Wolfgang Amadeus Mozart (1756–1791)
Mitridate, Re di Ponto (1770)
Opera seria en trois actes
Livret de Vittorio Amedeo Cigna-Santi
Créé au Teatro Regio Ducale (Milan) le 26 décembre 1770

Michael Spyres  (Mitridate)
Julie Fuchs (Aspasia)
Elsa Dreisig (Sifare)
Paul-Antoine Bénos-Djian (Farnace)
Sabine Devieilhe (Ismene)
Cyrille Dubois (Marzio)
Adriana Bignagni Lesca (Arbate)

Les Musiciens du Louvre
Marc Minkowski (direction musicale)

3 CD Erato 2021 (59'41, 50'48 et 40'42)

Enregistrement du 19 au 23 novembre 2020 à la Philharmonie de Paris.

Gravé en pleine pandémie, ce nouvel enregistrement de Mitridate, re di Ponto succède au dvd paru chez Erato de la production signée Emmanuelle Haïm/Clément Hervieu-Léger présentée à Paris, au Théâtre des Champs-Elysées, en février 2016. Longtemps dénigrée, cette œuvre de jeunesse d’un Mozart bouleversé par son voyage en Italie et par sa rencontre avec le castrat Farinelli, est aujourd’hui défendue par des chanteurs aguerris et convaincus de l’intérêt de cette partition à part. Toujours à la tête des Musiciens du Louvre après une première tentative réussie à Salzbourg en 2005(Decca), Marc Minkowski retrouve avec plaisir cet ouvrage qu’il dirige pied au plancher, bénéficiant pour ce faire d’une distribution homogène et fortement impliquée.

 

Mitridate re di Ponto comme Lucio Silla, parce que composé à l’orée d’une carrière prolifique et météorique et taxé d’opéra de jeunesse, a suscité l’intérêt que très récemment avec une première reprise en… 1971. Avant que l’opera seria ne soit à la mode, chefs et directeurs de salles ne se préoccupaient guère de ces œuvres du passé jugées inférieures aux chef‑d’œuvres de la maturité. Mozart n’a en effet que quatorze ans lorsqu’il écrit Mitridate, une commande du Teatro Regio de Milan pour le Carnaval. Frappé par la musique et les artistes alors en vogue en Italie, le petit génie s’enthousiasme et s’applique à respecter les conventions alors en cours. Le sujet d’abord est celui d’une tragédie de Racine sur une intrigue éminemment classique ; Mitridate souverain du Royaume du Pont, et ses deux fils Farnace et Sifare, sont tous trois amoureux de la Princesse Aspasia. Elle est promise à Mitridate qui part combattre Rome, mais elle aime en secret Sifare qui la chérit en retour. Farnace trahit son père en s’alliant avec l’ennemi romain. A l’issue du combat Mitridate pardonne à Farnace et bénit le mariage d’Aspasia et Sifare avant de mourir. Il en découle un opera seria respectueux dans la forme, mais à l’inspiration débridée comme en témoignent une succession d’aria da capo richement ornés, le jeune Mozart mettant un point d’honneur à multiplier la virtuosité pour satisfaire les chanteurs dont il dispose pour sa création. La rivalité qui oppose les deux fils du Roi du Pont devient donc sous les doigts de l’intrépide autrichien un combat échevelé entre interprètes à la bravoure illimitée.

Pour Marc Minkowski à qui la direction de cette nouvelle intégrale a été confiée, il s’agit d’un retour aux sources puisque le chef s’est déjà confronté à l’ouvrage en 2005 (dvd publié chez    Decca). Toujours aussi enflammée, sa battue n’a rien perdu de son énergie et de sa capacité à maintenir l’attention sur la durée. Jouée à un train d’enfer, l’ouverture donne le ton de cette lecture de bout en bout attentive et soignée qui ne laisse rien ni personne de côté, du rôle-titre écrasant aux seconds forcément moins exposés. Après avoir dirigé Richard Croft, Minkowski ne pouvait imaginer Mitridate plus brillant que Michael Spyrès. Le ténor américain, plus encore que sur la scène du TCE en 2016, réalise un parcours sans faute où la vaillance rivalise avec la profondeur psychologique. Son Mitridate au timbre séducteur, se joue de la tessiture avec insolence et maitrise une belle gamme d’affects qui rendent son personnage pourtant avide de pouvoir et de gloire, fragile et donc humain, notamment au moment du pardon et de la mort. Pour autant le souvenir de Rockwell Blake à Aix en 1983 demeure (dvd EuroARts) et la prestation de ce prodigieux aîné pourra sembler supérieure à ceux qui l’on vu et entendu dans la production de Jean-Claude Fall dirigée par Theodor Guschelbauer.

Aspasia revient assez naturellement à Julie Fuchs : la voix de la soprano n’est pas très large et ne possède ni le rayonnement ni la rareté de celle d’Yvonne Kenny (chez Harnoucourt dvd DG 1986 et Guschelbauer) mais la cantatrice s’empare assez finement de la partition à laquelle elle apporte un lustre et une virtuosité bienvenues. Les voyelles manquent pourtant de mordant et l’italien d’une plus rigoureuse netteté, mais les variations du grand air « Al destin di chi minaccia » sont plutôt réussies, comme les nombreux récitatifs solidement accompagnés par Jory Vinikour au clavecin, abordés avec assurance. Elsa Dreisig parait toujours assez scolaire et son Sifare au style erratique souffre d’une diction molle surtout dans « Soffre il mio core » ; il faut donc patienter jusqu’à « Lungi da te » avec cor obligé pour que la soprano se montre davantage impliquée et donne enfin le sentiment de croire à son personnage tiraillé entre amour et devoir. De son côté le timbre de Sabine Devieilhe semble résister à tous les traitements sans parvenir à se détendre et à gagner en rondeur malgré les années. L’émission rétrécie et les accents pointus dont elle pare cette Ismene ne caressent jamais nos oreilles, surprises par tant de verdeur et d’acidité.

Dans le rôle de Farnace, le contreténor Paul-Antoine Bénos-Djian est tout à fait honorable, comme la mezzo Adriana Bignagni Lesca dans celui d’Arbate pour lequel elle distille un chant incisif, tandis que Cyrille Dubois retrouve le petit rôle de Marzio qu’il interprétait déjà au TCE.

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François Lesueur
Après avoir suivi des études de Cinéma et d'Audiovisuel, François Lesueur se dirige vers le milieu musical où il occupe plusieurs postes, dont celui de régisseur-plateau sur différentes productions d'opéra. Il choisit cependant la fonction publique et intègre la Direction des affaires culturelles, où il est successivement en charge des salles de concerts, des théâtres municipaux, des partenariats mis en place dans les musées de la Ville de Paris avant d’intégrer Paris Musées, où il est responsable des privatisations d’espaces.  Sa passion pour le journalisme et l'art lyrique le conduisent en parallèle à écrire très tôt pour de nombreuses revues musicales françaises et étrangères, qui l’amènent à collaborer notamment au mensuel culturel suisse Scènes magazine de 1993 à 2016 et à intégrer la rédaction d’Opéra Magazine en 2015. Il est également critique musical pour le site concertclassic.com depuis 2006. Il s’est associé au wanderesite.com dès son lancement

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