Giuseppe Verdi (1813–1901)
Un Ballo in maschera (Gustavo III) (1859)
Melodramma in tre atti
Livret de Antonio Somma d’après Gustave III ou Le bal masqué d’Eugène Scribe

Direction musicale : Roberto Abbado
Mise en scène : Jacopo Spirei dal progetto di Graham Vick
Décor et costumes : Richard Hudson
Lumières : Giuseppe di Iorio
Mouvements chorégraphiques : Virginia Spallarossa

Gustavo III : Piero Pretti
Amelia : Maria Teresa Leva
Il Conte Gian Giacomo Anckastrom : Amartuvshin Enkhbat
Ulrica : Anna Maria Chiuri
Oscar : Giuliana Gianfaldoni
Cristiano : Fabio Previati
Ribbing : Fabrizio Beggi
Dehorn : Carlo Cigni
Il Ministro di Giustizia : Cristiano Olivieri
Un servo del Conte : Federico Veltri

Coro del Teatro Regio di Parma
Chef des chœurs : Martino Faggiani

Filarmonica Arturo Toscanini
Orchestra Rapsody

Nouvelle production du Teatro regio di Parma

Parma, Teatro Regio, vendredi 8 octobre 2021, 20h

Au Festival Verdi 2021 Un ballo in maschera revient dans la version originale suédoise, qui n'a pas pu voir le jour à l'époque de Verdi en raison des changements exigés par la censure romaine. De l'idée originale de Graham Vick, le metteur en scène décédé cet été, son élève Jacopo Spirei tire un spectacle léger qui coule sans à‑coups.
Contrepartie musicale idéale, le chef d'orchestre Roberto Abbado dirige avec netteté et élégance une distribution homogène et les excellents ensembles musicaux de la Filarmonica Toscanini et du Teatro Regio.

Le sujet avait été alors bien labouré après avoir suscité l'intérêt d'Auber, de Mercadante et de Bellini, qui ne parvint pas à conclure en raison de sa mort prématurée. Pour Verdi, toujours à l'affût de situations non conventionnelles, il semblait néanmoins intéressant et il est parvenu à ses fins avec une obstination typique qui est passée à la postérité.
À Naples, lors d'une première tentative, il avait finalement dû jeter l'éponge et écrivit donc de façon définitive :
"La Vendetta in Domino ((Titre choisi pour Naples)) se compose de 884 vers : 297 ont été modifiés dans l'Adelia ((Adelia degli Ademari, autre titre suggéré par la Direction et changeant profondément le livret))beaucoup ont été ajoutés, et beaucoup ont été supprimés. Je demande aussi si le drame proposé par la Direction existe comme dans le mien :
Le titre ? – Non.
Le poète ? – Non ((Le livret de Adelia n’était pas de Somma en effet))
L'époque ? – Non.
Où ? – Non.
Les caractères ? – Non.
Les situations ? – Non.
Le tirage au sort ? – Non.
Le Bal ? – Non. "((Carteggi Verdiani, édité par A. Luzio, Rome, 1935))

Mais il ne pouvait pas se passer de porter l’opéra à la scène à Rome. Pour une fois, c'est lui qui a réconforta le librettiste :
"Armez-vous de courage et de patience, surtout de patience ! […] le censeur a envoyé une liste de toutes les expressions et de tous les vers dont il ne veut pas. Si à cette lecture vous sentez le sang vous monter à la tête, posez la lettre et reprenez-la après un bon repas et une bonne nuit de sommeil. Pensez que dans les circonstances actuelles, la meilleure solution est de confier cet opéra à Rome. Les vers et les expressions touchés par cette censure sont nombreux, mais ils auraient pu être encore plus nombreux […]"((Verdi à Somma, éditeur du livret du Ballo in maschera, lettre du 6 août 1858)).

En fin de compte, Verdi se satisfit de la transposition de la Suède de Gustave III à l'Amérique de Boston. Le changement de cadre était énorme, mais l'histoire resta essentiellement la même : l'opéra conserve le subtil équilibre entre tragédie et légèreté aux origines mozartiennes, l'assassinat du roi aimé du peuple par l'homme tiré au sort par la main du Destin, l'accusation d'adultère. Le roi Gustave de Suède devient Riccardo, comte de Warwick, son fidèle comte Anckastrom se transforme Renato en secrétaire créole, mais l'efficacité du bal au cours duquel Gustav/Riccardo est assassiné reste inchangée, avec ces plans sonores superposés qui proviennent de Don Giovanni et finiront tout droit (?) dans Pagliacci.

En y regardant de plus près, cependant, on constate une diminutio importante dans la version mise en scène par le Festival Verdi 2021, qui poursuit son intéressant parcours d'analyse des sources de Verdi avec des propositions qui ne vont jamais de soi (nous avons rendu compte l'année dernière de l'édition de Macbeth jouée en français https://wanderersite.com/it/2020/09/scintille-dopera-riaccendono-le-passioni-verdiane/)) : dans ce retour au livret original et au cadre suédois, on ressent trop souvent l'absence d'une amitié plus forte entre Riccardo et Renato, à laquelle nous sommes habitués dans la version qui a été effectivement jouée à Rome.

La scène dans la caverne d'Ulrica suffit : après la consternation de l'annonce du meurtre, Riccardo se retourne et tente de serrer la main de la première personne qui ose le faire. Avec un grand soupir de soulagement de la part des personnes présentes, la seule main offerte est celle d'un Renato inconscient, qui est heureusement son ami le plus proche ; cette fois, la sorcière a dû se tromper.

Sur scène et au théâtre, après la frayeur, l'ambiance revient au beau fixe.

Eh bien, dans la première version du livret, combien plus glacial et déférent était ce "Ma. Sire !" avec lequel Anckastroem serre la main de Gustave que le "Riccardo !" affectueux que Renato lui adresse. Combien plus trompeur est le texte romain dans sa manière de nous rassurer…

Un exemple qui confirme, s'il en était besoin, la profondeur psychologique et le talent dramatique de Verdi, qui parvient à faire naître du vrai théâtre même en changeant quelques lignes dans le livret.

Veillée funèbre pour Gustave III au début de l’opéra

"Que reste-t-il au roi qui a tout ? Des plaisirs interdits ? Risque ? La révolution ? Ou castrer l'establishment pour gagner l'amour du peuple ? …de son page ? …de la femme de son meilleur ami ? Le style de vie révisionniste du Suédois Gustave III lui a valu de nombreux amis et de nombreux ennemis, tandis que lui-même courtisait le danger avec toute la splendeur autodestructrice d'un artiste dont la plus grande création sera sa propre mort".

(Graham Vick, traduction de Jacopo Spirei)(( Extrait du programme de salle))

Le metteur en scène Graham Vick nous a quittés le 17 juillet dernier alors que ce Ballo in Maschera commençait à prendre forme, et son projet artistique a été complété par son élève Jacopo Spirei. Aussi difficile que soit l'unité d'objectif entre les deux artistes, le résultat est une performance intéressante sans chute de tension.

Entouré d'un cyclorama, éclairé de façon variable par des tons froids et des couleurs pastel, le dispositif scénique est réduit à l’essentiel, constitué d'un tombeau surmonté d'une statue ailée. Sur la scène sont éparpillés, selon les moments, quelques chaises et quelques accessoires. Une balustre horizontale dans la partie supérieure du cyclorama abrite le chœur, qui dans ce cas est une véritable cour royale, encore plus spectatrice que ne le voudrait l'histoire, puisqu'un excellent groupe de mimes se charge du déroulement chorégraphié des événements scéniques.

On entre dans la salle à scène ouverte sur les funérailles de Gustave III

 Les costumes sont génériquement dans le style de la fin du XIXe, mais l'histoire s'enchaîne sans liberté particulière pour notre goût moderne, à commencer par le prélude à scène ouverte où le cortège de deuil nous rappelle les funérailles de Gustave.

Le metteur en scène souligne que Un Ballo in maschera est une œuvre où l'ambiguïté triomphe, et que les mouvements frénétiques, les gestes contorsionnés et les dames portant soudainement de longues barbes créent des moments de tension occasionnels. En s'inspirant des notes de Vick, il aurait été intéressant de trouver dans le spectacle une exploration plus aiguë de la psychologie des personnages et, surtout, de leurs interactions.

Le soutien idéal de cette mise en scène est la direction rigoureuse et précise de Roberto Abbado. Dès le prélude, l'orchestre se distingue par sa clarté et son élégance, par un son qui n'est jamais viscéral ou emphatique mais toujours direct, propre, aiguisé, avec une grande attention au rythme et à la concertazione.

Le raffinement de la couleur et du phrasé est également continu : la couleur rude avec laquelle l’orchestre ouvre la scène d'Ulrica est magnifique, tout comme l'introduction de l'air d'Amelia à l'acte II, un beau tableau en noir et blanc.

La distribution des interprètes vocaux était équilibrée et de bon niveau, notamment du côté masculin qui a vu Piero Pretti et Amartuvshin Enkhbat dans les rôles principaux. Ténor à la voix vive et au phrasé varié et raffiné, Pretti donne un Gustavo III avec une ligne et une légèreté qui rappellent les racines mozartiennes de l'opéra. Mais les moments incandescents, comme le duo avec Amelia au deuxième acte, en sont inévitablement un peu affectés.

En phase avec la vision de son personnage par la mise en scène, le jeune baryton mongol campe un Anckarstoem rugueux et posé, la voix torrentielle à laquelle nous sommes habitués est mesurée et contrôlée jusqu'à un Eri tu bouleversant, qui reçoit les applaudissements les plus intenses de la soirée.

Anckastroem et Gustave III (Amartuvshin Enkhbat, Piero Pretti)

Les rôles féminins sont un peu moins brillamment tenus, la soprano Maria Teresa Leva reprenant le rôle d'Amelia, interprété lors de la première par Anna Pirozzi.
La jeune soprano, belle actrice, a montré une voix plutôt passable en termes de volume et de couleur. À son meilleur dans l'aria du troisième acte, elle a lutté pour le reste de l'opéra dans les zones extrêmes du registre, également en raison d'une diction qui demanderait à être perfectionnée.

L'Oscar de Giuliana Gianfaldoni est parfaitement distribué, ne faisant pas partie de la catégorie des voix légères et pyrotechniques, mais parfaitement crédible avec sa voix lyrique dans cette production qui sous une apparence masculine souligne les traits d'une féminité ambiguë.

Amelia, Ulrica, Gustavo III au premier acte (Maria Teresa Leva, Anna Maria Chiuri, Piero Pretti)

L'excellente Ulrica d'Anna Maria Chiuri ne mérite que des éloges, aussi sûre dans ses aigus que dans ses graves, jamais appuyée ni vulgaire. La voix est solide d'un bout à l'autre et, pour une fois, le personnage n'est pas une parodie de bande dessinée mais une figure vraiment inquiétante et bien chantée.

Il ballo in maschera au troisième acte. Au premier plan Anckastroem et à droite, Oscar (Amartuvshin Enkhbat, Giuliana Gianfaldoni)

Les petits rôles étaient parfaitement tenus, dont méritent d’être cités le Cristiano sonore et précis de Fabio Previati, et les deux conspirateurs Ribbing et Dehorn, respectivement Fabrizio Beggi et Carlo Cigni, tout comme les performances de la Filarmonica Arturo Toscanini dans la fosse et du chœur du Teatro Regio.

A la fin de la représentation, des applaudissements pour tous les interprètes, particulièrement prolongés pour Amartuvshin Enkhbat, Piero Pretti, Roberto Abbado et Maria Teresa Leva.

Saluts à la fin de la représentation
Avatar photo
Paolo Malaspina
Paolo Malaspina est né en 1974 e fréquente le monde de l’opéra depuis 1989. Il pris des cours privés de chant lyrique et d’histoire de la musique, en parallèle avec des études en ingénierie chimique. Il obtient son diplôme en 1999 auprès de l’Ecole polytechnique de Turin avec une thèse réalisée en collaboration avec l’Ecole Nationale Supérieure de Chimie de Toulouse. Ses intérêts en matière musicale s’orientent vers le XIXème et XXème siècles, avec une attention particulière à l’histoire de la technique vocale et de l’interprétation de l’opéra italien et allemand du XIXème.

Autres articles

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire !
S'il vous plaît entrez votre nom ici