Handel’s Unsung Heroes

Georg Friedrich Händel (1685–1759)

Teseo : Ouverture
Rinaldo : Marcia, Battaglia, « Or la tromba », « Venti turbini »
Alcina : « Sta nell’Ircana pietrosa tana »
Giulio Cesare in Egitto : Sinfonia, Rec., « V’adoro pupille », « Se in fiorito ameno prato »
Ariodante : « Scherza infida »
Aci, Galatea e Polifemo : « Qui l’augel da pianta in pianta
Rodrigo : Passacaille
Amadigi di Gaula : « Pena tiranna »
Agrippina : « Se giunge un dispetto »

Leo Duarte, hautbois
Joe Qiu, basson
Thomas Gould, violon
Paul Sharp, trompette
Roger Montgomery, Joseph Walters, cor
Lucy Crowe, soprano
Iestyn Davies, contre-ténor
Christine Rice, mezzo-soprano
Alexander Chance, contre-ténor

La Nuova Musica
Direction musicale : David Bates 

1 CD Pentatone – 71’16

Enregistré à St. Jude-on-the-Hill, Londres, en octobre 2020

Un énième album d’airs de Haendel ? Pas tout à fait. Car avec « Handel’s unsung heroes », David Bates laisse autant de place aux chanteurs qu’aux solistes instrumentaux auxquels le compositeur a réservé des pages d’une virtuosité qui n’a rien à envier à la ligne vocale. Dans cet enregistrement justement, ce ne sont pas les chanteurs qui séduisent le plus – malgré une technique parfaitement solide, les prestations de Lucy Crowe, Iestyn Davies et Christine Rice manquent en effet de relief dramatique pour totalement convaincre. Ce sont les instrumentistes qui remportent la mise grâce à de très belles interprétations, à la fois virtuoses et expressives.

On pourrait croire, à voir le programme de cet album, à un énième enregistrement d’airs de Haendel voués à mettre en lumière la virtuosité des chanteurs – et qui plus est dans des airs bien connus. Mais qu’on ne s’y trompe pas : les noms de Lucy Crowe, Iestyn Davies et Christine Rice ne figurent pas en tête de l’album, car ceux que l’on célèbre ici ne sont pas les chanteurs mais « Handel’s unsung heroes », c’est-à-dire tous ces instruments auxquels le compositeur a confié des pages solistes, virtuoses, expressives et qui entrent en dialogue (voire en compétition) avec la voix. Car tout obnubilés que l’on soit parfois par les feux d’artifice vocaux déployés sur scène, on écoute moins ce que l’orchestre peut avoir de brillant et de complexe, et on oublie que la prouesse technique est aussi dans la fosse.

David Bates réunit ainsi des pages qui mettent sur un pied d’égalité chanteurs et musiciens dans un programme varié – des combats de Rinaldo à la revanche de Poppea en passant par les séductions de Cléopâtre, la peine d’Ariodante et le chant des oiseaux d’Aci, Galatea e Polifemo. Mais le programme a également l’intelligence de ne pas faire se succéder systématiquement des pages brèves, complètement sorties de leur contexte dramatique : ainsi, l’air de Rinaldo « Or la tromba » est précédé de sa marche et de sa scène de bataille, ou encore le « V’adoro pupille » chanté par Cléopâtre est précédé de ses sinfonie et de ses récitatifs, puis suivi de l’air de César « Se in fiorito ameno prato ». Ce sont donc de véritables morceaux d’opéra qui sont proposés à l’auditeur, évitant ainsi l’impression d’être dans un récital tout à fait décousu. Pour venir à bout de ce riche programme, David Bates et La Nuova Musica ont fait appel à quatre chanteurs (la soprano Lucy Crowe, la mezzo Christine Rice et les contre-ténors Iestyn Davies et Alexander Chance, ce dernier interprétant uniquement le petit rôle de Nireno), ainsi qu’aux solistes Leo Duarte (hautbois), Joe Qiu (basson), Thomas Gould (violon), Paul Sharp (trompette), Roger Montgomery et Joseph Walters (cor) ; et à l’écoute de cet album, on se dit que ce sont les « unsung heroes » qui remportent la mise, davantage que les chanteurs.

Qu’on ne s’y trompe pas : Lucy Crowe, Christine Rice et Iestyn Davies sont très loin de démériter. Ils possèdent tous la virtuosité nécessaire, et les pages vocalisantes sont toujours impeccables. Le chant est élégant également chez chacun d’entre eux, mais ce qui leur manque pour totalement convaincre est l’implication dans le texte, le relief dramatique, la science des effets ; car même si le parti pris est de mettre la voix et l’instrument sur le même plan, le texte ne devrait pas perdre son expressivité. Ainsi, on trouve que la Cléopâtre de Lucy Crowe peine à être pleinement séduisante dans « V’adoro pupille », parce qu’un peu trop lisse et sage ; l’air « Qui l’augel da pianta in pianta » en revanche convient bien à la soprano, le livret servant de prétexte à l’imitation du chant des oiseaux et à une utilisation quasi instrumentale de la voix : la pureté du timbre et la délicatesse de l’ornementation y sont ici assez idéales. Mêmes remarques valent pour Iestyn Davies – dont la voix est légère, souple et extrêmement agile, mais chez qui manque l’héroïsme de Rinaldo et les accents déchirants de Dardano – et pour Christine Rice, bien qu’elle possède un très beau timbre et parvienne à conserver l’homogénéité de sa voix malgré les grands intervalles du « Scherza infida ». Sans doute est-on davantage exigeante parce que ces airs ont été abondamment chantés et enregistrés, et par les plus grands interprètes. On espère donc toujours avoir tout : la voix, la virtuosité, le texte, le théâtre, l’émotion…

La tâche serait-elle plus simple pour les instrumentistes ? Rien n’est moins sûr lorsque l’on voit les difficultés qu’Haendel s’est plu à leur imposer. Mais les solistes convoqués ici font preuve d’une maîtrise technique ainsi que d’une expressivité qui servent remarquablement les airs. Le compositeur fait en effet intervenir les solos dans un but d’imitation du texte ou des affects, en soutien ou en complément au chant. Le basson de Joe Qiu imite ainsi par sa virtuosité le souffle du vent (« Venti turbini ») avant d’imposer une couleur funèbre à « Pena tiranna » ; le hautbois de Leo Duarte accompagne la douceur du chant des oiseaux (« Qui l’augel ») comme le déferlement de colère de Poppea (« Se giunge un dispetto ») ; le violon de Thomas Gould se fait aussi bien bucolique (« Se in fiorito ») que guerrier, lorsqu’il redouble de virtuosité face aux vocalises de Rinaldo (« Venti turbini »). Il y a chez Haendel à la fois une nécessité expressive dans l’emploi des instruments, et un plaisir évident à mettre en miroir (ou en compétition ?) les capacités techniques des interprètes : tantôt l’instrument vient accompagner la voix, au plus près de ses inflexions et de l’affect qu’elle exprime, tantôt la voix se fait pur instrument, souvent au mépris du texte, pour le seul plaisir de rivaliser de virtuosité. Ce sont ces deux modalités qui s’expriment lorsque Haendel fait appel à quatre trompettes pour la marche et la bataille de Rinaldo, avant de faire dialoguer Paul Sharp et Iestyn Davies dans « Or la tromba » : on pourrait difficilement imaginer scène plus immédiatement expressive, de même que l’emploi des cors dans Alcina pour illustrer la métaphore de la chasse employée par Ruggiero. Le titre de l’album ne mentait pas : il y a bien quelque chose d’héroïque dans cette virtuosité et dans la force théâtrale que les musiciens apportent.

Les solistes sont également remarquablement soutenus dans cet exercice par l’ensemble La Nuova Musica : la direction de David Bates est contrastée, se prêtant aussi bien à la grandeur et au sérieux de certaines pièces qu’au caractère léger ou aérien des autres. C’est la variété de leur palette expressive qui plaît le plus, animée par une énergie et un souffle qui servent au mieux la musique de Haendel. Cet album est donc davantage le triomphe de l’instrument que celui de la voix – mais après tout, la frontière entre les deux est peut-être plus mince qu’on ne le pense.

Avatar photo
Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.

Autres articles

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire !
S'il vous plaît entrez votre nom ici