Camille Saint-Saëns (1835–1921)

Symphonie en la Majeur
Symphonie n°1 en mi bémol Majeur, op.2
Symphonie en fa Majeur « Urbs Romana »
Symphonie n°2 en la mineur, op.55
Symphonie n°3 en do mineur, op.78

Olivier Latry, orgue
Orchestre National de France
Direction musicale : Cristian M
ăcelaru

3 CD Warner Classics – 58’41 + 43’54 + 61’57
TT 164'33

Enregistré en septembre/octobre 2020 et juin/juillet 2021 à l’Auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique

A l’occasion du centenaire de la mort de Saint-Saëns, l’Orchestre National de France et son directeur Cristian Măcelaru proposent chez Warner une intégrale des symphonies du compositeur : les trois symphonies numérotées, mais aussi les deux œuvres de jeunesse que sont la Symphonie en la Majeur et la Symphonie en fa Majeur (« Urbs Romana »). On sent une adéquation évidente entre la musique de Saint-Saëns et les couleurs de l’orchestre qui fait de ce coffret une belle réussite : il y a dans la direction de Cristian Măcelaru un raffinement et un jeu avec les timbres qui conviennent parfaitement à l’esthétique du compositeur, et ce coffret mérite de figurer parmi les enregistrements de référence.

 

Parmi les parutions discographiques qui ont marqué le centenaire de la mort de Camille Saint-Saëns, on retiendra sans doute l’intégrale des symphonies enregistrées par l’Orchestre National de France et son directeur musical Cristian Măcelaru. En plus de l’intérêt évident que représente une intégrale, ce sont les qualités d’interprétation et le respect du style de Saint-Saëns qui frappent le plus à l’écoute de ce coffret : de la Symphonie en la Majeur à la Symphonie n°3, écrites à trente-cinq ans d’intervalle, se dévoile une esthétique à la fois affirmée et en constante maturation.

Les œuvres de jeunesse

Lorsqu’il compose la Symphonie en la Majeur (non numérotée), Saint-Saëns est âgé de quinze ans. Lorsqu’il compose sa Symphonie n°1, il en a dix-huit : celui qui fut un enfant prodige n’a donc pas attendu longtemps avant de s’essayer au genre symphonique, et si sa première tentative est encore très imprégnée de Mozart et Beethoven, le compositeur fait déjà entendre une clarté, une simplicité thématique, un sens de la couleur qui annoncent les pièces plus tardives et donnent tout son charme à cette œuvre de jeunesse.

Il y a dans le premier mouvement de la Symphonie en la Majeur un mélange de profondeur et de légèreté, ainsi que les réminiscences du premier Romantisme et de l’apogée du classicisme. On l’a dit, Mozart et Beethoven se font entendre plus d’une fois au fil des pages, mais jamais comme des citations et encore moins comme des pastiches : on sent que le jeune Saint-Saëns a parfaitement assimilé leur musique, qu’il en connaît le langage mais le parle avec ses propres accents. Le compositeur accorde une place de choix aux vents tout au long de l’œuvre, les chargeant de colorer la partition : ce sont eux qui, dans l’Andantino, donnent toute sa saveur au matériau thématique très simple des cordes. Ce sont eux également qui chantent dans le scherzo et lui donnent sa couleur pastorale. Enfin, le compositeur réserve de superbes solos au hautbois et au basson dans le dernier mouvement qui y gagne en éclat et en lyrisme, dans une œuvre qui n’a certes pas la maturité des grandes symphonies du répertoire, mais qui séduit toujours par sa vitalité et par le pont qu’elle jette entre les musiques allemande et française, entre les grands maîtres du genre et un jeune compositeur qui se les approprie pour mieux les modeler à sa façon.

La Symphonie n°1 forme un contraste saisissant avec l’œuvre précédente par son caractère martial, figuré par les rythmes pointés qui parcourent la partition. Mais Saint-Saëns joue avec ces couleurs militaires, qui ne revêtent pas nécessairement une apparence tragique mais viennent souvent illuminer l’œuvre : il y a peu de lourdeurs dans le premier mouvement, qui recourt beaucoup aux piani et s’amuse des oppositions de textures entre les cordes et les cuivres. De même dans la « Marche-scherzo » du deuxième mouvement, c’est l’atmosphère champêtre qui prime, les motifs guerriers des cuivres n’étant que des épisodes au milieu d’un mouvement doux et léger et avant un Adagio superbe de raffinement et de lyrisme. La plus grande faiblesse de cette symphonie reste son dernier mouvement, dont le thème principal est abondamment répété sans être véritablement exploité et où la fugue centrale et la cadence finale manquent de la richesse et de l’esprit que possédaient les mouvements précédents.

On pourrait penser que les œuvres plus tardives, qui sont aussi les plus denses, auraient davantage retenu l’attention que les deux premières symphonies ; que la force de la Symphonie n°3 aurait balayé le souvenir des autres. Et pourtant, une fois arrivée au bout de cette intégrale, on garde en tête les œuvres de jeunesse. Pas parce qu’elles dépasseraient musicalement les suivantes, mais parce qu’on y entend les plus belles qualités de l’Orchestre National de France et de son chef : une clarté constante, une délicatesse de la ligne, une homogénéité des pupitres, et surtout la beauté des vents et des cuivres qui illuminent la partition. Cristian Măcelaru n’a pas peur des nuances piano (voire pianississimo comme l’indique parfois Saint-Saëns), ce qui n’est pas toujours le cas au disque où l’on peut craindre de ne pas faire entendre suffisamment les détails : les musiciens déploient même une très large palette dynamique jusqu’au fortissimo qui ajoute au raffinement de l’écriture.

Une très belle réussite de la part de l’orchestre, qui répond parfaitement aux exigences de la partition et en révèle tout l’esprit.

1857–1859 : la tentation du tragique ?

Non numérotée elle aussi, la Symphonie en fa Majeur dite « Urbs Romana » est la plus longue de la production de Saint-Saëns, avec près de quarante-cinq minutes de musique. Si le premier mouvement est immédiatement reconnaissable avec son superbe thème aux cors, à la fois imposant et lointain, le développement s’essouffle un peu au fil des pages. De même, si le deuxième mouvement, vif et enlevé, garde une concision et une cohérence malgré les multiples effets de rupture, le troisième mouvement épuise un peu le thème de la marche funèbre autour duquel il est construit. Au centre de la production symphonique de Saint-Saëns, cette œuvre laisse entrevoir une tentation du tragique, de la grandeur – son titre le prouve assez bien. Pourtant le compositeur n’y souscrit pas totalement : il introduit toujours des moments de respiration, de jeu, voire de joie. Il y a de la vie dans cette « Urbs Romana » : ce ne sont pas les ruines et les remparts inertes de Rome que représente le compositeur, mais tout ce qui les anime.

Tentation et refus du tragique à la fois : voilà précisément ce qui nourrit la Symphonie n°2 qui est peut-être la plus surprenante de Saint-Saëns. Par son effectif orchestral réduit, par ses contrastes permanents entre la grandeur et la douceur, par sa joyeuse tarentelle du dernier mouvement également, qui connaît maints développements dramatiques avant de revenir à l’enthousiasme du début. On se laisse surtout emporter par la beauté de l’Adagio, construit avec presque rien et pourtant d’un raffinement confondant. Le compositeur n’a que vingt-quatre ans lorsqu’il compose cette œuvre, mais il abandonne ensuite le genre symphonique jusqu’en 1885 : faut-il comprendre par ce long silence que Saint-Saëns avait achevé, avec sa Symphonie n°2, ce qu’il espérait accomplir ? Ou était-il conscient que le genre avait besoin d’un renouveau ? Quoi qu’il en soit, Saint-Saëns fait ici la synthèse entre une inspiration germanique et des couleurs très personnelles, avec une œuvre dont la tonalité mineure de départ n’est qu’un prétexte à toutes les métamorphoses.

Dans la Symphonie « Urbs Romana » comme dans la Symphonie n°2, ce sont d’abord les qualités expressives de l’Orchestre National de France qui se font entendre : le large spectre de nuances que nous évoquions plus tôt, du pianissimo au fortissimo, est ici largement exploité mais sans surjeu ou affectation. Cristian Măcelaru parvient également à conserver une belle cohérence malgré les ruptures de la partition – on pense tout particulièrement au deuxième mouvement de la symphonie « Urbs Romana » et au finale de la deuxième symphonie.

Malgré tout, bien que l’interprétation soit de haut niveau et offre quelques superbes moments (comme l’Adagio de la Symphonie n°2), l’énergie retombe par endroits et on ne retrouve pas toutes les couleurs qui faisaient la réussite de la Symphonie en la Majeur et de la Symphonie n°1 : c’est là le piège de l’intégrale, où la comparaison reste assez inévitable. Ainsi, on préfèrera sans doute aux enregistrements de la Symphonie « Urbs Romana » et de la Symphonie n°2 les autres pièces du coffret, où les qualités de l’orchestre s’affichent de manière plus évidente.

La Symphonie n°3 : entre maturité et renouvellement du genre symphonique

On l’a dit, vingt-sept ans séparent la Symphonie n°2 de la Symphonie n°3 – cette dernière répondant à une commande de la Philharmonic Society de Londres. Si l’œuvre a connu un accueil très favorable lors de sa création et si elle perdure aujourd’hui comme une pièce phare du genre symphonique, c’est sans doute parce qu’elle mêle savamment des éléments traditionnels, parfaitement assimilés par le compositeur, et des éléments plus originaux qui lui donnent son caractère hors-normes. On y retrouve en effet des formes bien connues telles que le choral ou la fugue, ainsi que le thème du « Dies Irae » qui parcourt la partition ; mais Saint-Saëns, en regroupant les mouvements par deux et surtout en faisant intervenir l’orgue et le piano, amène l’œuvre vers des sonorités inhabituelles et le genre symphonique vers un renouveau. Ce n’est peut-être pas un changement fondamental ni fracassant qu’opère le compositeur : mais la Symphonie n°3 est bien une œuvre de la maturité, de l’affirmation d’un style personnel sans renier les influences qui l’ont construit.

L’Orchestre National de France ne déploie pas d’emblée ses forces mais développe une longue gradation dynamique tout au long du premier mouvement. On apprécie particulièrement dans la direction de Cristian Măcelaru la hiérarchie qu’il maintient entre les cordes, avec leurs motifs très serrés, et les vents, aux longues lignes chantantes. On a dans les premières pages de l’œuvre une impression de clarté, de structure, d’équilibre, pour une symphonie qui construit par paliers son caractère monumental. On sent les musiciens parfaitement dans leur élément dans l’Adagio où les cordes déploient tout le lyrisme dont elles sont capables, avec un son vibrant et une ligne bien soutenue malgré le tempo lent du mouvement ; c’est à ce moment qu’intervient pour la première fois l’orgue, tenu ici par Olivier Latry, qui soutient par des accords tenus le chant des cordes : d’abord imperceptible, le son de l’instrument se déploie progressivement et apporte une couleur et une matière tout à fait différentes de celles de l’orchestre, ce qui donne à ce mouvement un calme et un recueillement bienvenus avant le Scherzo poignant et fragmentaire qui ouvre la deuxième partie. Si l’on sent une forme d’urgence dans ce scherzo, c’est pour mieux préparer le finale qui impose sa monumentalité grâce à l’accord introductif de l’orgue. Autant l’instrument donnait à l’Adagio un caractère presque religieux, autant il agit dans le finale comme une voix d’autorité et s’extrait définitivement de l’église au profit de la salle de concert.

L’Orchestre National de France fait preuve d’une énergie et d’une volonté qui trouvent un nouvel élan à chaque nouvelle idée musicale : ils s’emparent de la musique de Saint-Saëns sans se laisser dépasser par ses proportions et sans exagérer son emphase. Cristian Măcelaru parvient également à faire entendre la beauté des différents pupitres, à jouer avec les timbres et les matières – ce qui est une gageure dans un dernier mouvement où l’orgue risque toujours d’écraser l’orchestre, et où l’effectif imposant pourrait brouiller les contours et les reliefs.

Efficace mais raffinée, la direction du chef prouve que l’Orchestre National de France sait défendre la musique française, qu’il en a le goût et les moyens musicaux. Il existe déjà quelques intégrales des symphonies de Saint-Saëns, et de bonne qualité ; mais ce qui a fait la différence ici est le son de l’orchestre, qui semble assez idéal pour cette musique. On peut lui préférer des enregistrements plus musclés, plus romantiques, plus narratifs, mais on perçoit ici une adéquation entre la musique et ses interprètes qui convainc entièrement, et qui fait de cet enregistrement un événement discographique important de l’année du centenaire de la mort de Saint-Saëns, et une intégrale à laquelle se référer.

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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.

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