Écrits de Vincent d’Indy, vol. 3 : 1919–1931,
rassemblés et présentés par Gilles Saint Arroman.
Editions Actes Sud / Palazzetto Bru Zane, novembre 2024. 696 pages, 45 euros.

Publié en novembre 2025

A n’en point douter, les chercheurs apprécieront de pouvoir désormais disposer, en trois volumes, des écrits jusque-là épars de Vincent d’Indy. Il n’est pourtant pas certain que le compositeur, un peu négligé malgré la résurrection de Fervaal en concert au festival de Montpellier en 2019, sorte grandi de la lecture du dernier tome, tant s’y réitèrent des opinions déjà présentes dans les précédents et qui reflètent des préjugés qu’on voudrait croire d’un autre âge. 

Si le vin se bonifie en vieillissant, on ne peut pas toujours en dire autant des êtres humains ; dans le cas de Vincent d’Indy, le grand âge semble surtout avoir exacerbé les préjugés et les détestations, et rendu plus schématiques des conceptions déjà bien tranchées. C’est hélas la conclusion qu’impose la lecture du troisième et dernier volume des écrits du compositeur, recueillis et, le cas échéant, traduits par Gilles Saint Arroman. Ainsi s’achève une entreprise éditoriale de longue haleine qui a démarré en 2019, le premier volume couvrant les années 1877 à 1903, et le suivant, paru en 2021, la période 1904–1918. Ce que nous disions ici même de ce deuxième tome pourrait être mot pour mot, tant les bêtes noires du père de Fervaal restent les mêmes au fil des années.

Né en 1851, d’Indy assista avec enthousiasme à la première de Carmen et à celle de Pelléas, mais les révolutions musicales suivantes le laissèrent insensible, voire hostile. En 1913, il était apparemment déjà trop tard pour que son oreille s’habitue à ce qui serait la musique de la modernité, et il juge Stravinsky de haut, estimant que « le fameux Sacre […] a déjà considérablement vieilli ». Quant à Schoenberg, c’est pour d’Indy un imposteur, qui méprise toutes les règles pour « produire des choses minuscules, sans forme, sans composition, sans tonalité, bref, sans art. » De manière générale, d’Indy reproche aux jeunes qui l’entourent – les Six, principalement, Honegger étant le seul pour qui il marque un peu plus d’estime – de manquer de métier et de vouloir trop vite offrir au public des œuvres insuffisamment muries : « Il y a de la vulgarité dans leur musique, du bruit et des dissonances. Il y a des lacunes dans la composition qu’ils dissimulent avec du bruit. »

De manière à peu près systématique, d’indy septuagénaire (il fêtera ses 80 ans en mars 1931 et mourra en décembre de la même année) rejette tous ceux qui forment aujourd’hui le répertoire du xxe siècle. Puccini est voué aux gémonies : rien de plus logique, de la part de celui qui considérait la musique italienne (postérieure à Palestrina et Monteverdi) comme « une sorte de pourriture », « sensuelle et décadente », vaillamment boutée hors de France à plusieurs reprises, avant qu’elle ne s’impose à Paris au xixe siècle. Après « ces ignobles Tosca, Pagliacci et autres opéras italiens de la pire école, dont l’insignifiance musicale n’est même pas relevée par le prestige de l’habileté d’écriture », Turandot, présentée à Garnier en 1928, est un « œuvre évidemment bâclée ». D’ailleurs, lorsque d’Indy assiste à New York à une représentation de La Ville morte, il déclare que Korngold, dont il craignait qu’il pratique le kolossal à la Richard Strauss, est en fait « un mauvais Puccini et un mauvais Leoncavallo ». Quant aux Italiens plus hardis, ils ne valent guère mieux : si Casella n’est qu’un bruitiste dont les « morceaux manquent d’intérêt parce que de vie, de cœur », Malipiero est « le meilleur des musiciens médiocres que l’Italie à offrir en ce moment ». Ils représentent « l’école de la cacophonie » et « Leur travail n’est pas du tout de la musique. » Et d’Indy d’attribuer leur succès aux snobs qui, voulant à tout prix éviter l’erreur des bourgeois jadis hostiles à toute innovation, s’empressent d’adopter toute prétendue nouveauté…

Evidemment, le jazz n’est que « bruits » et « clownerie », et d’Indy ne craint pas de s’embourber dans des théories malodorantes, comme celle du « marais italico-judaïque » et « éclectique » où croupissent à la fois Rossini et Meyerbeer. De manière assez peu cohérente, il présente les compositeurs français comme appartenant à la « race latine », ennemie des Italiens (qui ne sont sans doute pas latins), Gluck devenant un Latin honoraire puisque, après avoir produit « d’insipides opéras italiens », il se mit à créer des chefs‑d’œuvre bien de chez nous. Et d’Indy de citer Le Judaïsme dans la musique, où le génial Wagner a « très bien établi » que « cette race [juive] » n’a jamais produit aucun créateur de génie, mais seulement des médiocres et des imitateurs.

Se réjouissant de la « renaissance catholique qui se dessine » selon lui dans les années 1920, d’Indy prend position sur la musique liturgique et même sur le latin d’église, contre la prononciation gallicane. C’est probablement sa foi religieuse qui, lorsque la revue Comoedia demande à divers artistes quelles sont les trois œuvres d’art qu’il voudrait sauver, lui fait nommer (et il est le seul compositeur à avoir répondu) une fresque de Simone Martini représentant sainte Claire et la fresque du Panthéon où Puvis de Chavannes a représenté sainte Geneviève veillant sur Paris, en plus des Régentes de l’hospice des vieillards de Frans Hals. Depuis longtemps, son antisémitisme contamine son catholicisme, et cette ultime décennie de sa vie lui donne une fois de plus l’occasion de multiplier les attaques contre « Minuit, chrétiens » d’Adolphe Adam, cantique contre lequel il ne trouve pas de mots assez durs : « ignoble Noël », « abominable chanson de café-concert », « ignoble chanson d’ivrogne », « une musique ignoble, une musique de cabaret, et je le répète : une musique d’ivrogne »…

Naturellement, Gilles Saint Arroman, dans son introduction, fait de son mieux pour souligner les mérites de d’Indy, toujours très sollicité pour offrir des préfaces à toutes sortes d’ouvrages, et qui continue à se produire en tant que chef, en Europe comme outre-Atlantique. A plusieurs reprises, la passion du compositeur pour ses illustres aînés s’exprime à travers des textes savants, essentiellement sur la trinité Bach-Beethoven-Franck, dans une vision de l’histoire de la musique assez personnelle. Néanmoins, à la lecture de ces pages où l’on découvre les convictions de Vincent d’Indy, « des plus datées aux plus actuelles, des moins défendables aux plus visionnaires », selon le musicologue, le lecteur en vient plus d’une fois à se demander si l’ignoble est vraiment là où l’aristocratique compositeur le prétend.

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.

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1 COMMENTAIRE

  1. La publication de ces écrits est une excellente chose.Les positions de Vincent d’Indy sur les juifs ou sur les compositeurs de son époque sont bien connues et il est ridicule de le juger en fonction de ce que nous savons ou pensons aujourd’hui.Il convient de faire l’effort de se placer à la date où d’Indy a exprimé ces opinions et nous pouvons constater qu’en dépit d’un certain nombre de jugements que nous considérons aujourd’hui comme stupides d’Indy est souvent clairvoyant et pertinent.J’ajoute que ces écrits sont souvent de circonstance et que leur auteur n’imaginait pas qu’ils seraient re publiés un siècle après.

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