Le cycle Berlioz confié au plus français des chefs américains, John Nelson, par les éditions Erato, s’achève donc en beauté avec cette gravure mi-studio, mi direct de la symphonie lyrique Roméo et Juliette. L’album réalisé en juin 2022, résultat d’une semaine en studio et d’un mélange de répétitions, de prises de sons des deux concerts et de séances dite de raccords, est une incontestable réussite, à l’image des Troyens et de La damnation de Faust. Dès les premiers accords la cohésion d’ensemble entre le chef et un orchestre qu’il est parvenu à façonner pour répondre sa conception, éclate au grand jour. La phalange strasbourgeoise est d’une luxuriance et d’une énergie idéales pour dépeindre avec une grande capacité d’émerveillement le mythe éternel des amants de Vérone, ultime témoignage de l’amour que portait Berlioz à Shakespeare.
Nelson qui vit et respire cette musique comme peu de chefs aujourd’hui, en brosse une version dramatique éblouissante où la passion est exacerbée, mais ou s’expriment les contrastes les plus forts entre la réserve des premières scènes et la jubilation des jeunes amoureux. Tout dans sa direction palpite pour mieux traduire les premiers émois, les premiers tendres aveux, le tempo généralement très vif du maestro ne perdant jamais de vue l’état de tension perpétuel qu’il a voulu instaurer. Sous sa battue, les étoiles scintillent, les échos de la fête raisonnent au lointain, les murmures se répandent avec délicatesse avant que Feux follets et Fée des songes ne viennent caracoler à nos oreilles. Les chœurs Gulbekian et ceux de l’Opéra national du Rhin aussi tendus que brillants, se plient avec brio aux moindres sollicitations de John Nelson, qui fait de chacune de leurs interventions un bijou somptueusement serti, les traitant comme s’ils étaient de véritables solistes. Joyce DiDonato que l’on retrouve avec joie après sa participation aux Troyens et à La damnation de Faust, est magnifique de délicatesse, sculptant de sa voix chaude aux reflets mordorés la phrase berliozienne avec l’élégance et la précision que nous lui connaissons dans ce répertoire et avec quel legato. D’une espièglerie folle, Cyrille Dubois fait l’effet d’un elfe vertigineux qui chante admirablement et avec adresse comme au-dessus d’un précipice, sans oublier de dire son texte au laser, le Père Laurent de Christopher Maltman, autoritaire certes et comme ses comparses s’exprimant dans un français parfaitement intelligible, ne pouvant cependant cacher un vibrato devenu aujourd’hui très envahissant.
La grande scène lyrique Cléopâtre offerte en complément de programme, est la cerise sur un gâteau déjà savoureux. Joyce DiDonato s’y montre géniale d’implication et de nervosité, mordant à pleines dents dans ce texte signé Pierre-Ange Vieillard. Quelle fièvre, quel éclat sur tout le registre, quelle sauvagerie dans l’interprétation. Usant de toutes les aspérités de son instrument, la cantatrice déborde de rage et de désespoir, tout en faisant étalage d’un magistral sens du drame. Bénéficiant d’un accompagnement orchestral exceptionnel, la mezzo nous entraine dans les profondeurs des pyramides pour y mourir par surprise, de la morsure d’un serpent, dans un ultime et déchirant adieu.