KURT ATTERBERG (1887–1974)
Concerto pour violoncelle en do mineur, op. 21

I. Andante cantabile – Allegro
II. Adagio
III. Allegro

Violoncelle solo :  Kati Raitinen

FRANZ SCHUBERT (1797–1828)
Symphonie n° 9 en do majeur, D. 944, "La Grande"

I. Andante – Allegro ma non troppo
II. Andante con moto
III. Scherzo. Allegro vivace – Trio
IV. Allegro vivace

Kungliga Hovkapellet (Orchestre de l’Opéra Royal de Stockholm)

Direction :  Susanna Mälkki

 

Stockholm, Berwaldhallen, jeudi 3 octobre 2024, 19h

L’Orchestre de l’Opéra Royal de Stockholm (Kungliga Hovkapellet) sort de sa fosse et prend la lumière à Berwaldhallen pour un concert tout feu tout flamme avec une direction hors classe, Susanna Mälkki, et un chef d’œuvre, plutôt méconnu, le concerto pour violoncelle du Suédois Atterberg. Le violoncelle solo de l’orchestre, Kati Raitinen, elle aussi finlandaise, et, qui plus est, amie de conservatoire de Mälkki depuis 1978, se joint à la fête. Entre le romantisme (très) tardif mais plein de modernité d’Atterberg et la 9e de Schubert, pétillante et joueuse, le public est ressorti galvanisé, applaudissant à tout rompre. Même entre les mouvements… comme à l’Opéra !

 L’Opéra Royal de Stockholm a décidé pour cette ouverture de saison de nous surprendre avec des œuvres rares et difficiles, avec une part importante faite aux stars issues de l’aire Baltique et notamment scandinave.  Certes, c’est Carmen qui inaugure la scène (un peu queer, dans un camp d’ouvrier-prisonniers du salariat avec comme joie du stade, les pains du MMA) mais arrivent bientôt sur scène, cet automne, Jenufa avec les étoiles suédoises, Nina Stemme et Cornelia Beskow, puis Wozzeck avec l’autre enfant chéri du pays, Peter Mattei.

N’arrêtons pas là l’audace. Pour son concert de rentrée, l’Orchestre de l’Opéra Royal de Stockholm sort de ses murs pour aller s’installer dans l’écrin feutré et boisé de Berwaldhallen avec un programme hors pair : la 9e de Schubert et un petit bijou de concerto pour violoncelle d’Atterberg, étrangement absent des répertoires malgré sa beauté et son étrangeté.

Pour diriger, la cheffe finlandaise de renommée internationale Susanna Mälkki, plus connue en Europe pour ses interprétations de l’exigeant répertoire contemporain (elle fut notamment chef de l’Ensemble InterContemporain) mais avouant, dans ces colonnes, souhaiter diriger davantage le répertoire classique, Carmen d’ailleurs, mais aussi Berlioz et Puccini (lire l'interview de Susanna Mälkki). C’est donc une soirée de gala, moins paillette que plaisir. D’ailleurs, c’est toujours un signe, on aperçoit dans les travées quelques musiciens de l’Orchestre de la Radio (violoncelle, trombone, percussions) pourtant pas on duty, et visiblement ravis.

Kurt Atterberg (1887–1974), disons-le tout de suite, n’est pas un personnage sympathique : il a professé des opinions pro-nazies (et anti-jazz) [1] qui plus est, évidemment…) sans ambiguïté, avant et pendant la merveilleuse époque qui ressemble tant à la nôtre. Sans oublier quelques abus de pouvoir sur la sphère musicale suédoise…

L’anathème ayant été prononcé, parlons musique. Critique, compositeur, chef de l’Orchestre de l’Opera Royal, Kurt Atterberg  est aussi un des fondateurs de la Société des Compositeurs suédois, membre de l’Académie Royale de Musique etc… Lors du centenaire du décès de Schubert, il accède à la reconnaissance internationale avec un prix offert par la Columbia pour avoir terminé la Symphonie Inachevée. Il laisse une œuvre considérable (9 symphonies, plusieurs concerti) dans une lignée nationale-romantique à la Grieg et à la Sibelius.

Atterberg est encore un de ces scandinaves oubliés et dont on ne joue principalement les œuvres qu’au nord de l’Europe, pourrait-on se dire, mais son concerto pour violoncelle ne laisse absolument pas indifférent. Kati Raitinen, dans le programme de salle, raconte qu’en entendant la version de Truls Mork en 2010 :
« Je n’en croyais pas mes oreilles. Un épatant concerto pour violoncelle suédois romantique pur-sang, dont je n’avais jamais entendu parler. Bien que je sois venue étudier avec un professeur suédois… Et qui, en plus, ressemble un peu au concerto pour violon de Sibelius au début. »

Berwaldhallen l’a récemment (2018) donné en ses murs avec Jakob Koranyi en soliste et une vidéo est disponible sur la toile, qu’on vous recommande chaudement, à défaut de pouvoir juger l’œuvre en salle.

Dès l’ouverture, on est saisi par le velouté des cors de l’Orchestre de l’Opéra Royal avec des cordes qui claquent. Susanna Mälkki accompagne le drame musical, ne surcharge pas, et laisse l’expression au violoncelle solo, constamment ou presque sous tension. Mälkki est extrêmement précise dans sa direction, entre sourires et fermeté sans autoritarisme. Il y a beaucoup de tendresse dans le violoncelle solo et les bois. La cheffe est très attentive aux sonorités, un peu comme dans une construction de cathédrale sonore, ce qui découle sans doute de sa longue pratique du répertoire contemporain. On note les acidités des flûtes suraiguës et du violoncelle solo ou les contrebasses (magnifiques !!!) en contrepoint des cors, trombones et bassons. Il y a dans cette œuvre et cette interprétation beaucoup de modernité ET d’expressivité avec une atmosphère de mélancolie qui s’échappe du violoncelle solo sur un lit de cordes en apesanteur.

Kati Raitinen

Mälkki joue de manière très impressionnante sur les nuances d’un orchestre très plastique en laissant toute la place à un violoncelle très expressif, constamment exposé, toujours extrêmement lisible, en suivant ses méandres. Orchestre de fosse accompagnant la voix, toujours. Et bien sûr, on est subjugué par cette partition pleine de surprise comme ce très beau duo de cors/violoncelle solo.

Après un appel de cuivres solennel, on observe Mälkki à la manœuvre de l’équilibre des masses orchestrales accompagnant le violoncelle solo d’inspiration Bach, ici plutôt Fournier que Casals. Mälkki est visiblement dans la joie de déchainer un orchestre qui se fait vents, tempête, avec coups de tonnerre wagnériens et des rafales impressionnantes, comme des remous, des vagues et, sur la crête, des crépitements de clarinette.

Après avoir suivi le violoncelle solo dans tous ses états, pour une pièce très exigeante techniquement et émotionnellement, c’est tendu et heureux qu’on sort du concerto, emporté par la maestria d’une chef qui n’a fait qu’apporter soutien et bouffées d’air d’une nature aimante et déchainée autour de l’humain.

Après la curiosité scandinave, le chef d’œuvre de Schubert. Ce dernier me fait toujours penser à Ingmar Bergman. Dans son avant dernier (télé)film En présence d’un clown (Larmar och gör sig till, 1997), Bergman ausculte, encore, son rapport au théâtre, au cinéma mais aussi au vieillissement et à la mort qui vient, avec des personnages dépressifs et un peu nerds, ses acolytes de toujours, Börje Ahlstedt et Erland Josephson. Il s’agit pour les personnages de mettre en scène une pièce de théâtre-filmé ( ???) sur le personnage de Schubert. Lors d’une séquence finale, sur scène, les deux acteurs miment Schubert et un de ses amis jouant à quatre mains la 9e, ce dernier l’assassinant à coup d’arguments bien connus : trop long, impossible etc… Ce qui finit d’accabler le Schubert/acteur dépressif joué par Börje Ahlstedt. Et c’est le contraire qui se produit ce soir.

Susanna Mälkki et le Kungliga Hovkapellet

Dès le premier mouvement, on remarque encore la clarté avec laquelle Mälkki dirige. Toujours cet accord des pupitres, très bien marqués, loin d’une fusion, d’une pâte romantique. On constate la majesté de l’ensemble mais avec des rehauts de pupitres. Par exemple, les répétitions de motifs ressemblant à des pépiements d’oiseaux sont moins illustratifs qu’expressifs. Musique avant tout donc et rigueur architecturale pour donner de la place à la beauté du son. C’est un dégraissage romantique, un Schubert plus proche de Beethoven, et regardant vers l’avenir.

Au second mouvement, on est surpris par un hautbois goguenard (annonçant presque Mahler ?) s’opposant à des cordes tranchantes comme des rasoirs. Mälkki dévoile un peu de lyrisme mais sans emphase. Elle perd sa baguette, suivie par un violon qui perd son archet. C’est dire si on est emporté dans le délire d’une action musicale qui ne faiblit pas. Un silence suspendu s’installe un instant, arrêtant orchestre et public, on franchit plusieurs décennies musicales… Rigueur certes, mais aussi beaucoup de poésie avec des vents magnifiques (flûtes, hautbois, clarinettes), tout en légèreté et précision.

Le troisième mouvement est virevoltant, comme la cheffe, aussi précise à la baguette, que souple dans des mouvements dansés sur le pupitre, mais toujours nerveux avec des vagues de cordes impressionnantes, vives et fraiches, tout sauf tarte à la crème du romantisme pâteux. On est dans une joie vraiment extatique, avec ce Schubert léger et joueur comme jamais, révélé par Mälkki.

Enfin, le dernier mouvement est vif mais sans effets démonstratifs, toujours dans un éternel et mouvant remous des masses orchestrales, des passages d’un pupitre à l’autre. Très étonnant : Mälkki est habile à faire surgir d’un tournemain une soudaine mélancolie, qu’on avait presque oubliée tant elle est étrangement peu présente dans cette œuvre de Schubert. On est soufflé par la tension joyeuse communiquée par Mälkki à l’orchestre, vraiment au summum de ses possibilités, avec des cordes parfaites, lumineuses, incisives et un final explosif qui déchaîne naturellement le public.
Public d’ailleurs transporté, bien loin de l’ennui Schubertien qui peut saisir certains dans cette œuvre monstre, et qui applaudissait vivement et spontanément entre les mouvements… comme après un air de bravoure d’Opéra.

[1] Dans le Stockholms Tidningen dont il fut l'un des rédacteurs entre 1919 et 1958"Même en tant que pure musique de danse, le genre de jazz qui s'inspire du style armstrongien de la trompette d'argent, c'est-à-dire le jazz stupide, ironique et rugissant, est complètement intolérable […]. Les peuples anglo-saxons, ont une grande responsabilité d’avoir déclenché ce crépuscule culturel sur le monde".

Susanna Mälkki et le Kungliga Hovkapellet
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Guillaume Delcourt
Il collabore, en amateur revendiqué, depuis les années 2000 à divers médias, de la radio associative à la programmation et l’organisation de concerts, festivals et happenings (Rouen, Paris, Stockholm) dans les champs très variés de la musique dite alternative : de la pop à la musique électro-acoustique en passant par la noise et la musique improvisée. Fanziniste et dessinateur de concerts, ses illustrations ont été publiées dans les revues Minimum Rock n’ Roll et la collection Equilibre Fragile (revue et ouvrages) pour laquelle il tient régulièrement une chronique sur la Suède. Il contribue, depuis son installation sous le cercle polaire, en 2009, à POPnews.com, l’un des plus anciens sites français consacrés à la musique indépendante. Ces seules passions durables sont À La Recherche du Temps Perdu de Marcel Proust, les épinards au miso et la musique de Morton Feldman. Sans oublier celle de Richard Wagner, natürlich.
Crédits photo : © Henrik Nilsson

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