En ayant pour objectif de programmer, dès son arrivée, la Tétralogie à l’Opéra de Paris, projet colossal mais fédérateur, Philippe Jordan savait qu'il prenait des risques, mais que ce qui allait devenir « son » orchestre avait tout pour relever le défi. A force de travailler ensemble, de chercher une sonorité et un style commun susceptible de servir Wagner, mais également d'autres répertoires, le chef suisse et ses musiciens peuvent se targuer aujourd'hui d'avoir retrouvé un niveau et une notoriété que beaucoup leur envient. Après un Ring, un Tristan et Isolde et des Maîtres Chanteurs remarqués, des concerts et même un album avec Nina Stemme paru chez Erato en 2013, le lancement de la saison 2016–2017 a donc eu lieu le 15 septembre avec un plein programme Wagner.
Débuté par de larges extraits symphoniques tirés de L'Or du Rhin, l'orchestre de l'Opéra a immédiatement démontré combien la cohésion entre chaque pupitre était indispensable pour que ces pages extrêmement imagées nous parviennent instantanément. Traité avec la sobriété, la clarté et la rigueur qui caractérisent la direction de Jordan, le tissu orchestral envoûte, tout en révélant ici le lourd pas des Géants, là l'or aveuglant surveillé par les Filles du Rhin, plus loin le calme solennel du Whalhalla après le chant de la forge reconnaissable par le son assourdissant des marteaux frappant sur les enclumes du Nibelheim, autant de motifs essentiels et avant-coureurs qui ponctuent toute la tétralogie.
Changement de décor total avec les passages de La Walkyrie enchaînés quasiment sans rupture. Avec la célèbre « Walkürenritt » le chef, sans partition, libère tout à coup les forces et l'énergie contenues par ses troupes, pour partir à l’assaut de ce morceau iconique où les cordes cinglent et les cuivres exultent. Moment plus intime décrivant la douleur d'un père contraint de punir sa fille préférée mais désobéissante, le « Feuerzauber », plus poétique et crépitant encore qu'au disque (gravé en juin 2013 Salle Liebermann de la Bastille), terminait cette première journée avant que ne retentissent les fameux « Murmures de la forêt » issus de Siegfried. Là aussi quelle délicatesse, quel soin apporté aux phrasés et aux couleurs pour mieux mettre en valeur les doux frémissements de la Nature.
La seconde partie était consacrée à la 3ème et dernière journée du Ring, Götterdämmerung. Qu'il s'agisse du « Voyage de Siegfried sur le Rhin », ou de la « Marche funèbre », Jordan dirige avec une honnêteté et une sincérité telle qu'il obtient tout de ses instrumentistes. La plénitude côtoie ainsi la détresse, le drame succède à la félicité et la vie fait place à la mort dans la plus parfaite harmonie et l'équilibre le plus pure.
Sans que nous nous y attendions, se glissant comme une ombre, Anja Kampe s’avançait pour conclure ce concert avec sa première « Immolation » parisienne. Dans ce morceau de bravoure écrasant, la soprano a brillamment rempli son contrat : diction admirable, legato puissant, ambitus développé à chaque extrémité, intensité du texte, tous les éléments étaient réunis pour servir cette partition grandiose et la transcender.
La saison de concerts 2016–2017 s'annonce exceptionnelle.
François Lesueur