ses actions, semble souvent bien passive face aux événements.
L’héroïne est ici incarnée par Nicole Chevalier, qui possède les moyens du rôle même si l’on a souvent été habitués à des voix plus lourdes. La soprano n’a sans doute pas toute la vaillance vocale qu’on peut attendre de Leonore, mais cela ne jure pas avec la direction d’acteurs qui montre davantage l’accablement et la souffrance de cette femme forcée de se travestir pour sauver son mari, que sa témérité. L’aigu est clair voire cristallin, et l’on ne s’en étonne pas lorsqu’on regarde les derniers rôles interprétés par la soprano : Violetta et Vitellia, mais aussi Olympia et Cunégonde ! Un aigu presque crié dans le duo final avec Florestan est donc sans doute le fait d’une certaine fatigue plus que d’un quelconque défaut technique ; la voix atteint peut-être ses limites avec ce rôle, du moins pour le moment.
Florestan chante peu dans cette œuvre ; mais le ténor Eric Cutler trouve un emploi qui convient bien à la beauté de son timbre, et il donne au personnage une grande délicatesse, qui passe autant par son jeu que par sa remarquable manière de s’emparer du texte : le phrasé, les nuances, l’intensité, tout y est. On pourra simplement s’étonner que le metteur en scène ait si peu souligné le sentiment amoureux chez le couple Florestan/Leonore : sans doute voit-il dans Fidelio le récit d’une libération, d’un triomphe de la justice sur l’injustice, plutôt que le triomphe de l’amour conjugal.
La soprano française Mélissa Petit, qu’on a pu entendre en Gilda à Bregenz ou encore en Aricie (dans Hippolyte et Aricie) au Théâtre des Champs-Elysées et à Zurich, est une Marzelline touchante et volontaire, au timbre corsé, et qui forme un duo très réussi avec le Jaquino de Benjamin Hulett notamment dans les dialogues parlés. Christof Fischesser est un Rocco de choix vocalement, incarnant un geôlier bonhomme sans être caricatural ; quant à Gábor Bretz, il incarne un Don Pizarro uniformément féroce, mais le fait fort bien.
De l’Arnold Schönberg Chor on retiendra surtout le « O welche Lust », remarquablement nuancé et lumineux, tout comme l’intervention de Johannes Bamberger dans le rôle du premier prisonnier. Nuance et lumière, deux adjectifs qui conviennent également à la prestation des Wiener Symphoniker sous la direction de Manfred Honeck : tout est mesuré, équilibré, parfois peut-être trop retenu ; mais l’interprétation est d’une précision et d’une limpidité indéniables qu’on ne peut qu’apprécier. Ce Fidelio a donc bien des atouts, dont un dépouillement qui, loin de nuire à l’œuvre, lui convient remarquablement.
Diffusion sur Mezzo TV :
- Mercredi 24 juin à 13:00 sur Mezzo Live HD
- Samedi 27 juin à 17:00 sur Mezzo Live HD
- Dimanche 28 juin à 09:30 sur Mezzo Live HD
- Vendredi 3 juillet à 21:00 sur Mezzo Live HD
- Mercredi 8 juillet à 06:00 sur Mezzo Live HD
- Jeudi 9 juillet à 13:00 sur Mezzo Live HD
- Vendredi 10 juillet à 02:00 sur Mezzo Live HD
Vidéo :
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