Bernard Herrmann (1911–1975)
Wuthering Heights (Les Hauts de Hurlevent),
Opéra en quatre actes et un prologue sur un livret de Lucille Fletcher, d’après le roman d’Emily Brontë.

Orchestre symphonique et lyrique de Nancy

Direction : Jacques Lacombe
Mise en scène : Orpha Phelan
Décors et costumes : Madeleine Boyd
Lumières : Matt Haskins
Vidéo : Madeleine Boyd et Anouar Brissel
Chorégraphie : Lauren Poulton.

Layla Claire : Catherine Earnshaw
John Chest : Heathcliff
Thomas Lehman : Hindley Earnshaw
Rosie Aldridge : Nelly Dean
Alexander Sprague : Edgar Linton
Kitty Whately : Isabella Linton
Andrew McTaggart : Joseph
Johnny Herford : Mr Lockwood
Inna Jeskova : une Voix

Chœur de l’Opéra national de Lorraine,
Chef de chœur : Merion Powell

Nancy, Opéra National de Lorraine, 9 Mai 2019

Pour sa dernière saison à la tête de l’Opéra national de Lorraine, Laurent Spielmann a choisi de programmer Les Hauts de Hurlevent, l’unique opéra de Bernard Herrmann. Son talent inimitable crée des atmosphères et des tensions qui font paraître assez mince son écriture vocale. La bonne tenue du cast anglophone est soutenue par une direction très classique signée Jacques Lacombe.

Attention rareté.

Si, à l'évocation des Hauts de Hurlevent (Wuthering Heights), l'auditeur se souvient immédiatement du roman d'Emily Brontë ou du film de William Wyler avec Merle Oberon et Laurence Olivier… il ne pensera pas forcément à l'unique incursion de Bernard Herrmann dans le monde de l'opéra. Le nom du compositeur américain demeure en effet indissociable des films d'Alfred Hitchcock à Orson Welles, que ses musiques ont contribué à élever au rang de grands chefs d'œuvres . Il suffit en effet de quelques notes pour reconnaître instantanément les cris stridents dans la scène du meurtre sous la douche dans Psychose, ou bien le thème amoureux dans Vertigo et tant d'autres signatures musicales qui sont autant de souvenirs qui font irruption dans la mémoire du cinéphile.

En 1944, quand Herrmann découvrit le roman d'Emily Brontë au moment où il écrivait la musique de Jane Eyre, avec Joan Fontaine et Orson Welles. Malgré la très forte impression que produisit ce chef d'œuvre de la littérature sur lui, il mit pourtant plus de sept années pour parvenir à composer cet opéra qui restera un exemple unique et isolé dans son catalogue. Herrmann n'assista jamais de son vivant une représentation scénique et se contenta d'enregistrer son œuvre avec un cast sans grande ambition.

Le Festival de Montpellier – Radio France avait exhumé cet opéra, il y a une dizaine d'années sous la baguette d'Alain Altinoglu, avec Laura Aikin en Catherine Earnshaw et Boaz Daniel en Heathcliff. Cette version de concert avait eu les honneurs d'une réalisation discographique mais elle ne suffit pas à créer un engouement suffisant pour décider metteurs en scène et programmateurs. C'est dire si Laurent Spielmann, pour sa dernière saison à la tête de l’Opéra national de Lorraine, a voulu marquer les esprits en prenant le risque (gagnant) de s'octroyer la première réalisation scénique française.

Le livret de Lucille Fletcher simplifie l'ouvrage à l'extrême, en focalisant sur la première partie et en transformant au passage, la psychologie de certains personnages comme Heathcliff ou Mr Lockwood. La scénographie d’Orpha Phelan ne va guère puiser au-delà de l'illustratif, alourdie par les costumes d'époque et le décor fixe de Madeleine Boyd. Ces références convenues peinent à séduire, au-delà des d'un parquet soulevé par des ondulations censées représenter la lande et les collines du Yorkshire battues par le vent. La présence de jeunes figurants permet d'évoquer discrètement l'enfance de Catherine et Heathcliff mais l'essentiel des atmosphères et des références à une nature comme commentaire muet des péripéties amoureuses, se lit sur les vidéos projetées à l’arrière-plan, mais tout cela ne mène pas très loin.

L'écriture de Herrmann dénote un atavisme symphonique de premier plan, avec des touches de couleurs qui signent immédiatement les allusions à la nature menaçante ou la tension psychologique. L'écriture vocale peine à combler les attentes et les quelques deux heures trente se font cruellement sentir, alternant de monotones rythmes saccadés et chant syllabique. Le baryton américain John Chest domine les débats dans un rôle de Heathcliff pourtant écorné par la librettiste. La véhémence de la ligne contraste avec l'interprétation un brin forcée de Thomas Lehman en Hindley Earnshaw. Layla Claire campe une Catherine Earnshaw dont l'engagement excessif produit régulièrement des aigus tirés et une ligne assez dure, symptômes manifestes du trouble du sentiment. Kitty Whately est une Isabella de beau format, dont la projection très calibrée et très sonore, rejoint parmi les bonnes surprises de la soirée la Rosie Aldridge de Nelly Dean. Alexander Sprague offre à Edgar Linton un instrument clair et déployé tandis qu'Andrew McTaggart ne force pas son talent dans le rôle du domestique Joseph.

Jacques Lacombe plie l'Orchestre symphonique et lyrique de Nancy à une lecture plutôt drue et anguleuse, qui détache des rugosités dans les cordes et des vents souvent très exposés. Il manque ici une chair et des capitons pour que ce souffle lyrique trouve ses marques en osant des références explicitement cinématographiques qui aurait permis à l'auditeur de se plonger dans les méandres du romanesque et pour oublier la minceur d'un catalogue d'images convenues.

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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.
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