Amis cambrioleurs, vous qui avez récemment donné des coups de hache dans une vitrine du musée Cognacq-Jay pour subtiliser d’admirables tabatières prêtées notamment par le roi d’Angleterre, si vous entendez parler de l’exposition « Bijoux de scène » présentée par la Bibliothèque-Musée de l’Opéra de Paris : à de rares exceptions près, ce n’est que toc et illusion, laiton en guise d’or et verroterie au lieu de pierres précieuses. Rien qui se revende à des prix exorbitants, en dehors de la valeur mythique qu’ont pu acquérir ces objets aux yeux des mélomanes. Si vous aimez Massenet, par exemple, vous y verrez l’extraordinaire casque aux ailes transparentes que portait Lucy Arbell en reine Amahelli dans Bacchus en 1909 (en témoignent une célèbre photographie et la maquette de costume également exposée à proximité) ; vous pourrez aussi admirer la couronne qu’arborait Sibyl Sanderson dans Esclarmonde tout juste vingt ans auparavant, photographie et affiche signée Eugène Grasset le confirment.
Et là, l’amateur éclairé s’étonne : Esclarmonde n’est entré au répertoire de l’Opéra que sur le tard, en 1923, après avoir été créé Salle Favart pour divertir les touristes attirés par l’exposition universelle de 1889. C’est donc qu’il faut prendre avec un grain de sel le titre « Bijoux de scène de l’Opéra de Paris ». Tout comme les deux œuvres lyriques qui donnent son titre à ce compte rendu, qui ne furent jamais montés à Garnier – la partition d’Auber fut conçue pour l’Opéra-Comique, I gioielli della madonna de Wolf-Ferrari n’ayant, sauf erreur, jamais été donné en France –, un certain nombre de bijoux n’ont jamais été portés sur la scène qui leur rend hommage. S’ils appartiennent à la Bibliothèque-musée de l’Opéra, c’est parce qu’ils ont été donnés (ou achetés ?) par la suite : Le Grand Mogol, opérette d’Audran, n’est présent ici que grâce au superbe soutien-gorge métallique, digne d’une danseuse du ventre, que portait une des interprètes lors de représentations données au Théâtre de la Gaîté ; quant à Carmen, si le superbe portrait de Galli-Marié par Doucet, habituellement présenté dans la galerie de l’étage supérieur, a pu descendre au niveau des salles d’exposition, il n’en reste pas moins que l’œuvre n’arriva à Garnier qu’en 1959, et que les grands peignes à porter sous une mantille, dont trois datent apparemment de 1875, proviennent eux aussi de la Salle Favart. Même Faust, dont la présence était ici inévitable compte tenu de la notoriété que la Castafiore a valu à l’air des bijoux, et qui fut à partir de 1869 un pilier du répertoire de Garnier, fit ses premiers pas dix ans avant dans une version un peu différente, au Théâtre-Lyrique.
Mais trêve de ratiocinations, l’œil a trop de motifs de se réjouir pour que l’esprit s’arrête à ces détails. Le parcours commence à quelques bijoux que les artistes portaient à la ville ou à la scène, à condition qu’ils soient suffisamment légers pour ne pas empêcher les danseuses de bondir ou les chanteuses de rugir. Une précision, d’emblée : tous les bijoux exposés ici n’étaient pourtant pas exclusivement destinés aux hommes, au moins trois faisant exception à la règle : si la couronne de Boris Godounov, brodée de perles, relève de l’accessoire symbolique autant que du costume, comme le casque (fort peu bijouté) de Wotan, on remarque une sorte de pendeloque qui ornait le devant du pagne de Radamès incarné par Muratore. Sur le plan chronologique, on part de l’époque romantique, avec un portrait de Marie Taglioni ayant revêtu tous les bijoux offerts par ses admirateurs, pour aboutir à nos jours, avec les coiffes élaborées pour La Bayadère montée par Noureïev en 1992, le costume de Xénia dans un Boris monté par Petrika Ionesco en 1984, sur lequel sont collés des cabochons anciens récupérés sur d’anciens bijoux, et celui de la nourrice Lenia dans Eliogabalo, avec ses bracelets en plastique moulé. Malgré tout, l’essentiel des objets présentés ont été élaborées entre 1875 et 1925, époque pendant laquelle le réemploi était souvent pratiqué, seules les pièces exceptionnelles parce qu’associée à une artiste ou une production prestigieuse ayant été conservées telles quelles (par ailleurs, pour la grande majorité des quelque quatre mille bijoux conservés par l’Opéra de Paris, on ignore pour quel spectacle ils furent conçus).
De l’évolution des bijoux de scène, on retient aussi l’attrait pour un exotisme parfois assez fantaisiste, « l’Orient » englobant un grand nombre de pays pourtant bien différents (L’Africaine est un bel exemple de ce flou géographique, puisque Sélika est en réalité indienne), et un ancrage dans des périodes historiques plus ou moins précises, l’exotisme spatial et temporel ayant toujours compté parmi les valeurs essentielles des spectacles lyriques. La couronne d’Elisabeth dans Tannhäuser s’inspire de modèles carolingiens, les héroïnes d’Henry VIII de Saint-Saëns portent évidemment des coiffes comme en peignait Holbein, mais pour la mythologie de Déjanire du même compositeur, on sent une plus grande liberté, où l’Art Nouveau rejoint l’archéologie. Certaines pièces témoignent pourtant d’une indéniable influence des découvertes les plus récentes : avec ses roues latérales sur les oreilles, le costume dessiné en 1904 pour un personnage de l’opéra de Camille Erlanger Le Fils de l’étoile évoque inévitablement la fameuse « Dame d’Elche », découverte en 1897 et aussitôt achetée par le Louvre qui la conserva jusqu’en 1941. Certaines pièces étonnent par leur relative modernité, ou du moins parce qu’on les associe à une époque autre que celle de leur création : c’est notamment le cas de ces casques surmontés d’une sorte d’éventail de pierreries et de plumes, que l’on aurait tendance à relier aux Années Folles et à l’Art Déco, alors que l’un – qui sert d’affiche à l’exposition – fut porté en 1899 dans la Cendrillon de Massenet (par la Fée, probablement), et que l’autre, surmonté de plumes violettes est encore antérieur de trente ans puisqu’il remonterait à L’Africaine susmentionnée.
Outre les bijoux proprement dits, l’exposition propose aussi des photographies et des peintures (à Galli-Marié en Carmen répond Rose Caron en Salammbô par Clairin), des maquettes de décor – ne pas manquer le navire du troisième acte de L’Africaine, toujours elle – et la partition autographe de Faust, ouverte à l’air des Bijoux, bien sûr. Et même si l’on sait que tout cela n’est que du toc, comment ne pas rêver en lisant cette liste griffonnée par Marcel Multzer à côté du costume de Lakmé : « bijouterie argent turquoises diamants aigues-marines saphirs clairs péridots chrysoprases »…
Catalogue : Bijoux de scène de l’Opéra de Paris, du Second Empire à nos jours, 112 pages, broché, 19 euros. Gourcuff Gradenigo, à paraître le 6 décembre