Des gradins pouvant accueillir environ 250 personnes, une représentation à peu près chaque jour pendant les deux premières semaines de Festival, un décor imposant (cette année un château fort figurant le château du Graal) et derrière, invisible, l’orchestre d’environ 25 musiciens, dans un espace de répétition situé au bas du Festspielhaus, au cœur du complexe constitué par les espaces de travail, les salles de répétition et de stockage du Festival.
Voilà pour le cadre.
Le public composé d’enfants, de leurs parents ou grands-parents, de classes (les vacances en Bavière commencent début août) et d’adultes isolés attend sagement que les portes s’ouvrent 15 minutes avant le début du spectacle, comme au Festspielhaus.
C’est Parsifal qui est représenté ce matin (chaque jour à 11h) dans une version réduite à 1h15, mais contenant au moins un moment musical de chaque scène importante et des préludes des actes.
C’est Katharina Wagner qui a écrit cette version qui simplifie l’action de manière à s’approcher le plus possible de l’univers des contes de fées : Le Roi du Graal (Amfortas) est malheureux et malade parce que le méchant magicien Klingsor et son horrible âme damnée Kundry ont volé la lance qui protège le Royaume : du même coup, le Roi est malade, ne peut être soigné, mais aussi la nature est endeuillée et les fleurs se fanent. C’est le jeune chevalier Parsifal qui va héroïquement aller chercher la lance et la ramener, mais pour cela il doit être concentré et les enfants l’aideront en criant « Soll der Gral die Kraft dir schenken, lass dich nicht ablenken » ((Si le Graal doit te donner la force, ne te laisse pas distraire)). Ce qui est dit est fait, et il ramène le précieux viatique, les fleurs se redressent, le roi est guéri, et même Klingsor et Kundry sont amadoués sous le charme général. Pluie d’étoiles et de confettis dorés et triomphe auprès des enfants.
L’adaptation musicale de Marko Zdralek fait entendre des extraits assez rapides de tous les grands moments de l’opéra (y compris les Filles-Fleurs) et entre ces moments, un des chanteurs, Andreas Hörl, qui fait cela très bien (il est Gurnemanz dans la distribution) s’adresse aux enfants, leur pose des questions, ils y répondent volontiers et leurs réponses montrent qu’ils ont préparé leur venue. Ils suivent l’ensemble avec beaucoup d’attention, on n’entend pas une mouche voler, il y a là une concentration remarquable et à la fin un authentique triomphe.
Les chanteurs sont également très engagés, ils chantent vraiment, en posant leur voix, en faisant vraiment de l’opéra, sans tricher, sans savonner, sans éviter les aigus : ils respectent infiniment ce public, si bien qu’on a vraiment une représentation d’opéra.
Quant à l’orchestre, une formation régionale de belle tradition, le Brandenburgisches Staatsorchester , il accompagne depuis 2010 le projet « Wagner für Kinder » (Wagner pour enfants) et il est dirigé par le chef d’orchestre autrichien Azis Sadikovic, qui depuis qu’il a dirigé le Ring pour enfants en 2018, il est invité chaque année pour animer musicalement le projet. Il faut d’ailleurs reconnaître que sa manière de diriger a quelque chose de séduisant, tant il soigne les couleurs de l’orchestre. Le prélude avait des reflets et modulations vraiment marquées, avec un souci des couleurs qu’on n’a pas entendu aussi nettement dans la fosse du « vrai » Festspielhaus lors de la première du 25 juillet.
La mise en scène de Ruth Asralda s’appuie sur les dessins de contes de fées, château, vilain magicien, gentil roi, le tout dans des costumes de Ilona Bühler et Marion Kral, avec un Parsifal à l’allure de Robin des Bois, des méchants en costume bleu nuit un peu sorcier/sorcière, et des rois sympathiques de carte à jouer.
Un exemple : Amfortas pour être soigné, doit se glisser dans une sorte de cercueil (en réalité une baignoire, voir photo ci-dessus) qu’on remplit d’eau (des cailloux en mousse) prise dans le lac représenté au sol, et la « Heilerin (la guérisseuse) » (Irmgard Seemann) lui apporte une décoction de basilic qu’on avait confié à une petite fille dans le public (dont on va trouver la recette dans le programme).
Au niveau du chant, nous l’avons souligné, c’est avec le plus grand soin que les artistes défendent le texte, aussi bien les filles-fleurs, peu sollicitées mais présentes (Julia Grüter, Sonja Isabel Reuter, Margaret Plummer et Marie Henriette Reinhold) que Nadine Weissmann (la somptueuse Erda de Castorf et Mary du Fliegende Holländer cette saison) en Kundry affirmée et gentiment maléfique et le Klingsor de Werner van Mechelen assument crânement leur rôle de méchants très vite vaincus par un Parsifal qui sait récupérer la lance grâce aux cris des enfants. Du côté des « gentils », on note immédiatement l’excellent Amfortas de Olafur Sigurdarson aisément reconnaissable grâce à son phrasé soigné et sa voix si bien projetée (il triomphe en Alberich dans le Ring ), ainsi que le Titurel de Jens-Erik Assbø (un des deux remarquables Gralsritter du Parsifal « officiel » ) ; le Gurnemanz d’Andreas Hörl, à la fois chanteur et récitant, est très habile auprès des enfants.
Tous sont au rendez-vous de leurs rôles. De menus accrocs en revanche chez le Parsifal de Jonathan Stoughton, ténor britannique en troupe au Nationaltheater Mannheim où outre Parsifal, dans la très fameuse production de Hans Schüler, il chante Siegmund et Siegfried…
Quoi qu’il en soit, on constate à cette distribution que l’on est loin de se moquer du public.
À la sortie, distribution du programme de salle en forme de cahier, avec noms des artistes et de l’équipe de production, dessins des costumes et des décors, mais aussi résumé, et des jeux, quiz ou mots croisés, du découpage et même des recettes… Non, décidément, on ne se moque pas du jeune public…
Un ensemble solide, séduisant, d’où adultes et enfants sortent ravis après avoir fait un triomphe à tous les participants et qui montre que l’opéra fait intelligemment pour les enfants non seulement plaît, mais fascine.
Cela pose la question de l’opéra pour enfants, qu’on serait bien inspiré d’orienter vers la découverte du répertoire, en y mettant des moyens dignes et adéquats. Il est clair qu’il y a là une voie possible et intelligente de conquérir un public qui paraît-il, ne fréquente pas les salles. À Bayreuth, les 10 représentations affichent complet, avec un autre public que celui du festival, neuf, curieux, joyeux, et avide. Inutile de se demander pourquoi… C’est l’Enchantement chaque matin.
C’est une excellente initiative de Katarina Wagner.Il est dommage qu’elle prenne souvent les spectateurs de Bayreuth pour des enfants ou qu’elle se comporte souvent elle-même comme une enfant gâtée.