Joseph Haydn (1732–1809)
La Création (La Creazione del mondo)
Oratorio en trois parties
pour trois voix solistes, chœur et orchestre
Version italienne de Giuseppe Càrpani (1801) d'après le texte allemand Gottfried van Swieten

Gabriele / Eva                  Lenneke Ruiten, soprano
Uriele                                 Giovanni Sala, tenore
Raffaele / Adamo            Roberto Lorenzi, basso

Orchestra e Coro dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia
Chef et chœurs, Piero Monti

Sir John Eliot Gardiner, direction musicale

Roma, Auditorium Parco della musica, jeudì 13 janvier 2022, 19h30

John Eliot Gardiner nous étonnera toujours. Pour son retour à la tête de l’Orchestra dell’Accademia Nazionale di  Santa Cecilia, avec La Création de Joseph Haydn, en hommage au lieu et au public, le chef britannique, qui est un philologue d'une valeur scientifique indiscutable, a proposé l'oratorio monumental dans son texte italien, contre le schématisme rigide qui ne voudrait que le texte allemand. Un signe d'intelligence ouverte et de grande confiance dans l'interprétation. Et le résultat lui a donné raison.

Étant donné le lieu du concert, il est clair que le choix de Gardiner de proposer le texte dans la version italienne, établie en 1801 par l'abbé Giuseppe Càrpani, ne manquait pas d'intérêt. Voilà une version remarquablement réalisée qui, du vivant de Haydn, fit déjà connaître le chef‑d'œuvre au public des principales villes italiennes dès la première décennie du XIXe siècle. Il n'y a donc pas de discussion face aux puristes qui voudraient toujours une exécution en langue originale. Et d'ailleurs, la langue "originale" n'est pas originale, car le texte allemand habituel est une traduction du véritable original, qui est l'anglais. Voilà donc John Eliot Gardiner  de retour sur le podium de Santa Cecilia pour diriger La Création, l'oratorio de Joseph Haydn qui, depuis son apparition à la fin du XVIIIe siècle, est devenu l'un des monuments de la vie musicale.

Fort de son immense expérience de la musique ancienne, de son soin habituel à mettre en valeur les mots et leur sens, et de sa bonne connaissance de la langue italienne, le chef britannique a donné une lecture mémorable de la partition et de son livret dans cette version inhabituelle. En effet, le texte lui-même a été sculpté avec une réelle plasticité expressive, grâce à l'intelligence et à la sensibilité des chanteurs. Outre les solistes, les ensembles de l'Accademia nazionale di Santa Cecilia ont offert une belle prestation, qui correspondait parfaitement aux intentions interprétatives de Gardiner : l'Orchestre, avec sa sonorité limpide, douce et enveloppante, mais aussi avec des élans grandioses, et le Chœur (préparé par Piero Monti), autre protagoniste de son itinéraire particulier, avec ses moments délicats et d'autres ouvertement incisifs.

Dès la fresque d'ouverture, dans la description du Chaos, puis dans le passage de l'obscurité à la lumière, le souci du détail de Gardiner apparaît. Et le premier récitatif de l'archange Raffaele (Raphaël), intensément articulé par la basse Roberto Lorenzi (plus tard Adam dans la dernière partie d'Eden), laisse sa marque avec cette fermeture à peine murmurée sur le vers "o in lievi fiocchi d'illibata neve" (ou dans de légers flocons de neige immaculée).. Il s'agit presque d'un madrigalisme du XVIe siècle, un territoire bien connu du maître anglais, comme le confirme l'aria suivante "Rotolando i spumanti marosi" (Roulant sur les marais étincelants), toujours de Raffaele, dans laquelle le timbre chaud et moelleux de Lorenzi parvient également à garantir une syllabation toujours raffinée et expressive.

Peu à peu, au fur et à mesure que l'histoire et la musique se déroulent, le clair-obscur de l'interprétation de Gardiner se définit, qui à chaque étape palpite d’une grande capacité de communication et de finesse introspective. La performance de la soprano néerlandaise Lenneke Ruiten dans le rôle de Gabriele (elle sera plus tard Eva dans l'épisode final) est extraordinaire, un rôle dans lequel elle fait preuve d'une diction parfaite et, surtout, d'une qualité vocale impeccable dans son phrasé et son dosage des tons. On sent que Ruiten est une interprète active, surtout en musique de chambre, un domaine dans lequel on peut travailler avec attention, mesure et intelligence. Et en effet, elle s'exécute avec une élégance certaine même dans les colorature et les divers da capo, comme dans l'aria "Dell'occhio al diletto" (Pour le plaisir des yeux le spectacle gracieux), où son goût fin se confirme même en pianissimo. En l'écoutant, on comprend immédiatement pourquoi le maestro l'a voulue dans la distribution ; il faut d'ailleurs noter le soin spécifique que le chef anglais accorde à l'exécution des da capo.

Le ténor Giovanni Sala a également été digne d'éloges, donnant voix au personnage d'Uriele (Uriel) affichant un timbre lumineux, expressif et convaincant à chaque moment de l'exécution. La flexibilité de son phrasé lui a permis d'obtenir les accents appropriés dans l'aria d'ouverture "Al brillar degl'almi rai"(Alors, devant les rayons sacrés), ainsi que l'éclat nécessaire pour dépeindre le lever du soleil dans "Ecco in un mar di luce"(En plein éclat le soleil rayonnant). La contribution de Sala s'est ajoutée à la palette de couleurs souhaitée par John Eliot Gardiner, qui a construit une concertazione savamment mesurée dans la mise au point du polyptyque monumental, dans une articulation astucieuse entre des passages péremptoires et des refrains plus lyriques et délicats. Et son message a atteint le public, droit au coeur, qui a récompensé le chef d'orchestre, les solistes et les ensembles de l'Accademia di Santa Cecilia  par de longues ovations.

 

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Francesco Arturo Saponaro
Francesco Arturo Saponaro a exercé comme enseignant d’histoire de la musique et de directeur de Conservatoire. Depuis toujours il maintient une présence attentive dans le champ du journalisme musical. Il écrit dans Amadeus, Classic Voice sur les journaux en ligne Wanderer, et Succede Oggi. Il a écrit aussi dans d’autres journaux Il Giornale della Musica, Liberal, Reporter, Syrinx, I Fiati. Il a collaboré de nombreuses années avec la RAI pour les trois radios animant d’innombrables émissions, ainsi que pour la télévision (RAIUNO et les rubriques musicale du journal télévisé TG1)

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