En assistant à cette nouvelle production de Tosca en octobre 2014, qui devait nous faire oublier celle de Werner Herzog maintenue dix-huit ans à l'affiche, nous n'espérions qu’une chose : ne plus la revoir. C'était bien sur sans compter sur le fait qu'une nouvelle distribution pouvait être en mesure de nous faire changer d'avis. Avec un plateau renouvelé à 90%, nous n'avons pas hésité à reprendre le chemin de la Bastille et ne l'avons pas regretté.
Jeune chef plein de fougue et d'enthousiasme, soucieux de ne pas se contenter d'un service minimum, à la différence de son prédécesseur Daniel Oren, inspiré de bout en bout par cette partition haletante, Dan Ettinger est indiscutablement notre premier motif de satisfaction. Sa direction aussi précise qu'inventive, respecte l’architecture du drame, en maintenant la tension sans laquelle ce suspense psychologique, autant que politique et policier, n'aurait pas lieu d'être. Grâce à lui et à l'orchestre qui répond avec un soin maniaque à sa lecture, la passion, l'angoisse et la menace soufflent en permanence sur cette pièce où chaque coup de théâtre est parfaitement amené.
Fidèle à la Bastille où il est quasiment chez lui depuis de longues années, Marcelo Alvarez, Cavaradossi attitré puisqu'il a déjà chanté la version Herzog et a créée celle de Pierre Audi, défend avec une belle assurance vocale un rôle qu'il a fait sien et dans lequel il montre encore de beaux restes, surtout à ce stade avancé de sa carrière. Comédien limité, peu aidé par la mise en scène banale et sans originalité, le ténor argentin gagnerait cependant à être un jour dirigé.… mais l’accepterait-il ? Bryn Terfel n'a évidemment besoin de personne pour se glisser dans les plis d'une figure aussi exaltante que celle de Scarpia, dans laquelle il n'a pas de rival. Violent, vicieux, insidieux, il polie à l'infini et avec un malin plaisir, chaque facette qui compose l'odieux Baron, d'une voix mielleuse ou tonitruante qu'il ne craint jamais de maltraiter pour qu'elle s'accorde aux élans dramatiques. Face à une telle performance et à une interprétation aussi jouissive, il fallait une Tosca suprême : Anja Harteros appartient à cette catégorie – même si elle aussi pourrait atteindre des sommets avec l'aide d'un vrai directeur d'acteur. Son engagement, son élégance, le grain particulier de sa voix et la justesse de son incarnation permettent à la cantatrice, adulée en Allemagne pour ses Verdi, ses Strauss et ses Wagner, de se hisser parmi les plus grandes titulaires, là où tant d'autres peinent à faire cohabiter exigences vocales et pulsions théâtrales. Venu en grand nombre pour la retrouver enfin à Paris dans un opéra, le public lui a réservé un accueil triomphal amplement mérité.
Autour de ce plateau quatre étoiles, gravitent de très bons éléments comme Francis Dudziak, excellent Sacristain appelé en catastrophe pour remplacer Jean-Philippe Lafont blessé, à quelques jours de la première, Alexander Tsymbalyuk sombre Angelotti, Carlo Bosi saisissant Spoletta, André Heyboer (Sciaronne) ou encore Pierpaolo Palloni (Carceriere). Qu'en sera-t-il lorsque Ludmila Monatyrska aura succédé à Anja Harteros ? La question reste entière.