Mitridate re di Ponto comme Lucio Silla, parce que composé à l’orée d’une carrière prolifique et météorique et taxé d’opéra de jeunesse, a suscité l’intérêt que très récemment avec une première reprise en… 1971. Avant que l’opera seria ne soit à la mode, chefs et directeurs de salles ne se préoccupaient guère de ces œuvres du passé jugées inférieures aux chef‑d’œuvres de la maturité. Mozart n’a en effet que quatorze ans lorsqu’il écrit Mitridate, une commande du Teatro Regio de Milan pour le Carnaval. Frappé par la musique et les artistes alors en vogue en Italie, le petit génie s’enthousiasme et s’applique à respecter les conventions alors en cours. Le sujet d’abord est celui d’une tragédie de Racine sur une intrigue éminemment classique ; Mitridate souverain du Royaume du Pont, et ses deux fils Farnace et Sifare, sont tous trois amoureux de la Princesse Aspasia. Elle est promise à Mitridate qui part combattre Rome, mais elle aime en secret Sifare qui la chérit en retour. Farnace trahit son père en s’alliant avec l’ennemi romain. A l’issue du combat Mitridate pardonne à Farnace et bénit le mariage d’Aspasia et Sifare avant de mourir. Il en découle un opera seria respectueux dans la forme, mais à l’inspiration débridée comme en témoignent une succession d’aria da capo richement ornés, le jeune Mozart mettant un point d’honneur à multiplier la virtuosité pour satisfaire les chanteurs dont il dispose pour sa création. La rivalité qui oppose les deux fils du Roi du Pont devient donc sous les doigts de l’intrépide autrichien un combat échevelé entre interprètes à la bravoure illimitée.
Pour Marc Minkowski à qui la direction de cette nouvelle intégrale a été confiée, il s’agit d’un retour aux sources puisque le chef s’est déjà confronté à l’ouvrage en 2005 (dvd publié chez Decca). Toujours aussi enflammée, sa battue n’a rien perdu de son énergie et de sa capacité à maintenir l’attention sur la durée. Jouée à un train d’enfer, l’ouverture donne le ton de cette lecture de bout en bout attentive et soignée qui ne laisse rien ni personne de côté, du rôle-titre écrasant aux seconds forcément moins exposés. Après avoir dirigé Richard Croft, Minkowski ne pouvait imaginer Mitridate plus brillant que Michael Spyrès. Le ténor américain, plus encore que sur la scène du TCE en 2016, réalise un parcours sans faute où la vaillance rivalise avec la profondeur psychologique. Son Mitridate au timbre séducteur, se joue de la tessiture avec insolence et maitrise une belle gamme d’affects qui rendent son personnage pourtant avide de pouvoir et de gloire, fragile et donc humain, notamment au moment du pardon et de la mort. Pour autant le souvenir de Rockwell Blake à Aix en 1983 demeure (dvd EuroARts) et la prestation de ce prodigieux aîné pourra sembler supérieure à ceux qui l’on vu et entendu dans la production de Jean-Claude Fall dirigée par Theodor Guschelbauer.
Aspasia revient assez naturellement à Julie Fuchs : la voix de la soprano n’est pas très large et ne possède ni le rayonnement ni la rareté de celle d’Yvonne Kenny (chez Harnoucourt dvd DG 1986 et Guschelbauer) mais la cantatrice s’empare assez finement de la partition à laquelle elle apporte un lustre et une virtuosité bienvenues. Les voyelles manquent pourtant de mordant et l’italien d’une plus rigoureuse netteté, mais les variations du grand air « Al destin di chi minaccia » sont plutôt réussies, comme les nombreux récitatifs solidement accompagnés par Jory Vinikour au clavecin, abordés avec assurance. Elsa Dreisig parait toujours assez scolaire et son Sifare au style erratique souffre d’une diction molle surtout dans « Soffre il mio core » ; il faut donc patienter jusqu’à « Lungi da te » avec cor obligé pour que la soprano se montre davantage impliquée et donne enfin le sentiment de croire à son personnage tiraillé entre amour et devoir. De son côté le timbre de Sabine Devieilhe semble résister à tous les traitements sans parvenir à se détendre et à gagner en rondeur malgré les années. L’émission rétrécie et les accents pointus dont elle pare cette Ismene ne caressent jamais nos oreilles, surprises par tant de verdeur et d’acidité.
Dans le rôle de Farnace, le contreténor Paul-Antoine Bénos-Djian est tout à fait honorable, comme la mezzo Adriana Bignagni Lesca dans celui d’Arbate pour lequel elle distille un chant incisif, tandis que Cyrille Dubois retrouve le petit rôle de Marzio qu’il interprétait déjà au TCE.