Intensément brune, toujours aussi longiligne et d’une renversante féminité, Fanny Ardant a le don de vous charmer instantanément dès qu’elle apparait. Sa voix d’abord, douce et ondulante comme une mélopée lointaine vous harponne, avant que son regard intense et fiévreux ne se plante dans le vôtre pour ne plus vous lâcher. Alors vous vous lancez et débutez avec elle ce rituel qu’il est commun d’appeler une interview, avec le secret espoir que celle-ci ne se transforme en conversation moins formatée, moins balisée à mesure que l’échange avance. C’est ce qui nous est arrivé le 11 novembre dernier, à Athènes, à la veille de la première d’Aleko de Rachmaninov dont la mise en scène était confiée à la grande comédienne et réalisatrice française. Invitée pour la seconde fois par le GNO après une Lady Macbeth de Mtsensk remarquée, Fanny Ardant s’est donc pliée à l’exercice en répondant à nos questions avec l’intelligence, la liberté de ton et l’esprit inentamés que nous lui connaissons.
Fanny Ardant, vous avez déclaré avoir appris l’italien après avoir côtoyé Marcello Mastroianni, Vittorio Gassmann et Ettore Scola, qui faisaient l’effort de parler en français et dit que si vous deviez finir en prison, vous apprendriez le russe pour la poésie. Chose étrange, après avoir mis en scène Messager et Sondheim, c’est à l’opéra russe que vous vous êtes attaquée avec la Lady Macbeth de Mtsensk de Chostakovitch. Peut-on y voir un présage et sans être passée par la prison, avez-vous depuis appris cette langue ?
Oui j’ai appris la langue, mais j’en profite pour vous exhorter à vous préparer à la prison. Alors quoi y apprendre, je ne sais pas, la trompette est trop bruyante, mais vous aurez le temps pour vous consacrer à la lecture et peut-être aux mathématiques, peu importe. Pour certains ce sera l’apprentissage de la langue russe, une des plus belles et sans doute des plus difficiles – mais ceux qui veulent apprendre le français se retrouvent face au même défi, non ? Très jeune je me suis plongée dans la poésie russe et quand m’a proposé il y six ans de mettre en scène un opéra à Athènes je pensais qu’il me proposerait une œuvre française, que je n’aime pas trop d’ailleurs, pardonnez-moi, je préfère le répertoire italien, russe, ou celui des allemands malades (rires) ; mais il m’a dit de choisir ce que vous voulais. J’ai donc répondu Lady Macbeth de Mtsensk car je connaissais bien Chostakovitch pour des raisons autres que musicales. Je l’avais abordé de manière politique, sa résistance à la terreur, à la pensée commune pendant ce siècle « entre chien et loup » durant lequel il a poursuivi son chemin me passionnait. J’avais beaucoup entendu parler de lui comme d’un héros et j’aimais le sujet de son opéra qui me ramenait à tant de nouvelles russes que j’avais lues et à ce personnage de Katerina qui préférait mourir que de voir se ternir son amour. Cette idée a toujours été présente dans les opéras : sans amour on n’est rien du tout. J’aime la violence et je trouvais qu’elle échappait au classicisme chez Chostakovtich, sans doute parce qu’il a composé de nombreuses musiques de film et que, comme un long fleuve, l’histoire peut se développer, c’est ample, ouvert, jusqu’au climax de la fin. Tous ces éléments m’ont intéressé et conforté dans mon choix.
Vous voici en tous cas pour la seconde fois à l’opéra d’Athènes pour mettre en scène le rare Aleko de Rachmaninov. Connaissiez-vous ce court ouvrage composé en sept jours pour le Bolchoï par un jeune compositeur, en 1893, et plus simplement comment l’offre vous a été faite ?
Oui je connaissais l’œuvre mais ne l’avais entendue qu’une fois. En revanche j’ai une passion pour Pouchkine et j’ai eu du mal à trouver la nouvelle sur laquelle est basé l’opéra de Rachmaninov. C’est un magnifique récit romanesque, court et violent et l’on ressent très fortement combien son adaptation musicale a dû générer d’urgence, puisqu’il a suffi à son auteur une semaine seulement pour le mettre en musique. Les airs sont beaux mais il n’y a pas à proprement parler de personnages, plutôt des archétypes : le jeune tzigane, le vieux tzigane, Aleko et Zemfira. Je partage avec Pouchkine, ce goût, cette obsession pour les tziganes, ces communautés itinérantes qui vivent dans des roulottes, entourées de chevaux, qui ne cherchent pas à entrer dans un système et dont la liberté est le maître-mot.
Après vous être intéressée à trois personnages féminins celui de Véronique, de Fosca dans Passion et de Katerina Ismaïlova dans Lady Macbeth de Mtsensk, vous voici face à une figure masculine avec Aleko, un russe qui a choisi d’abandonner la civilisation pour la vie gitane et qui une fois trompé par la belle Zemfira, finit par la tuer ainsi que son amant. On y trouve là encore tous les ingrédients d’un drame passionnel.
Oui bien vu ! Je crois profondément que l’on n’échappe pas à son destin, que souvent l’histoire recommence et qu’il y a toujours derrière la liberté une notion essentielle : quel prix est-on prêt à payer pour y accéder ? Mais selon moi le pardon est plus fort que la justice. Aleko est trahi par celle qu’il aime, mais je n’ai pas voulu en faire un fou furieux qui cherche à se venger, ce n’est pas Don José. Il est tombé amoureux, il a tout quitté, ne supporte pas d’être trompé, il aime Zemfira mais choisit de la tuer. Zemfira veut être libre d’aimer et sait très bien que cela lui coûtera cher. Vous savez que Mérimée à traduit Pouchkine avant d’écrire Carmen et cela se sent. Les phrases prononcées par l’héroïne dans l’opéra de Bizet « Coupe moi, brûle-moi je ne te dirais rien », ou « Cette bague autrefois tu me l’avais donnée : tiens ! » sont inspirées du caractère de Zemfira. Je me disais également qu’en dehors de cette courte nouvelle, Pouchkine était le poète qui exprimait le mieux le gâchis de l’homme qui passe si près du bonheur. Je me souviens d’une représentation d’Eugène Onéguine à la Bastille un soir où la cantatrice annoncée avait été remplacée. Le public avait hurlé et j’avais crié aussi comme au foot, tout en pensant à celle qui allait devoir se substituer à l’absente. Le rideau s’est levé, nous avons écouté et là, celle qui interprétait Tatiana a reçu un triomphe. Aux saluts elle est tombée à genoux en pleurant et le public a réalisé que tout avait marché, il y avait cru et ne supportait pas que ces deux êtres soient passés si près du bonheur. Ce poète est un génie, donc par amour de la poésie j’ai appris des pans entiers de ses poèmes en français dans la traduction d’André Markowicz, chez Actes-Sud.
De quelle manière avez-vous eu envie de traiter ce sujet basé sur une légende et dans le lequel se trouvent réunis solistes, chœurs, danseurs et dont les chorégraphies ont été confiées à l’espagnol Israël Galvan ?
Je cherche toujours la beauté et pas à éduquer le peuple en lui faisant croire que ce qu’il voit est une œuvre contemporaine car elle parle de nous. J’aspire en tant que spectatrice à voir Hamlet en prince d’Elseneur, je veux être dépaysée et ne pas avoir le sentiment de croiser quelqu’un comme je le pourrai en sortant de chez moi. Je me suis souvent ennuyée à l’opéra, c’est pourquoi il faut essayer d’y mettre de la beauté pour lutter contre cette sensation. J’ai toujours à l’esprit que nous faisons pratiquement tous partie de la même génération, celle du cinéma, où l’émotion est donnée par des gros plans, ou des plans-séquence, c’est pourquoi il est difficile de diriger les chanteurs. Nous sommes face à la quadrature du cercle car ils ont trop à faire, chanter, jouer et n’ont pas toujours eu le temps d’apprendre. Quand j’ai mis en scène Lady Macbeth, j’ai eu la chance de pouvoir travailler avec des artistes russes qui étaient d’une autre école, de vrais acteurs, et je n’avais aucun mal à leur faire comprendre que nous étions au XXIème siècle et que le public avait certaines attentes. Sinon à quoi bon se déplacer, mieux vaut rester chez soi à écouter de la musique. Au théâtre on ne peut pas forcément partir, on est pris en otage…
Il faut préciser qu’Aleko est associé ici au Château de Barbe-Bleue de Bartok mis en scène par Themelis Glynatsis, une production déjà présentée au public grec, pour constituer un dyptique. Auriez-vous aimé régler les deux et pourquoi pas les situer dans un décor unique qu’aurait pu imaginer votre décorateur Pierre-André Weitz?
Non, car j’ai tout d’abord proposé au directeur de l’opéra, sachant que l’œuvre ne durait qu’une heure, de rassembler sur scène tous les groupes tziganes des Balkans pour conclure la soirée avec des musiques, des chants et des danses. Mais la réponse a été négative, alors que cela aurait été une occasion unique d’avoir sur le plateau des tziganes d’origine slave, d’autres venus de la Grèce, de la Macédoine, de la Bulgarie, jusqu’aux hongrois. Cela aurait été formidable. En même temps je me souviens avoir interprété le personnage de Cassandre dans l’oratorio du même nom de Michaël Jarrell et la partition indiquait une durée de 58 minutes, pas 57, et je trouvais ça très fort, comme un coup de poing, il ne fallait pas jouer avec le temps et nous devions respecter cette donnée.
Sur un plateau d’opéra comment parvenez-vous à vous faire entendre, comprendre et respecter, vous qui avez dit « n’aimer ni l’ordre, ni les ordres » ?
Je crie, je me passionne, je vais les voir, je m’approche d’eux. Il m’est même arrivé d’arracher une chemise (rires). Comme je connais mal Athènes je me demandais où j’allais pouvoir en acheter une nouvelle. En tant qu’actrice j’ai toujours aimé être dirigée par des êtres passionnés avec lesquels on sent que tout ce qui est demandé est une question de vie ou de mort. Quelque chose s’allume alors immédiatement et je me jette dans ce chaos. Je n’aime pas entendre dire sur un plateau : « c’était très bien mais on va la refaire ». Si la prise était bonne pourquoi la recommencer ? Je ne passe pas toujours pour quelqu’un d’agréable, mais on sait que j’y vais, on connait mon implication. J’ai eu des metteurs en scène qui auraient donné leur vie pour une phrase, c’est pourquoi je n’aime pas la loi qui va forcément avec les notions d’ordre et de respect.
Vous avez dit également « qu’il ne pouvait y avoir de création artistique sans chaos, ni rage de vivre ». Cela signifie-t-il que vous pouvez susciter le chaos lorsque vous estimez vos interprètes trop tièdes dans le travail ?
Je n’ai pas peur de les brusquer, si je pense qu’il faut recommencer j’attends que tout le monde s’investisse et recommence, mais je n’utilise jamais l’insulte, ou l’humiliation, je vois plutôt le travail comme une course de chevaux avec lesquels il faut se lancer au galop, essayer de franchir l’obstacle, car jouer nous ramène à l’enfance ; nous sommes d’ailleurs les seuls à employer le terme jouer, les anglais disent to act, et les italiens recitare. Nous, nous employons le verbe jouer, c’est ce qui explique pourquoi finalement j’aime les films où il n’y a pas beaucoup de moyens. Je garde toujours à l’esprit le « toi tu seras le gendarme, moi le voleur », et privilégie une forme d’artisanat. Nous devons rester passionnés, avoir conscience que nous sommes là pour construire une fresque et ne jamais en sortir, d’autant plus à l’opéra où dès qu’arrivent l’orchestre et les chœurs je réalise que je ne suis pas seule et que de nombreux paramètres sont à prendre en compte. Au cinéma tout est dans les gros plans, les yeux ne pardonnent pas. C’est un autre défi. A l’opéra il faut être modeste car finalement nous devons laisser la place aux voix et à la musique.
A la différence du cinéma dans lequel vous évoluez depuis longtemps et où vous avez pu apprendre les rouages du métier auprès de grands noms, au point de passer derrière la caméra à trois reprises, vous n’apparteniez pas au monde de l’opéra, à part comme spectatrice, à l’image d’une autre comédienne française bien connue : Jeanne Moreau. Qui vous a inspiré, donné envie de devenir metteuse en scène avec un titre dans lequel on ne vous attendait pas forcément, celui de Véronique de Messager ?
Je n’aurais jamais eu l’idée de mettre en scène un opéra et encore moins une opérette jusqu’à ce que Jean-Luc Choplin qui dirigeait à l’époque le Théâtre du Châtelet ne me le propose. Dans ma jeunesse j’ai beaucoup fréquenté l’opéra de Monte-Carlo en compagnie de mon frère, j’aimais ce lieu, son magnifique rapport scène-salle et je disais souvent qu’un jour je serai de l’autre côté du rideau, comme interprète, pas comme maître d’œuvre. Quand je voyais La Traviata je voulais être Violetta, je voulais transmettre tout ce qui nous traverse dans la vie, la trahison, l’amour, la passion, l’abandon. Cela m’a marquée parce que je pensais qu’il s’agissait là des grandes choses de la vie et non le pouvoir, la gloire, ou l’argent. Petit à petit je me suis rendue compte que si on pouvait être malheureux en cherchant l’amour, ou n’en était pas pour autant dégradé, contrairement à la recherche du pouvoir, de la gloire ou de l’argent. Pour revenir à votre première question, j’aime me jeter dans l’inconnu, c’est pourquoi je fais tant de choses, car je suis un peu comme un radeau et il arrive que l’on me tende la main depuis la rive. Il est assez rare que je refuse une proposition, mais je dois avouer que quand Jean-Luc Choplin m’a parlé de Véronique j’ai pensé qu’il était fou. On ne m’attendait pas dans un tel répertoire, je ne connaissais pas Véronique, alors j’ai répondu comme une actrice qui ment souvent, en acceptant la proposition, avant de me plonger dans cette opérette.
Votre carrière mélange aujourd’hui films, pièces de théâtre, oratorios, quelques incursions dans la chanson, la réalisation de long-métrages, écriture de scénario comprises, mises en scène d’opéras, vous avez touché à presque tous les genres. Ne vous manque que la mise en scène d’une pièce de théâtre, l’écriture d’un roman, celle de vos mémoires, ou bien encore la publication des nombreux textes que vous écrivez depuis toujours quand vous jouez au théâtre, pour occuper les longs après-midis qui vous mènent jusqu’à la représentation du soir ? Y avez-vous pensé ?
Niet… parce que ce sont des choses entre moi et moi. Il y a eu des scénarios avant ceux pour lesquels j’ai obtenu un accord, des histoires bizarres que personne ne comprenait, ou des tentatives. L’écriture me suit depuis mes études à l’université. Vous savez à la fin il fallait rédiger un mémoire à partir d’un sujet que l’on avait choisi et c’est à cette occasion que j’ai découvert le plaisir d’être enfermée dans une pièce, alors qu’étudiante j’aimais sortir, danser. Là, entre quatre murs, ne penser qu’à ça m’a rendu heureuse. Je me souviens encore du jour où j’ai dû présenter mon travail à mon directeur qui habitait Nice. J’y suis allée en stop et j’ai pris un taxi qui m’a arrêtée sur la promenade des Anglais ; je paye, sors de la voiture et oublie le mémoire dans le taxi. Je me suis mise alors à courir derrière lui, voyant le feu qui du rouge passait au vert, mais tout à coup j’ai tapé sur le capot et j’ai pu récupérer mon bien. On m’a souvent proposé de mettre en scène du théâtre mais j’aime trop jouer et j’aurais trop envie d’aller de l’autre côté, alors qu’à l’opéra je ne peux pas (rires). Quand je joue au cinéma j’oublie tout et me laisse embarquer par les grands acteurs qui me font danser, or si je devais jouer dans les films que je réalise je n’aurais de cesse de les regarder et le fil rouge serait cassé.
A ce propos comment gérez-vous ce qu’il faudra appeler un jour votre « héritage », qui pourra être accessible au public, à moins que vous ne conserviez rien ? Avez-vous donné des instructions ?
Ecco ! « Sic transit gloria mundi », ce sera passé. Non cela n’aura pas lieu car j’aurais demandé au préalable à ma famille de ne rien publier ; il ne faut pas vendre ses souvenirs, tout ce qui me succédera restera dans la famille, je les connais et sais que je peux compter sur leur parole. Je me souviens qu’un jour j’avais envie de jouer une pièce de Tennessee Williams, Un bar à Tokyo, qu’il n’avait jamais voulu publier, mais en y réfléchissant j’ai préféré ne pas trahir sa volonté.
Maria Callas avait pourtant instamment demandé que plusieurs de ses enregistrements ne soient pas publiés, volonté qui n’a pas été respectée, pour le plus grand bonheur de ses admirateurs inconditionnels...
C’est pour cela que c’est ambigu, comme vous savez j’ai une passion pour Callas et cela me désole, tout en me réjouissant. Je ne comprends pas non plus comment on peut publier une lettre, on m’avait d’ailleurs dit un jour : « ne lis jamais une lettre qui ne t’est pas adressée, ce serait ton arrêt de mort. » Précepte que j’ai suivi, car une lettre et plus encore une lettre d’amour est quelque chose de sacré et la vendre aux enchères est terrible. Je n’aime pas cela. Je suis d’ailleurs frappée par cette société qui pense que tout restera, alors que tant de grandes civilisations ont disparu ; même les archives de l’INA peuvent disparaitre, comme la bibliothèque d’Alexandrie qui a été détruite. Si on dit aux américains que la société est finie, ils n’y croiront pas et pourtant on sent le bruit avant-coureur de la fin. Si on regarde les touristes en Egypte, en Grèce ou en France, ils sont à la recherche de la beauté, mais à Paris ne les intéressent que la Tour Eiffel, le Louvre et Versailles. Venise, Rome ou j’ai beaucoup vécu, sont devenues des industries que l’on se plait à détruire. On a chassé les vrais habitants qui ne peuvent plus y vivre, ils en sont exclus et ces capitales vont devenir des musées, des villes mortes. Il faut peut-être aller vers les pays froids ? Souvent on me demande ce que j’ai fait pendant les vacances et comme j’aime Paris l’été, je réponds que j’y suis restée, profitant de ma liberté pour aller au cinéma ou voir quelques amis, allant même jusqu’à dire : « vive la pollution ».
Je sais que vous êtes très attachée au moment présent et n’aimez guère vous retourner sur votre passé, pour autant imaginiez-vous à l’aube des années quatre-vingts, lorsque l’on vous a découverte dans Les dames de la côte de Nina Campaneez, construire une carrière aussi riche, intense et passionnante, atteindre le niveau de notoriété qui est le vôtre, sans connaître la moindre traversée du désert ?
C’est comme si on disait toujours quand on rentre dans une église : « il faut seulement dire merci ». Et bien je peux dire merci, car je voulais faire ce métier d’aventurière, j’étais pleine de théâtre et ne pensais pas au cinéma qui est arrivé malgré moi. Curieusement j’ai eu à me battre au départ car j’étais refusée aux auditions, on me trouvait bizarre, mais cela n’a jamais entamé ma volonté, j’y croyais, j’avançais avec la certitude des fous : si tu n’es pas convaincu d’y arriver, ce n’est pas la peine d’essayer, il faut foncer, se persuader, se dire « vas-y », même si l’on sait que le chemin sera dur et qu’il y aura des hauts et des bas. Je me souviens avoir participé à un casting pour être une James Bond girl où une responsable m’avait dit : « vous êtes laide, mais vous ferez des choses beaucoup plus intéressantes ». Quinze ans plus tard après avoir joué dans La femme d’à côté, je me suis retrouvée nez à nez avec cette personne dans un café. Elle se rappelait de moi et est venue me dire : « vous vous souvenez de ce que je vous avais dit ? » Sa prophétie était exacte.
Comment se sent-on à la veille d’une première d’opéra ?
Je suis dans une sorte de « allez, che sara sara », avec le sentiment que les jeux sont presque faits. Je viendrai bien sûr dans les loges à l’issue du spectacle pour faire mes remarques, car je devrai repartir le lendemain pour faire d’autres choses. Je me suis attachée à ma petite troupe et je ressens donc aussi une certaine mélancolie au moment de la quitter. Dans une aventure comme celle-là il y a un début, un milieu et une fin et à mesure que s’approche le moment du départ, cela devient plus intense. Je n’ai pas pu être présente à la reprise de Lady Macbeth mais j’aurais aimé les revoir pour me battre avec eux, chercher de nouveaux arguments (rires), mais je n’ai pas pu car je tournais sur l’île d’Elbe. Ils ne comprennent pas toujours que le metteur en scène voit tout et comme je les vois comme des archétypes, s’ils ne font pas le geste de tuer par exemple au moment précis où la musique l’exige, l’effet est forcément moins fort…